La pédagogie interculturelle critique

 

 

ou comment décoloniser la pédagogie

 

La pensée décoloniale désigne un courant intellectuel de recherche contemporain en Amérique latine. Ce courant est orienté autour de la critique de la colonialité.

 

Qu’est-ce que la pensée décoloniale ?

 

Parmis les principaux auteurs décoloniaux, on peut citer Ramon Grosfuguel, Anibal Quijano, Walter Mignolo, Enrique Dussel ou encore Catherine Walsh.

 

Pour les penseurs latino-américains de ce courant, la colonialité désigne un régime de pouvoir né avec la colonisation du monde par l’Europe à l’époque moderne, mais qui n’a pas été aboli par la décolonisation.

 

La colonialité désigne une forme d’organisation du pouvoir qui s’exerce:

  • par le racisme

  • dans les rapports de genre et de sexualité

  • dans l’organisation du travail et de l’économie

  • dans l’organisation du pouvoir politique

  • dans la domination de la nature

  • à travers une certaine épistémè

et qui colonise les subjectivités.

 

La pensée décoloniale appelle à édifier une nouvelle forme de pensée qui dépasse la rationalité moderne issue des lumières et la critique postmoderne de la raison occidentale. Elle appelle à produire une transmodernité. Elle s’oppose aux fondamentalismes comme fantasme de retour à la pré-modernité.

 

La pensée décoloniale n’appelle pas à récuser la rationalité moderne occidentale, mais à l’élargir en l’ouvrant à d’autres traditions de pensée. Cela signifie que la transmodernité implique une pensée des frontières.

 

Elle appelle également à admettre qu’il n’y a pas une seule voie de développement pour atteindre les idéaux d’émancipation. C’est pourquoi les penseurs décoloniaux utilisent le terme de pluriversalisme, plutôt que d’universalisme.

 

Qu’est-ce qu’une pédagogie décoloniale ?

 

En Amérique latine, Catherine Walsh jette les bases d’une pédagogie décoloniale qu’elle appelle pédagogie interculturelle critique. La pédagogie interculturelle critique se situe dans la continuité de la pédagogie critique de Paulo Freire, mais en intégrant les apports de la pensée décoloniale. On peut se demander alors ce que pourrait être une pédagogie interculturelle critique en France.

 

On peut voir le processus de décolonisation comme un mouvement qui est plus ancien que la pensée décoloniale, mais qui n’est pas terminé:

le mouvement féministe, les mouvements anti-coloniaux peuvent être considérés comme des étape de ce processus de décolonisation, de lutte contre le régime de colonialité du pouvoir.

 

Mais la décolonisation n’est pas un processus achevé et elle consiste en particulier à admettre que la transmodernité suppose d’élargir l’universel des Lumières pour le rendre conforme à la réalité multiculturelle de la société française.

 

La transmodernité, en France, serait alors le dépassement-accomplissement du projet d’émancipation des Lumières sous l’effet de la critique et des luttes des subalternes.

 

Ainsi, une pédagogie décoloniale:

 

  • suppose de traiter les programmes d’histoire à partir du point de vue des subalternes. Par exemple, on peut se demander dans quelle mesure il est légitime de traiter les colonisations à partir de la perspective de l’Europe (Subalterne studies).

 

  • on peut également s’interroger sur le fait de parler de “valeurs de la République” lorsque l’on traite de la lutte contre le racisme, le sexisme ou encore l’homophobie comme si la République française avait le monopole de ces valeurs. Cela suppose de traiter ces valeurs à partir de la perspective d’un dialogue interculturel (Enrique Dussel) si l’on considère qu’il s’agit de valeurs humaines et non pas uniquement françaises.

 

  • Décoloniser la pédagogie, cela supposerait sans doute également d’adopter une conception plus inclusive de la laïcité adaptée à une société multiculturelle (Jean Bauberot)

 

  • Cela suppose également de se soucier du ressenti des élèves filles, culturellement construit, relativement par exemple aux mathématiques et aux sciences. De ce fait, un enseignement de ces disciplines, qui intègre davantage d’histoire culturelle, peut leur être bénéfique.

 

  • Cela implique de déconstruire les implicites de la construction de la masculinité hégémonique dans ce qu’elle peut faire échec à l’acquisition des savoirs critiques. A contrario, cela suppose de déconstruire les implicites de la féminité dans ce qu’ils peuvent construire de soumission sociale.

 

  • Cela suppose de ne pas séparer les enseignements de sciences, de techniques et d’économie des enjeux éthiques et environnementaux qu’il posent de manière à ne pas s’en tenir à une conception limitée de la rationalité, mais de l’ouvrir à une rationalité humaniste.

 

  • Cela suppose d’enseigner plus explicitement afin que les élèves des milieux populaires, qui sont moins connivents avec le système scolaire, puissent être moins en situation d’échec. (Bourdieu)

 

 

  • Cela suppose de repenser les rapports d’autorité au sein de la classe à partir du dialogisme critique (Freire): à savoir un mode d’interaction entre l’enseignant et les élèves, organisé autour du questionnement, qui favorise un rapport critique aux savoirs.

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