L’enseignement comme engagement militant



Quel type de formation des enseignants pour lutter contre la reproduction des inégalités scolaires ?


Une reproduction sociale de masse


La France est le pays de l’OCDE qui reproduit le plus les inégalités sociales à l’école. Cela se couple avec une ségrégation socio-spatiale qui conduit à concentrer les difficultés sociales et scolaires plus particulièrement dans certains établissements. Parallèlement à cela, on constate une intensification des stratégies scolaires des familles des classes moyennes supérieures pour optimiser la réussite scolaire de leurs enfants.


Face à cette situation, on peut douter que le modèle de la professionnalisation par compétences soit en mesure de relever le défi des inégalités sociales. Il faut pour cela un rapport à l’enseignement qui implique une conscience des inégalités sociales.


La fonction de l’enseignant, dans son rapport aux inégalités sociales, ne peut reposer sur l’illusion de donner un emploi à tous: l’école n’est pas en elle-même créatrice d’emplois. L’’enseignement, lorsqu’il se donne pour horizon de lutter contre les inégalités sociales, ne peut accepter non plus de se situer dans une logique de compétition sociale visant à obtenir les meilleurs postes. Ceux-ci sont nécessairement limités à la constitution d’une élite sociale.


L’enseignement, lorsqu’il est conçu comme un engagement dans la lutte contre la reproduction des inégalités sociales, doit être pensé comme ce qui permet aux élèves des classes populaires d’acquérir des outils qui pourront être par la suite utilisés comme des armes de critique sociale et de lutte.


Une pédagogie de classe sociale


Une pédagogie de classe sociale est une pédagogie qui permet aux élèves des classes populaires d’acquérir des outils de lutte.


Cette pédagogie est tout d’abord une pédagogie critique de l’idéologie du don et qui valorise le travail. En effet, le présupposé selon lequel certains élèves seraient naturellement scolairement plus doués que d’autres risque de naturaliser les inégalités sociales. Il s’agit au contraire de valoriser auprès des élèves l’attitude selon laquelle c’est par le travail que l’on développe son intelligence.


Une pédagogie de classe sociale est donc tout d’abord une pédagogie qui valorise l’engagement dans la tâche c’est-à-dire la capacité à faire preuve d’enthousiasme, de détermination et de persévérance face à une activité. Mais le travail scolaire proposé ne doit pas être de n’importe quelle nature: il ne peut s’agir d’un travail scolaire aliénant et aliéné.


L’engagement dans la tâche est nécessaire pour développer la mémoire sémantique. Cela passe par un travail spécifique pour faire acquérir un vocabulaire étendu aux élèves et cela dès la maternelle. En effet, on sait que les inégalités sociales commencent dès cette époque. L’étendue de la mémoire sémantique et la structuration des connaissances sont deux des qualités qui caractérisent ceux qui deviennent des experts dans un domaine.


La pédagogie de classe sociale doit être en outre attentive à faire travailler les inférences. En effet, il ne s’agit pas seulement de savoir déchiffrer pour lire correctement. Il faut également comprendre ce qu’on lit. Cela suppose d’effectuer des inférences. La maîtrise des inférences doit être travaillée dès la maternelle à l’oral. En effet, on sait que les élèves, qui sont de mauvais compreneurs à l’écrit, sont pour partie, dès avant également, de mauvais compreneurs à l’oral.


Une pédagogie de classe sociale doit être une pédagogie explicite. Elle doit s’attacher à expliciter les stratégies d’apprentissage. L’enseignant doit donc avoir recours à un modelage métacognitif. En effet, il s’agit d’éviter les malentendus cognitifs des élèves. Ceux-ci doivent se rendre compte que ce que l’on attend d’eux n’est pas une attitude passive, mais une activité mentale.


L’enseignant doit encourager la lecture personnelle. En effet, la lecture permet une meilleure maîtrise du langage et de compenser des inégalités liées au milieu social. Une heure de lecture en moyenne par jour à 15 ans, se traduit par près d’un an de différence de niveau scolaire par rapport à un élève qui lit peu. Mais un tel encouragement à la lecture ne saurait être possible sans que l’enseignant lui-même soit un lecteur expert et régulier. Son engagement en tant qu’enseignant suppose une congruence entre son discours et ses actes, qui est susceptible de conférer une crédibilité et une authenticité à ses encouragement à lire.


Une pédagogie critique


Une telle pédagogie de classe sociale doit inciter l’élève à adopter un rapport au savoir qui l’habitue à chercher dans la lecture et l’écriture, les moyens de développer des armes intellectuelles reposant sur le savoir et la réflexion. L’enseignant doit donner un sens aux savoirs en faisant des liens avec la réalité sociale que vivent les élèves et en leur montrant en quoi explicitement ce qu’on leur apprend constitue des armes dans la lutte de classes sociales.


Le travail scolaire qui est proposé ne doit ainsi pas être aliénant. Il doit au contraire encourager une curiosité et une créativitté intellectuelle qui dépassent les obligations du programme scolaire et des notes. Ces derniers ne sont pas une finalité en soi. Ils ne sont que des obligations minimales. Mais les objectifs de l’enseignant militant doivent se situer au-delà d’un socle commun. En effet, l’on sait que ce sont les enseignants les plus exigeants qui font le plus progresser les élèves. Mais l’exigence doit être couplée avec la bienveillance: en effet, ce sont les élèves les plus faibles qui tendent à se décourager le plus facilement.


Cet objectif en particulier que doit se fixer l’enseignant militant consiste à développer la pensée sociale critique des élèves. Son objectif est de faire entrer l’élève dans la lecture et l’écriture en particulier en lui donnant à lire, à discuter et à écrire sur les réalités liées aux inégalités sociales. Son objectif doit être d’aider à forger une conscience sociale sans pour autant embrigader les esprits.


Conclusion:


Concevoir l’enseignement comme un engagement militant contre les inégalités sociales implique plusieurs conséquences. Un tel engagement ne peut se contenter de déclarations générales sur la formation à l’esprit critique et à l’autonomie qui seraient applicables à tous les élèves quel que soit le milieu social. L’enseignant doit se donner pour objectif de fournir les outils d’une critique sociale qui seront des armes de lutte. Un tel engagement militant implique de la part de l’enseignant un rapport au savoir exigeant: il doit se tenir au courant des avancées de la recherche en éducation et de la situation sociale de manière à fournir un enseignement critique efficace et actualisé aux élèves des classes populaires.

Une pédagogie de lutte de classe, au risque de choquer les bonnes âmes, n’est pas une pédagogie qui se donne pour objectif premier le bien-être de l’élève et l’épanouissement de sa personnalité. Non, pas que cela ne soit pas des objectifs estimables, mais ce ne sont pas les priorités d’une pédagogie de lutte de classe. Le bien-être scolaire véritable ne peut être que la conséquence de la fierté que l’élève tire d’un travail scolaire créatif. L’épanouissement de la personnalité et le bien-être comme finalités premières ne peuvent être qu’un leurre dans une société où domine l’inégalité et la luttes des classes. La première finalité, c’est de fournir les outils qui pourront devenir des armes de lutte sociale.


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