Les positions philosophiques face à la technique

 

Il est possible de dégager plusieurs positions philosophiques relativement à la technique.

 

 

Technique et anthropologie :

 

- Anthropologie spiritualiste : Certains auteurs distinguent le développement de l'intelligence humaine du développement des techniques. C'est l'intelligence humaine qui est la condition de possibilité de la technique. C'est le cas d'Aristote lorsqu'il explique que nous avons des mains parce que nous sommes intelligents.

 

- Naturalité de la technique et homo faber : Il existe au contraire une autre tradition qui considère que le progrès technique est la condition de possibilité de l'anthropisation. On trouve cette position par exemple chez Engels (dans Dialectique de la nature) ou encore chez Leroi-Gourhan (dans Le Geste et la parole).

 

- L'ambivalence de la perfectibilité : Certains auteurs, tout en admettant le rôle de la technique dans l'anthropisation de l'homme, ont un regard ambivalent sur ce phénomène. C'est le cas de Rousseau avec la notion de perfectibilité. Celle-ci peut être facteur de progrès moraux, mais également condition de possibilité de décadence d'une décadence morale de l'humanité.

 

Technophilie, technophobie et neutralité de la technique :

 

- La technophilie : c'est une position que l'on trouve par exemple chez Adam Smith (dans De la richesse des nations), il défend la thèse que les progrès des techniques, grâce aux sciences, permettront l'augmentation du volume de la production et donc une plus grande satisfaction des besoins humains. La technique permettrait en outre de soulager le travail humain de ses tâches les plus pénibles et répétitives.

 

- La technophobie : sont qualifiées de technophobe des positions qui considèrent que les progrès des technologies sont la cause principale des problèmes sociaux. C'est par exemple une thèse développée par Human Bomber, alias de Théodore Kaczynski, dans La société industrielle et son avenir (1995). Qualifié de néo-luddite, ce mathématicien verse dans des actes d'attentats individuels visant des scientifiques américains.

 

- La neutralité technologique : C'est une thèse que l'on pourrait attribuer par exemple au personnage de Gorgias, dans le dialogue de Platon qui porte son nom : ce n'est pas la technique, mais l'usage qui en est fait qui est condamnable. On retrouve cette thèse chez Marx dans Le capital : il reproche aux luddites de se tromper de cible. Ils attaquent les machines au lieu de s'en prendre au rapport social capitaliste. Dans une société communiste, les mêmes outils de production peuvent être utilisés de manière émancipatrice.

 

L'autonomie oppréssive de la technique :

 

- La technique comme système d'oppression autonome : on trouve cette thèse chez Jacques Ellul (dans Le système technicien) : la technique devient le problème social principal. Elle a atteint un degrés d'autonomie qui entraîne un asservissement de l'être humain qui a perdu la maîtrise du progrès technique. Celui-ci se développe selon sa propre logique interne.

 

- La technique comme rapport social autonome : Simone Weil (dans Liberté et oppression) prend position contre Marx en disant que celui-ci n'a pas analysé l'existence d'un rapport social spécifique lié au progrès technique et qui ne se réduit pas au rapport social capitaliste. Les machines induisent l'existence d'une division sociale de classe entre ceux qui maîtrisent les machines et ceux qui sont au service des machines.

 

Les types d'oppression techniques :

 

- La parcellisation des tâches : C'est une peur qui est présente déjà chez Adam Smith lui même qui que craint que la division technique du travail conduise à abrutir les travailleurs qui ne peuvent plus développer leur intelligence du fait d'un travail morcelé. Cette critique est reprise par la sociologie du travail (Friedman, Le travail en miette). Le travailleur devient incapable de donner un sens subjectif à son travail.

 

- La domination de la raison instrumentale : Habermas (La science et la technique comme idéologie) analyse l'histoire de la modernité comme la domination de la raison instrumentale contre les autres formes de rationalité. Elle induit un rapport au monde qui consiste à traiter toute chose ou personne comme un moyen en vue d'une fin.

 

- La domination de la raison calculante : Heidegger (« La question de la technique»), puis Herbert Marcuse (L'homme unidimentionnel) mettent en avant le lien entre la domination de la technique moderne et la raison calculante. Avec la science moderne, la nature devient un objet qui est écrit en langage mathématique et qui peut être transformé en stock de réserves naturelles exploitable. La technique moderne est issue de la rationalité de la science moderne.

 

- La cage de fer et la colonisation du monde vécu : Max Weber (Ethique protestante et esprit du capitalisme) met en avant qu'avec la rationalité moderne, les sociétés modernes sont dominées par des règles formelles. Cette thématique prend la forme chez Habermas de la colonisation du monde vécu par le système.

 

Les solutions envisagées :

 

- Le primitivisme : Cette thèse est défendue par exemple par John Zerzan. Celui-ci voit dans les progrès techniques dès le néolithique l'origine des inégalités sociales. Il faut donc selon lui revenir à une forme de développement social qui correspond aux société de chasseurs-cueilleurs.

 

- Le contrôle démocratique : Cette thèse est défendue par exemple par Jurgen Habermas. Il s'agit de maîtriser les sous-systèmes de l'administration et du marché, et donc la raison instrumentale, par la raison communicationnelle.

 

- Les outils conviviaux : Ivan Illich (dans La société conviviale) propose de distinguer deux types de technologie. Les technologies qui impliquent l'existence de méga-systèmes techniques et les techniques conviviales. Les secondes se caractérisent par le fait qu'elles favorisent l'autonomie des individus qui les utilisent et non leur dépendance. Les outils conviviaux doivent donc par exemple non seulement facile à utiliser, mais également facile à réparer par l'utilisateur.

 

 

Conclusion : Il est possible de constater que l'on peut considérer que la technique est un fait naturel et ne pas accepter toute forme de techniques. Il n'y a pas une seule histoire des techniques possibles. Il y a de ce fait une distinction forte entre les techniques issues de l'expérience pratique et celles issues de la rationalité scientifique moderne qui reposent sur la raison calculante. Cette rationalité a permis l'émergence de méga-technologies qui induisent des rapports sociaux entre ceux qui dominent le processus technologique et ceux qui lui sont asservis. De fait, certains auteurs considèrent ainsi qu'il ne suffit pas d'avoir recourt à un contrôle démocratique du progrès technique, mais que la réflexion démocratique sur la technique doit comprendre une intervention sur la nature des technologies que nous produisons de manière à privilégier des outils conviviaux.

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