Problématiques classiques de la philosophie

- Un exemple de synthèse à partir du programme de terminal -

 

Il est possible de montrer que presque systématiquement les problématiques classiques de la philosophies peuvent s’organiser de la manière suivante:

 

a) Connaître la réalité humaine n'implique-t-elle pas de la penser comme rupture avec l'expérience naturelle immédiate (apparence) ?

 

- Parmi les positions philosophiques relevant de la connaissance immédiate, que les traditions philosophiques dominantes se sont attachées à dépasser, on peut citer:

-> le sensualisme: toute connaissance est relative à nos sens

-> le scepticisme: il n’est pas possible d'accéder à la vérité, on doit s’en tenir à l’opinion

-> le pragmatisme: la pratique est première sur la théorie

-> Toutes ces positions sont généralement accusées d’être relativistes.

 

- L”expérience philosophique consisterait à introduire une rupture avec:

 

-> La relativité de la sensibilité: la sensibilité apparaît comme le mode de connaissance premier et immédiat, mais également relatif.

-> Le rationalisme entend rompre avec cette relativité de l’apparence sensible.

-> La philosophie de la conscience rompt avec la naturalité immédiate de la sensibilité.

 

- Le rationalisme entend rompre de manière générale:

-> avec l’immédiateté des préjugés et la relativité des opinions vraisemblables

-> avec des positions qui sont considérées comme irrationnalistes: ces positions considèrent que la réalité ne peut être appréhendée par la raison. La nature, le vivant sont irrationnels (ex: hylozoïsme, vitalisme).

 

- La philosophie de la conscience quant à elle se propose de rompre avec l’immédiateté de l’expérience naturelle, celle de la sensibilité à laquelle se limite l’animalité.

 

b) Cette rupture est-elle seulement d'ordre rationnelle ou implique-t-elle l'émergence d'un niveau d'ordre proprement spirituel ?

 

- Le rationalisme entend introduire une transcendance de la raison par rapport à la relativité de la connaissance immédiate ( sens, opinion...), mais pas nécessairement pas rapport à l’immanence de la nature qui peut être conçue comme une réalité rationnelle. La rationalité humaine trouverait alors son origine et sa capacité d’adéquation au réel dans une rationalité du réel. Une telle conception suppose un ontologie essentialiste de la réalité.

 

- La philosophie de la conscience (entendue comme philosophie de l’esprit) entend rompre avec l’immédiateté de la nature et établir une transcendance par rapport à celle-ci. La rationalité n’existe pas dans la nature, mais elle suppose la mise en ordre du réel matériel par un principe spirituel.

 

De manière générale, les dissertations de philosophie dans leurs formes académiques adoptent l’une ou l’autre de ces deux progressions:

 

1. Le niveau de la connaissance immédiate (opinion)

 

 2. La rupture introduite par l'esprit humain (religion)

 

3. L’illusion spirituelle dépassée par la connaissance rationnelle (science et philosophie)

 

ou

 

 1. Le niveau de la connaissance immédiate (opinion)

 

 2. La connaissance implique une rupture rationnelle (science)

 

3. Mais cette rupture rationnelle n'est possible en réalité que parce que l'être humain est doté d'un esprit et n'est pas seulement un corps. (philosophie)

 

 

pas d’ordre dans la nature

ordre dans la nature

immédiateté

La nature n’est pas organisée selon un principe rationnel et il n’est pas possible de dépasser l’expérience ordinaire (sensualisme, relativisme, pragmatisme)

Il existe un ordre dans la nature et notre connaissance sensible reflète cet ordre (réalisme sensualiste naïf)

transcendance

Il n’y a pas nécessairement un ordre rationnel dans la nature, mais la conscience y introduit un ordre rationnel (Idéalisme transcendantal)

Il y a un ordre rationnel dans dans la nature. La rationalité de l’esprit est une conséquence de la rationalité à l’oeuvre dans la nature: “l’homme n’est pas un empire dans un empire” (Spinoza)

 

 


Modalité de lecture d’un tableau de synthèse du programme de philosophie des classes terminales (exemple pris en terminant par la conception de la philosophie de la conscience):

 

Soit X, une notion: X apparaît comme (a). Mais en réalité, n'est-il pas possible de dépasser cette connaissance immédiate pour en atteindre une connaissance rationnelle (b). Mais une telle connaissance rationnelle suppose en réalité l'existence d'une transcendance de l'esprit (c) ?

