Lexique didactique de la philosophie

Activité (mise en activité): il est possible de favoriser une approche active en partant d'un travail: sur une situation-problème, sur l'analyse et la problématisation d'un sujet de dissertation, sur l'explication d'un texte ou d'une citation pour faire avancer le cours, ou bien encore d'un document sonore ou visuel... Cela permet d'éviter les approches trop expositives qui tendent à rendre mentalement passives les élèves. Il est à cet égard également interessant d'insister sur les méthodes de prise de notes actives pour éviter les cours semi-dictés.

 

Abstraction: Les élèves considèrent généralement les sujets de philosophie comme trop abstraits. Il peut à cet égard être interessant de partir d'une situation-problème concrête. Il est pertinent ensuite de leur montrer dans quel sujet de dissertation de philosophie plus abstrait peut se poser cette situation-problème. Par exemple "peut-on expérimenter sur les animaux ?" peut s'inscrire dans le sujet plus abstrait: "peut-on expérimenter sur le vivant comme l'on expérimente sur la matière ?". 

Il est souhaitable d'expliquer aux élèves l'interêt de travailler sur un sujet dont la formulation est abstraite en montrant que cela permet de réflechir sur davantage de situations et même sur des situations possibles qui n'existent pas encore (expérience de pensée). 

 

Cartographie des hypothèses: L'étude de la philosophie peut être abordée avec les élèves comme une discipline objective. Elle peut être défini alors comme la cartographie des hypothèses possibles sur une réponse donnée, de leurs présupposés, de leurs conséquences et de leurs limites respectives.

"Nous ne conclurons pas. Nous nous obligerons à poser seulement, sous leur forme la plus exacte, la moins partiale possible, les problémes généraux que les hommes se sont toujours posés [...] laissant à l'expérience, au coeur, à la douleur des jeunes gens et des hommes de les poursuivre". (Albert Thierry, Reflexions sur l'éducation, Paris, Librairie du travail, 1923, p. 133).

 

Compréhension du monde et de son existence (Sens 2): L'activité philosophique vise à permettre à l'élève d'examiner différents cadres d'interprétation (ou vision du monde) de manière à ce qu'il puisse inscrire son existence (discours et action) dans un cadre qui donne une unité cohérente à son existence, une orientation. Compréhension du monde et recherche d'un sens à son existence sont donc deux objectifs liés. Il est important de donner à l'enseignement de la philosophie du sens car il s'agit bien après tout d'une discipline du sens. Il faut donc montrer aux élèves comment elle permet de comprendre le monde et la société, comment elle leur permet d'éclairer leurs interrogations sur le sens de l'existence. 

 

Concept: Un concept désigne la conceptualisation d'une notion philosophique propre à un philosophe. Un concept s'inscrit donc dans une conception déterminée du monde. Par exemple, la notion d'animal peut être conceptualisée par un philosophe utilitariste comme un être vivant doué de sensibilité et donc capable de souffrir. 

 

Conceptions du monde ou visions du monde: Les différentes philosophies peuvent être inscrites à l'interieure de méta-catégories qui partent de différentes hypothèses ontologiques et gnoséologiques permettant d'établir des anthropologies, des épistémologies (théorie) et des philosophies politiques et morales (pratique) différentes. Il est possible de distinguer trois visions du monde principales: empiriste utilitariste (libéralisme économique et politique), rationalisme matérialiste (dont une forme principale est le marxisme), spiritualiste (religieux et moral). [L'expression de "vision du monde" est reprise d'Henri Lefebvre].

 

Conflictualité: La philosophie peut être vue comme un champ de controverse comme le social peut être analysé comme un champ de lutte. Althusser définissait ainsi la philosophie "comme une lutte des classes dans la théorie". Cette présentation de la conflictualité du champ philosophique est indispensable à la bonne intelligibilité des problèmes philosophiques. En effet, il n'y a problème que parce qu'il y a conflictualité entre les thèses philosophiques. Or c'est la différence qui crée le sens: ce qui signifie que l'on ne peut comprendre adéquatement la conception d'un philosophe donné que par contraste avec d'autres conceptions philosophiques. Cette mise en avant de la conflictualité des théories philosophiques permet de s'appuyer sur les conflits socio-cognitifs comme mode d'apprentissage.

 

Conviction: Les élèves doivent viser à énoncer dans leur conclusion une réponse à la question qui est une conviction. Ce terme désigne une affirmation qui vise à convaincre le lecteur. Une conviction n'est donc pas une simple opinion subjective, elle n'est pas non plus une vérité absolue. Elle est une affirmation qui présente le plus haut degrès de justification qu'il est possible à l'élève de produire sur le sujet. 

 

Choix des textes et des sujets: Il est possible de proposer aux élèves de choisir des sujets de dissertation qu'ils souhaitent traiter. On peut par exemple: a) leur énoncer des sujets parmi une liste établie b) on peut leur demander d'énoncer les questions qui leur paraissent importantes dans l'existence. Il est important de se montrer attentif au choix des sujets et des textes. Ceux-ci doivent pouvoir être reliés facilement par l'élève à des situations-problèmes significatives pour eux. 

 

Débats en classe (usage pédagogique): Un certain nombre d'enseignants de philosophie refusent d'organiser des débats en classe considérant qu'il n'est pas possible d'en tirer un usage philosophique. Les élèves se contentent d'énoncer des arguments du sens commun sans arriver à en dégager les présupposés philosophiques. Il faut savoir que cela constitue une attente importante des élèves de débattre en cours de philosophie et de pouvoir y exprimer son opinion. Mais il est nécessaire pour que l'activité acquiert une dimension philosophique de mettre en place un dispositif métacognitif qui amènent les élèves à analyser les présupposés philosophiques de leurs propres arguments. La dimension métacognitive est plus importante en terminale qu'elle ne l'est dans les discussions à visée philosophique pratiquées avant le lycée.

