L'actualité au prisme de la philosophie
Avec l’introduction dans le débat public français de la question des “salles de shoot”, inspirées de l’expérience suisse, on entend prôner par les partisans de ce type de mesure la mise en place d’une politique pragmatique contre les positions idéologiques. Une telle affirmation, nous amène à nous demander ce qu’est, du point de vue philosophique, une politique pragmatique.
Qu’est-ce qu’une politique pragmatique ?
Une politique pragmatique contre les positions idéologiques n’est pas seulement invoquée en ce qui concerne la question du traitement de l’usage des stupéfiants, mais également concernant la prostitution.
Qu’est ce que les partisans d’une telle politique pragmatique entendent par cette expression ? Il semble que celle-ci recouvre la mise en place de mesures qui améliorent immédiatement et concrètement la situation des personnes concernées.
Il nous semble que ce sens, tiré de l’usage ordinaire, ne recouvre qu’en partie le sens d’une politique pragmatiste tel qu’il a été théorisé par le philosophe John Dewey. En effet, pour cet auteur, le pragmatisme n’implique pas seulement une action efficiente immédiatement sur la réalité, mais l’expérimentation d’hypothèses relativement à une situation, dans une dynamique de continuité entre des moyens et des fins. Concrètement, cela signifie qu’il s’agit de chercher à améliorer la situation présente en expérimentant des hypothèses qui sont élaborées à partir d’un idéal ou de la fin vers laquelle on tend. L’idéal ou la fin doivent être des instruments qui nous donnent des pistes d’action concrètes. Leur expérimentation, et leur réussite ou non, nous amènent à faire évoluer notre idéal.
Quelles politiques sur la question des drogues ?
En tant que citoyen, de quel utilité la philosophie pragmatiste peut-elle nous être lorsqu’il s’agit de penser la question d’une politique de l’usage des drogues ? Nous allons essayer de donner quelques pistes de réflexion sur le sujet.
- Définition de la notion de drogue:
Que recouvre ici la notion de “drogue” ? Cette notion peut avoir une acception très large, qu’il convient à notre avis de spécifier. Dans le cas présent, nous utiliserons la notion de drogue pour désigner une substance psycho-active, susceptible ou non de créer une dépendance physique, mais surtout dont la consommation, en particulier prolongée, est capable d’engendrer des problèmes de santé et donc qui, lorsqu’elle concerne un nombre important de personnes, crée un problème de santé publique.
- La question de la légalisation dans l’idéal
Il nous semble que le principal problème que pose ce que nous avons défini comme drogues est le problème de santé publique qu’elles sont susceptibles de causer et donc les coûts entre autres qu’elles font peser sur l’ensemble de la société en termes par exemple d’assurance maladie.
Il faut noter que ces substances entraînent selon les individus et les produits des addictions diverses et des conséquences sanitaires variables, qui ne peuvent être appréciées qu’en termes de tendances ou de facteurs.
Au vu des conséquences collectives en termes de coûts sociaux que fait peser l’usage de ces produits, il semble légitime de penser que l’autorisation de la commercialisation, qu’elle soit confiée au marché ou à l’Etat, de ces substances, n’est pas opportune. En effet, de manière générale, on s’accorde sur le fait que les produits dangereux pour la santé ne doivent pas être autorisés à la vente pour la consommation: la question ne se pose pas par exemple pour les produits alimentaires dangereux pour la santé.
Dans une telle logique idéale, au vu des problèmes de santé qu’elles posent, ne devraient pas être autorisés à la vente pour la consommation toutes les substances posant des problèmes de santé publique. Ce qui devrait comprendre, au vu de leurs coûts sanitaires, s’il n’y avait pas des lobbies de producteurs, l’alcool et le tabac.
- La question de la dépénalisation de la consommation
En ce qui concerne les drogues, deux problèmes se posent, même si on admet le principe de l’interdiction de la vente à la consommation.
Le premier est de savoir si cela doit avoir pour corollaire la pénalisation du consommateur. Cette pénalisation du consommateur est plus problématique, car elle pose une autre question, qui est de savoir si on peut agir par la répression pour empêcher quelqu’un de se nuire à lui-même. En ce qui concerne le suicide, même si la vente à la consommation de poisons n’est pas autorisée, la législation française ne punit pas la personne qui s’en sert pour tenter de se suicider, mais seulement celle qui tente d’empoisonner quelqu’un d’autre.
En effet, toute la difficulté est ici de juger, en ce qui concerne l’usage des drogues, entre des principes de vie contradictoires: vaut-il mieux chercher à conserver sa santé ou est-il préférable de rechercher le plaisir ?
De fait, la pénalisation du consommateur semble une option nettement moins légitime que l’interdiction de la vente à la consommation de produits dangereux pour la santé.
C’est d’ailleurs sur ce point que nous sommes, à notre avis, dans un système relativement hypocrite: d’un côté la vente de certains produits nocifs pour la santé est autorisée, tandis que de l’autre la consommation d’autres produits nocifs est susceptible d’une condamnation pénale.
Le second problème qui se pose, c’est que si un produit n’est pas autorisé à la commercialisation, cela risque d'entraîner un marché noir et surtout la contrebande de produits dangereux pour la santé.
Il faut souligner qu’une option possible pour limiter le marché noir, même si cela le rend plus difficilement contrôlable également, c’est de ne pas pénaliser l’auto-production à des fins non-marchandes.
En ce qui concerne les risques sanitaires engendrés par des produits frelatés, si l’interdiction de la vente de drogues est liée à des questions de santé publique, il semble alors logique, sachant que la contrebande est un fait et qu’elle pose des problèmes de santé publique, de prévoir des lieux pour les usagers, où peut être contrôlée la qualité des produits, où les usagers peuvent être informés des dangers et, tant qu’à faire, se les injecter avec le minimum de risques sanitaires.
Irène Pereira
Pour en savoir plus sur une politique pragmatiste:
Dewey John, Recontruction en philosophie (1920), Pau, Editions Farrago, 2003.
Dewey John, "On Their Morals and Ours", in New International, 1938, disponible sur: http://www.marxists.org/history/etol/document/comments/dewey01.htm
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Derick (samedi, 21 juillet 2012 21:41)
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