Lecture: Des sociologues sans qualités ?

Sous la direction de Delphine Naudier et Maud Simonet,

La Découverte, 2011, 250 p., 22 euros.

 

Des sociologues sans qualités réunit des contributions de plusieurs sociologues concernant les rapports entre trajectoire sociale de l’enquêteur, terrain d’enquête et engagement personnel du chercheur. Ces textes ré-interrogent donc la question classique des rapports du savant à l’engagement, la question de la possible ou illusoire neutralité axiologique du chercheur. Afin d’éviter la complaisance narcissique de la narration biographique, les contributions articulent ces thématiques en partant des pratiques d’enquêtes. Trois moments organisent cet ouvrage: recherche sociologique et engagement militant, engagement par le terrain et enfin l’engagement personnel dans le terrain. Chacun de ces trois moments fait l’objet de quatre contributions.

 

La première partie de l’ouvrage porte sur l’engagement militant du chercheur en science sociale dans le cadre de son terrain. Bernard Pudal revient ainsi dans une première contribution sur le rapport entre son engagement au sein du Parti communiste, son choix d’objet et les évolutions de l’historiographie et de la sociologie du Parti communiste. Alban Bensa revisite quant à lui les circonstances et le sens qu’à pris pour lui son étude du peuple Kanak et son engagement de soutien à leur cause. Anne-Marie Devreux expose comment ses savoirs-faire de sociologue ont pu être réinvestis dans son activité de syndicaliste au CNRS afin de mettre en évidence les inégalités hommes/femmes. Un des éléments intéressants dans ce cas, c’est qu’il s’agit d’une étude des rapports de genre qui ne constitue pas initialement un travail de recherche scientifique, mais militant. Néanmoins, cette étude finit par acquérir la reconnaissance d’un travail d’objectivation scientifique. Xavier Dunezat revient, en tant que sociologue des mouvements sociaux, sur les différentes formes d’articulation entre son statut de chercheur et de militant dans différentes mobilisations sociales dans lesquels il a été parti prenante.

 

Le second moment de l’ouvrage aborde des cas où le sociologue se trouve engagé par l’objet même de son étude. Ces contributions ont souvent pour points communs de revenir sur le risque de connivence ou d’instrumentalisation par les pouvoirs politiques ou économiques des chercheurs. C’est le cas de Jean Bauberot, spécialiste de la question de la laïcité, qui relate sa position au sein de la commission Stasi dans laquelle il a été nommé. Cécile Guillaume et Sophie Pochic pour leur part reviennent sur leur position au sein d’une grande entreprise privée dans le cadre d’enquêtes menées sur les rapports sociaux de sexe. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot analysent leur travail sur la grande bourgeoisie et en particulier la suspicion de connivence avec les enquêtés qui peut être attachée aux chercheurs qui prennent pour objet la sociologie des élites. Enfin Stéphane Baud s'intéresse à la trajectoire sociale qui l’a conduit, étant issu d’une famille de la bourgeoisie provinciale, à devenir un sociologue des classes populaires. Il met en particulier en valeur la place de la pratique du football dans son itinéraire.

 

La dernière partie de l’ouvrage s'intéresse à l’engagement personnel, et en particulier corporel du sociologue, dans son terrain d’enquête. Alain Bizeul revient ainsi sur la manière dont des aspects de sa vie sociale personnelle ont pu l’aider dans son rapport avec certains de ses enquêtés comme par exemple il le relate avec le cas d’un militant raciste néo-nazi. Patricia Bouhnic analyse quant à elle la manière dont des dimensions de ses engagements personnels, par exemple féministes, pourtant affirmés sur son terrain d’enquête, n’ont pas pour autant constitué un obstacle à son insertion auprès des usagers de drogues qu’elle étudiait. Loïc Wacquant opère une explicitation des dimensions personnelles et théoriques qui s’enchevêtrent dans le travail qu’il a mené sur une salle de boxe dans un quartier noir de Chicago. Enfin, Pierre-Emmanuel Sorignet produit une réflexion sur sa double expérience professionnelle de sociologue et de danseur.

 

Cet ouvrage collectif dans lequel des sociologues relatent et analysent leur engagement personnel dans leur terrain de recherche constitue un support intéressant à une réflexion d’ordre épistémologique. Celle-ci porte sur les rapports entre théorie et pratique. Elle peut être déclinée en particulier en deux axes. Le premier est celui du rapport entre fait et valeur: comment le sociologue peut-il tenir ensemble les exigences scientifiques d’objectivité factuelle et ses valeurs qui l’engagent personnellement ? Le second axe consiste dans le rapport entre activité intellectuelle d’élaboration théorique et pratiques d’enquête sur le terrain: comment ces deux dimensions s’articulent concrètement et s’interpénètrent ? Autant de questions qui se posent en particulier à tout sociologue utilisant les méthodes ethnographiques.

 

Irène Pereira

 

 

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