 

Didactisation de la problématisation:  La didactisation de la problématisation d'un sujet de dissertation ou d'un texte philosophique est une opération importante, même si elle ne suffit pas à réaliser à elle seule une bonne problématisation du sujet. Elle suppose de s'appuyer sur un concept clair de la notion de "problème".

 

Ego-discours: Certains courants pédagogiques axent la finalité de l'éducation sur  le bien-être et le plaisir de l'élève. Faire de la philosophie, ce serait alors exprimer sa subjectivité, donner son avis personnel. Il y a ici une confusion. L'activité philosophique n'est pas uniquement l'expression d'une subjectivité. Elle est l'expression d'une conviction justifiée. Elle n'est pas centrée sur l'individu, mais elle implique une vision du monde dans laquelle s'incrit la personne. La philosophie ne peut être réduite à une pratique de développement personnel, mais elle constitue une discipline critique.

 

Esprit critique: L'activité philosophique ne vise pas à développer un égo-discours, mais un discours critique. Celui-ci est en particulier un discours capable de prendre position par rapport à des problèmes du monde social ou à s'interroger sur les conditions de possibilité du savoir. L'esprit critique consiste dans une analyse des conditions de possibilité des discours, ses conséquences et ses limites.  

 

Implicite: Il est important d'objectiver les attendus méthodologiques qui peuvent faire l'objet de procédures claires. Plus ceux-ci sont laissés à l'interprétation des élèves, plus cela favorise des écarts avec des modèles implicites et la reproduction des inégalités sociales. Il est possible d'avoir des attentes très claires et explicites sur la manière dont doit être composée une dissertation et une explication de texte. Certes le formalisme ne suffit pas à réaliser une bonne dissertation, mais la plupart des activités de rédaction qu'auront à réaliser durant leur existence plus tard les élèves exigeront d'eux le respect de règles formelles plus ou moins strictes. 

 

Interprétation: L'équivocité du sens des termes dans le langage naturel est ce qui rend impossible de réduire la didactique de la philosophie à une simple algorithmique. Si le traitement d'un sujet philosophique implique une interprétation de la polysémie des termes et donc de leur catégorisations possibles, pour autant les autres procédures qui peuvent être objectivées doivent l'être de manière à éviter le flou des consignes.

 

Malentendus cognitifs: La philosophie fait l'objet d'un certain nombre de malentendus cognitifs de la part des élèves qui agissent comme des obstacles épistémologiques. Voici quelques unes des représentations fréquentes les plus erronnées: a) l'acitivé philosophique consiste à exprimer son opinion immédiate sans avoir besoin en outre de la justifier b) elle consiste à apprendre à justifier son opinion pour la défendre dans un débat d) le cours de philosophie consiste à organiser des débats c) il n'est pas necessaire de connaître les théories des philosophes d) ou à l'inverse, il suffit de réciter son cours e) il ne faut pas conclure en donnant une réponse à la question, ce serait donner un avis personnel et risquer d'être sanctionné par un enseignant qui a un avis opposé. 

 

Problématisation, problème: Un problème philosophique peut être défini comme le produit de l'opposition entre deux thèses correspondant à des visions du monde opposées. Problématiser un sujet de philosophie consiste donc à montrer que deux réponses philosophiques possibles opposées peuvent s'affronter sur un même sujet. 

 

Reflexivité - discours métadiscursif ou de second ordre, processus de secondarisation -: L'activité philosophique n'est pas une activité cognitive du premier ordre, mais métadiscursive. Elle vise à établir une réflexion critique sur les conditions de possibilité d'un discours. Par exemple, l'approche philosophique d'un débat ne consiste pas à énoncer des arguments qui justifient une thèse.  Elle consiste à s'interroger sur les présupposés philosophiques du débat et des différents arguments: à quelles conceptions du monde renvoient tel ou tel argument énoncé par les uns ou les autres ?.

 

Situation-probléme authentique et complexe: La philosophie peut être enseignée comme une discipline qui prend sens pour les élèves lorsqu'elle leur montre qu'elle permet d'analyser toutes les situations qui peuvent se poser dans l'existence quotidienne ou la vie sociale. Il est possible de partir d'un débat confrontant des arguments pour aborder la situation-problème. Mais l'activité philosophie à proprement parler ne commence que lorsqu'il y a une analyse métacognitive des arguments, une conceptualisation des notions et une problématisation de la situation-problème.

 

Systématicité: Les notions du programme de terminale en philosophie peuvent être traitées séparement. Mais elles doivent être également articulées entre elles sous une forme systématique. La mémorisation de l'information et la capacité des élèves à traiter des sujets éloignés de ceux vus en cours supposent que l'enseignant soit capable de construire un cadre d'interprétation global qui permet d'organiser de manière systèmatique l'ensemble du cours de l'année. 

 

Utilité pratique (sens 1): Il arrive souvent que les élèves soient génés par le fait que les réponses aux questions philosophiques ne soient pas l'objet d'un consensus. Il est possible de leur montrer que c'est là un intérêt important de la philosophie. En effet, il existe un certain nombre de problèmes de la vie sociale qui doivent être tranchés dans la pratique alors même que nous n'avons pas de certitudes. La pratique de la réflexion philosophique apprend à examiner le champ des réponses possibles à une question, leurs conséquences positives et négatives.