 

(Il est possible de modifier l’ordre des colonnes en fonction de sa sensibilité philosophique)

 

 

Notions

Continuité avec la nature et l'expérience commune. (a)

(Pragmatisme)

Rupture rationnelle

(rationalisme) (b)

Rupture spirituelle et rationnelle

(philosophie de la conscience et du sujet) (c)

- I) Le Sujet

- La notion de sujet n'est qu'une fonction du langage. Il n’y a pas en réalité de transcendance du sujet par rapport à la nature. (Nietzsche)

- Une étude rationnelle du sujet implique de le penser comme une chose naturelle. (Spinoza)

- La notion de sujet implique une rupture avec la nature et l'apparition de l'esprit.

(Descartes)

- La conscience

- La conscience est un flux en continuité avec l'expérience. (James)

- Une approche rationaliste implique de traiter la conscience comme un fait de nature. (Matérialisme, réductionnisme )

- La notion de conscience implique une transcendance par rapport à la nature: finalité, intentionnalité, morale...(Descartes, Kant, Husserl...)

- La perception

- Provient uniquement des sens . (Sensualisme).

- Provient des sens mais implique une pensée du corps (Nietzsche)

- La perception implique l'intervention de mécanismes rationnels.

(Rationalisme)

- Implique une conscience qui organise la perception: intentionnalité de la conscience

(Phénomènologie)

- Inconscient

- La nature est constituée par une force matérielle qui pense et qui déborde la conscience humaine (James, Bergson)

- L'inconscient ne peut être connu par la conscience immédiate, mais implique une rupture rationnelle avec notre conscience immédiate pour être connu. (Freud)

- L'inconscient est une hypothèse contradictoire (Sartre)

- Autrui

Autrui apparaît comme différent de moi. Chaque individu se situe sur un continuum. (Relativisme)

Autrui, au-delà des apparences qui sont des qualités secondes, apparaît essentiellement comme identique à moi-même par sa nature d’animal rationnel (Humanisme)

Autrui est identique non pas par sa nature, mais parce qu'il est un être conscient. (Descartes)

Désir

Il n'y a pas de différence de nature entre le désir et la raison (Nietzsche)

La raison peut maîtriser les désirs

(Platon, Descartes)

Le désir est manque. Il se distingue du besoin par l’intentionalité de la conscience qu’il suppose qui vise des fins désirables (Sartre)

Existence

La conscience existentielle émerge en continuité avec la nature. Ce qui implique que d’autres êtres vivants la possèdent à un moindre degrés.

La conscience existentielle constitue un épiphénomène.

La conscience donne aux êtres humains une autre dimension au fait d'exister par rapport aux être naturels (Existentialisme: de Pascal à Sartre)

Temps

Le temps est une réalité qui échappe à une appréhension rationnelle.

(Bergson)

Le temps est une réalité objective qui peut être mesurée

(physique classique)

 

Le temps est une réalité subjective qui dépend de la conscience qui l'éprouve (De Saint Augustin à la phénomènologie)

II) La culture

La culture est en continuité avec la nature (Emergentisme)

La culture est l'effet de la rationalité technique (évolution des forces productives) - Marx

La culture est l'effet de l'émergence de l'esprit dans la nature (Hegel).

Le langage

Les animaux ont un langage (Continuité entre les êtres humains et les autres animaux)

Seuls les êtres humains ont un langage car ils sont dotés d'une raison (Descartes)

Seuls les êtres humains ont un langage car ils sont capables d'intentionalité et donc de produire de la signification

L'art

L'art est valorisé parce qu'il renvoie à l'apparence (Nietzsche)

L'art est un processus vital (Dewey)

L'art est dévalorisé parce qu'il renvoit à l'illusion de l'apparence (Platon)

L'art peut être objet de science (science du beau)

L'art est valorisé parce qu'il est le reflet d'une activité spirituelle (Hegel)

La technique

La technique est en continuité avec la vie (Bergson)

La technique produit une rupture avec la nature qui est d’autant plus radicale que les techniques cessent d’être des conséquences de l’expérience pratique pour être des applications de la rationalité scientifique.

