La cré'action de guérillas sociales et artistiques (Première Partie)

 

 (Texte d’une intervention au Festival Guérilla sociale, guérilla artistique

Genève, 12 juin 2013)

 

Première Partie:

 

Introduction:

 

Les guérillas sociales et artistiques, telles qu’elles vont être pensées dans l’espace de ce texte, présentent deux caractéristiques: l’action directe et le pragmatisme

a) des actions (pragmatisme) – action directe chez les anarchistes : cela signifie agir directement, sans intermédiaires.

b) pragmatisme dans son sens philosophique : l'action ne se limite pas à changer l'immédiat, mais consiste à établir une continuité entre les moyens et les fins, entre l'immédiat et l'idéal. L'idéal devient un instrument pour transformer la réalité.

 

Pour cela, la réflexion menée ici prendra appui en particulier sur une tradition militante:

Le syndicalisme d'action directe (et en particulier le syndicalisme révolutionnaire) : le syndicalisme révolutionnaire (SR) est un courant dans lequel nombre d'anarchistes ont été actifs au début du XXe siècle.Aujourd'hui, les syndicats SUD sont considérés comme des continuateurs de cette tradition SR.

 

Les syndicalistes révolutionnaires se sont beaucoup intéressés à la guérilla sociale. Je vais essayer de montrer en quoi il peut être pertinent de mobiliser cette tradition militante pour analyser les formes de guérilla culturelles ou artistiques.

 

1) L'action militante comme guerre.

 

Les SR pensent l'action militante sous le paradigme de la guerre : la grande guerre, c'est la grève générale insurrectionnelle, la petite guerre ou actions de guérilla, c'est le sabotage et les grèves partielles,. L'action directe pour les SR, c'est la grève et le sabotage principalement.

 

Réalisme politique :

  1. Clauséwitz : la guerre est la continuation de la politique.

  2. Proudhon : le droit nait de la guerre, la guerre trouve son origine dans l'inégalité sociale, dans le paupérisme.

 

Il y a donc un droit de la force. Pour les SR, cette force, c'est l'action directe. Mais, il ne faut pas confondre force et violence. L'action directe est une force (car toute action est force). Mais l'action directe peut être violente ou non-violente, légale ou illégale.

 

Il y a une continuité entre violence militaire (révolution, guérilla armée) et mouvement sociaux ; entre conflits conventionnels et guerres de basse intensité.

 

La guérilla, c'est une stratégie des guerres asymétriques : c'est quand on est moins fort que l'armée régulière en matière d'armement, mais aussi en nombre. Cela veut dire aussi que la force numérique et l'armement ne sont pas tout, mais qu'il y a aussi une part d'intelligence, de tactique, de stratégie dans une victoire.

 

La guerre des classes, la lutte des classes, peut se livrer au niveau économique : dans les entreprises, par le sabotage...Mais elle peut se livrer aussi au niveau culturel. C'est ce qu'a étudié Gramsci avec la notion d'hégémonie culturelle. Il distingue deux tactiques: la guerre de mouvement et la guerre de position.

 

On peut trouver des exemples de formes de militantisme tournées principalement vers la lutte contre les rapports sociaux d'oppression, avec par exemple Le manuel de communication guérilla (Editions Zones, 2011).

 

Les situationnistes, avec la critique de la vie quotidienne, reprise à Lefebvre, et de l'aliénation, ont tourné principalement leurs attaques contre ce niveau du rapport social. On peut ainsi citer les formes de détournement pratiquées par les situationnistes, détournement de bandes dessinées ou de films (ex: Le film La dialectique peut-elle casser des briques ?).

 

2- L'action artistique et l'action militante comme travail

 

Les SR font du travail la forme paradigmatique de l'action humaine.Cela veut dire que ce qu'un ouvrier sur une chaîne de montage fait, c'est du travail, mais cela veut dire également que ce que fait l'artiste, c'est du travail. Certes, le travail de l’ouvrier dans la société capitaliste est aliéné. Mais Sorel pense que si cette aliénation est remise en cause, l’activité de l’ouvrier de la grande industrie contient une dimension de création technique qui est susceptible de permettre aux travailleurs d’épanouir leurs facultés.

 

Explication :

  1. Travail pour les grecs c'est le labeur des esclaves; pour les chrétiens, c'est une malédiction

  2. Pour Marx : le travail suppose la technique. C’est le travail productif (poiesis) – création. Donc tout travail productif est une activité de création

  3. Pour Nietzsche : le génie est une mystification. Derrière tout génie, il y a du travail. Nietzsche récuse le mythe de l'inspiration surnaturelle du génie.

  4. Dubuffet (Asphyxiante culture) : il affirme qu’il n’y pas de différence entre l'artiste peintre et le peintre en bâtiment – Il récuse ainsi les distinctions sociales liées à une inégalité sociale qui placent les activités intellectuelles et artistiques, au-desssus des activités manuelles, qui conçoivent l'esprit comme détaché et supérieur au corps.

 

Les SR ont parmi leurs auteurs de prédilection Proudhon. Ce dernier affirme que la pensée nait de l'action et que l'action, c'est le travail. Les SR mettent au coeur de leur stratégie l'action directe. Notion qui vient de Pelloutier, qui est un anarchiste syndicaliste.

 

L'art pour Pelloutier permet de véhiculer la révolte, il est un vecteur de conscientisation des individus, face à la société qui en fait bien souvent des résignés. L'art intervient donc, de cette manière, dans les stratégies des militants syndicalistes révolutionnaires.

 

On peut dire qu'encore aujourd'hui dans les milieux militants, le théatre par exemple, est utilisé dans ce sens : faire prendre conscience en sortant de l'ignorance – ce sont les conférences gesticulées par exemple de Franck Lepage, qui rencontrent un grand succès et ont été suivies par d'autres.

 

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