Les dimensions de la cage d'acier



Quelles sont les différentes dimensions de la cage d’acier de la modernité et comment son quadrillage s’est-il resséré ?

Le temps social dans nos sociétés modernes occidentales peut-être découpé principalement en trois temps: a) travail et loisirs b) temps physiologique (dormir, manger…) c) temps libre ou de loisirs. (voir enquêtes INSEE). C’est sur l’ensemble de ces temps que s’étend l’emprise du techno-capitalisme.


- La cage d’acier du néolibéralisme: Le marché néo-libéral n’est pas un fait naturel. Il est le produit d’une construction historique et sociale. Cette construction fabrique les comportements des individus en les transformant en des hommes économiques.

Cette transformation de l'individu en entrepreneur néo-libérale s'effectue également par une injonction à être un individu autonome et visant la performance. En effet, l'homo oeconomicus est avant tout un individu et il est mis en concurrence avec d'autres individus. Il se doit d'être dans cette compétition d'inter-individuelle le plus performant possible.


Ref: Christian Laval, L’homme économique

Christian Laval et Pierre Dardot, La nouvelle raison du monde

Daniel Cohen, Homo oeconomicus

Alain Eherenberg, La fatigue d'être soi.

Isabelle Queval, Le corps aujourd'hui (sur l'injonction à la performance).

Habermas, Théorie de l'agir communicationnel (cf. la colonisation du monde vecu).



- La cage d’acier du travail:

Avec le mouvement des enclosures des communs, les paysans ont été contraints à l’exode rural vers le monde urbain et à vendre leur force de travail dans les usines. La première cage de fer a été la discipline de l’usine avec ses règlements au XIXe. L’organisation scientifique du travail de Taylor et la chaîne de montage, dans les années 1920, ont constitué un deuxième moment du resserrement de la cage d’acier.

Aujourd’hui, les modes d’organisation de la cage d’acier managériale se sont transformés, mais les psychologues du travail ont montré que derrière leur apparente souplesse, se cachait l’augmentation des psycho-pathologies du travail (stress, souffrance , dépression, burn-out, suicide au travail…). En effet, les formes en apparence souple de managérialisation, se caractérisent par une course à la performance et aux objectifs appuyée sur une “tyrannie de l’évaluation”. En outre, à côté des formes en apparence souples de managérialisation, se développent également des formes rigides de néo-taylorisation du travail: travail des caissières (avec explosition des troubles musculo-squelettiques), lecture de scripts rigides dans les call-center...


Ref: Christophe Desjours, Souffrance en France

Angelique Del Rey, La tyrannie de l’évaluation

"La mise à mort du travail" (Documentaire en 3  parties)


- La cage d’acier des loisirs - l'industrie du divertissement -: Le temps libre de son côté est colonisé par les industries du divertissement. La forme la plus exacerbée de cette colonisation psychique est celle de l’addiction: à la télévision, aux jeux videos, aux réseaux sociaux… L’industrie du divertissement étudie ses productions de manière à ce qu’elles ne soient pas uniquement consommées pour elles-mêmes, mais qu’elles deviennent le véhicule d’autres pratiques de consommation. C’est en particulier en travaillant avec les neurosciences que ces industries essaient d’agir sur le circuit neuronal de la récompense considéré comme la source des comportements addictifs. Mais cette colonisation du temps libre, s’effectue également par le biais des théories du développement personnel et par le sport. En ce qui concerne le sport, il désigne une forme spécifique et historiquement construite d’activité physique orientée selon les règles de la compétition. Le developpement personnel est orienté quant à lui par l’idéologie hédoniste du bien-être qui s’articule en définitive parfaitement avec les finalités hédonistes de l’homme économique.


Ref: Roberto Casati, Contre le colonialisme numérique

Jean-Marie Brohm, La tyrannie sportive, critique d’un opium du peuple.

Robert Ebguy, Je hais le développement personnel


- La cage d’acier de la communication médiatique et publicitaire: Soumis aux logiques capitaliste de l’audimat, l’information tend à devenir infotainement (mélangeant les structures de l’information et du divertissement). La publicité, insérée dans les productions de l’industrie du divertissement, vise à produire, chez les individus, le désir des produits de consommation et à favoriser la pulsion d’achat.


Ref: Groupe marcuse, De la misère humaine en milieu publicitaire

Pierre Bourdieu, Sur la télévision

Guy Debord, La société du spectacle.


- La cage d’acier “des choses” et le travail du consommateur: Le monde des choses, produites par l’industrie capitaliste, n’est pas un monde neutre. Il induit des normes de comportements. Ces objets sont étudiés de manière à produire des habitudes de comportement chez les consommateurs. En particulier, ces choses induisent de le transformer en travailleur gratuit comme par exemple par l’impression soi-même de ses billets de transport.


Ref: Jean-Michel Besnier, L’homme simplifié

Marie-Anne Dujarier, Le travail du consommateur

Georges Perec, Les choses (roman)


- La cage d’acier de l’espace/temps social capitaliste: Le temps social s’est accéléré, tandis que l’espace s’est rétréci et a été quadrillé et organisé par les urbanistes et les paysagistes.... L’accélération du temps social se traduit par une augmentation du stress: alors que l’accélération du temps devrait donner l’impression de libérer du temps, elle conduit à faire plus d’activités dans le même temps.


Ref: Hartmut Rosa, Accelération

Paul Virilio, Penser la vitesse (entretien)

Elisabeth Pelegrin-Genel, Des souris dans un labyrinthe


- La cage d’acier étatique et sécuritaire: La cage d’acier est également celle de la production des normes juridiques par les Etats et les institutions supra-étatiques (normes qui se trouvent transposées en droit interne). Cette production de normes se double de la cage d’acier de la surveillance globalisée.


Ref: Béatrice Hibou, La bureaucratisation du monde.

Armand Mattelart, La globalisation de la surveillance

Armand Mattelart et André Vitalis, Le profilage des populations.


- La cage d’acier numérique et algorithmique:

A l’ère des nouvelles technologies du numérique, on assiste à une hybridation entre la raison néo-libérale et la raison algorithmique. L’existence se trouve colonisée par le monde virtuel des écrans. Les objets numériques sont connectés entre eux: c’est l’ère de l’hyperconnexion Les big data sont utilisées afin d’effectuer des analyses prédictives ou dans la prise de décision. Il s’agit en particulier de prévoir les comportements des consommateurs par le biais du marketing predictif.


Ref: Eric Sadin, La vie algorithmique

Cedric Biagini, L’emprise numérique.


- La colonisation du temps physiologique: Le temps physiologique se trouve également colonisé par la cage d’acier. Nos manières de manger sont liées aux produits de la grande distribution. Il faut être dans une logique de résistance qui est celle du “do it your self” issu des hippies des années 60/70 pour tenter d’échapper mais avec difficulté à la perte de savoir-faire engendrée par la production standardisée de biens de consommation dans l’espace domestique. Mais c’est également, le sommeil qui se trouve colonisé à travers une diminution continue du temps physiologique de sommeil. Cette colonisation technologique du biologique s’attaquent également à la reproduction de l’être humain ou encore à la bio-surveillance (“quantified self”).


Ref: Jonathan Crary, 24/7 - le capitalisme à l’assaut du sommeil.

Alexis Escudero, La reproduction artificielle de l’humain

Habermas Jurgen, L'avenir de la nature humaine - Vers  un eugénisme libéral


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