La rationalité technique moderne est critiquée car destructrice des valeurs spirituelles

(Ellul)

Le travail

- Le travail est une activité biologique permettant de satisfaire les besoins vitaux

- C’est du travail qu’émerge la culture.

Le travail dépasse la simple satisfaction des besoins vitaux. C’est lui qui provoque une rupture avec l’immédiateté induite par la nécessité naturelle (Marx)

Mais il peut être dévalorisé au profit d'activités plus propre à la raison humaine (Arendt)

Le travail peut être valorisé en tant qu'il est la marque d'une intentionnalité.

Mais il peut aussi être dévalorisé par rapport à des activités plus spirituelles. (La tradition biblique traite le travail comme une malédiction).

La religion

Rapport ambivalent à la religion:

- peut être valorisé comme correspondant à une aspiration immédiate

(James)

- peut-être critiqué comme introduisant une transcendance par rapport à la nature (Dewey).

La religion suppose la croyance en du spirituel. La connaissance rationnelle suppose de remettre en cause une telle illusion. (Marx, Freud)

La religion peut être valorisée en tant qu'elle est la marque d'une conscience chez les êtres humains de leur essence d'être spirituel. (Hegel)

L'histoire

Il n'y a pas de rationalité ni d'intention à l'oeuvre dans l'histoire (scepticisme)

 

- L’histoire comme étude du passé est un “roman vrai”, importance de l’évènement. (Veynes)

Il est possible de dégager une rationalité dans l'histoire (Hegel, Marx)

 

- L’histoire est une science qui se donne pour objectif de dépasser la contingence apparente des évènements et le rôle des grands hommes pour dégager les structures. (Ecole des annales)

L'histoire humaine suppose la prise en compte d’une intentionalité

(Kant: “comme s’il existait une finalité”)

- L’histoire est une science de la culture ou de l’esprit car elle implique des évènements qui dépendent d’intentions humaines et de volontés libres. De fait, l’évènementialité de l’histoire est la marque de la transcendance de l’esprit par rapport à la nature. (Diltey, Ricoeur)

III) Le réel

Le réel est un flux continu (Bergson)

Le réel est rationnel

(Hegel)

La réalité véritable ce sont les éidos (Platon)

La raison

La raison trouve en réalité son origine dans les émotions et les habitudes

(Nietzsche)

La raison opère une rupture avec la connaissance immédiate, mais trouve son origine dans la réalité elle même qui est rationnelle

La raison suppose l'existence d'un principe spirituel qui organise la réalité matérielle

L'expérience

Elle correspond à la connaissance immédiate

L'expérience scientifique suppose une rupture rationnelle avec l'expérience commune : les instruments scientifiques sont comme des théories matérialisées (Bachelard)

La sensibilité seule ne pourrait garantir l’unité de l’expérience d’où la nécessité d’un principe

spirituel

La théorie

La théorie est issue de la pratique (pragmatisme)

La théorie scientifique suppose une rupture avec l'expérience commune (Bachelard)

La théorie suppose l'existence d'un principe spirituel en l'être humain

La démonstration

Pas de démonstration en soi possible, car la connaissance ne peut jamais dépasser le vraisemblable

Possibilité de démonstration rationnelle de toutes choses (Leibniz principe de raison suffisante)

Peut-être dévalorisée en tant que connaissance rationnelle au profit de l’intuition intellectuelle

L'interprétation

L'interprétation est le produit de l'activité vitale (Nietzsche)

L'interprétation est une illusion, il s'agit de parvenir à une connaissance rationnelle qui ne peut être qu'explicative

La connaissance suppose l'interprétation cad l'activité d'une conscience (Diltey)

La vérité

La vérité ne peut être atteinte ou elle est une illusion car elle suppose qu'il existe une réalité fixe et immuable

La vérité peut être connu par la raison: théorie de la vérité comme cohérence

La vérité ne peut être connu que par l'esprit: intuition des principes premiers (certitude)

La matière

Flux continu qui ne peut être connu par la raison (Diderot)

Matière peut être connue par la raison (rationalité du réel - Stoiciens)

La matière est dévalorisée au profit d'un autre principe: l'esprit

L'esprit

Pas de réel différence entre matière et esprit: matière spiritualisée (hylozoisme)

L'esprit est une illusion, il s'agit de réduire l'esprit à une connaissance rationnelle (matérialisme réductionniste)

L'esprit est le principe supérieur et la vraie réalité du monde

(spiritualisme)

Le vivant

Le vivant est l'effet d'une force vitale à la fois matérielle et spirituelle (vitalisme)

Le vivant peut être réduit à une explication mécanique (mécanisme)

Le vivant suppose une intentionnalité

(finalisme)

IV) Le politique

La politique est une savoir empirique qui suppose de raisonner à partir des conséquences

(Aristote, Machiavel)

La politique peut être l'objet d'une science nécessaire (Platon)

La politique doit être soumise à la morale

(Kant)

L'Etat

L'Etat impose une rationalité transcendante à la société civile

(Critique de l’Etat: Proudhon, Bakounine, Berth...)

L'Etat est une forme d'organisation rationnelle de la société, mais il n'est pas moral (Weber réalisme)

L'Etat doit imposer la moralité (Hegel, Solidarisme)

Le droit

Le droit :

- soit vu comme en continuité avec la nature (le droit des bêtes)

- soit comme une norme répressive transcendante

- Le droit est un mode d'organisation rationnel de la société

(Kelsen - positivisme juridique)

Le droit doit être soumis à la justice

(jusnaturalisme)

La justice

- L’action de la justice consiste à raisonner à partir des cas et des conséquences

( réalisme juridique ).

- En tant qu'idéal d'organisation politique, la justice ne peut être que le produit d'un accord intersubjectif (Consensus).

-La notion de justice est une illusion. Seul existe le droit positif

(positivisme juridique)

- La justice est ce qui est conforme à la morale (jusnaturalisme)

La société

L'émergence de la société est en continuité avec la nature (éthologie)

- La société peut faire l’objet d’une science positive (Durkheim: traiter les faits sociaux comme des choses)

 

- Elle est le produit de l’action d’acteurs rationnels qui poursuivent leur interêts (individualisme méthodologique)

- L’unité de la société repose sur un principe de solidarité spirituel (holisme méthodologique)

 

ou

 

- La société est le produit d'un accord rationnel entre des volontés autonomes (contractualisme)

V) La morale

Les valeurs morales trouvent leur origine dans des évaluations vitales relatives à chaque être vivant. (Nietzsche)

La morale en tant que norme transcendante est une illusion. Il existe une éthique naturelle (éthiques naturalistes)

La morale consiste dans l'obéissance inconditionnelle à une norme transcendante en tant qu’elle s’impose comme un principe absolu.

(Kant)

La liberté

Il ne s'agit pas de partir du caractère libre ou déterminé des actes, mais de distinguer en fonction des situations, telles qu’elles apparaissent le degrés de liberté. (Aristote)

La nature et donc les être humains sont soumis au principe de causalité. La liberté est la compréhension de la nécessité. (Stoïciens, Spinoza)

La liberté suppose l'existence d'une volonté libre transcendant la nature (Descartes, Kant, Sartre)

Le devoir

Le devoir désigne l'ensemble des normes sociales stabilisées par l'habitude (moeurs)

La notion de devoir introduit une transcendance vis-à-vis de l'être, donc de la nature. Elle renvoie à une illusion.

Le devoir désigne une norme transcendante valant absolument. (Kant)

Le bonheur

Le bonheur n'est pas un état, mais une activité (Nietzsche).

Le bonheur consiste dans la connaissance

(Spinoza)

Le bonheur est un idéal de l’imagination, il ne saurait être -en cette vie - au plus qu'un devoir indirect (Kant)

 

 

Remarque: Il est ainsi possible de noter que les conceptions pragmatistes sont celles qui ont été systématiquement critiquées aussi bien par la tradition rationaliste que spiritualiste. 

          


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