Vers une pédagogie critique en France

 

 

Courant largement reconnu à l’étranger, la pédagogie critique, issue de Paulo Freire, n’est que peu connue en France. Se pose dès lors la question de l’adaptation de cette pédagogie critique en France. Voici quelques questions qui ont été posées lors d’interventions en France sur la pédagogie critique.

 

La pédagogie critique affirme que l’école n’est pas neutre, que toute éducation est politique. Est-ce que cela ne conduit pas l’enseignant à sortir de l’obligation de neutralité ?

 

La pédagogie critique ne prône pas l’affiliation à un parti politique. Elle est orientée vers la lutte contre les inégalités sociales de classe, de sexe, de racisation… En cela, elle ne contrevient pas à la demande qui est fait aux enseignants d’être engagés dans la transmission des valeurs de la République. Au contraire, elle constitue un moyen de favoriser cette transmission.

 

La pédagogie critique n’entend pas s’appuyer sur des opinions individuelles, mais sur des savoirs critiques issues des sciences sociales. En outre, les pédagogues critiques affirment que le discours critique qu’ils abordent en classe ne constitue qu’une tentative de résistance contre-hégémonique face au discours mercantile qui domine la société à travers les médias de masse et dont sont abreuvés les élèves.

 

Peut-on pratiquer la pédagogie critique dans une classe où les élèves sont issus de milieux sociaux différents ?

 

Tout d’abord, il est possible de remarquer qu’il existe des zones scolaires où la mixité sociale a presque disparu. Dans ce cas, la pédagogie critique peut prendre appui sur l’analyse et la conscientisation de cette réalité.

 

En outre, il est possible de constater que l’on ne pose pas ces questions concernant l’inégalité filles/garçons. Les enseignants abordent bien cette question en classe, pourquoi n’aborderaient-ils pas d’autres discriminations, comme celles liées à la classe sociale ou au racisme.

 

En Amérique du nord, on considère qu’il s’agit de faire prendre conscience aux dominants de leur propre privilèges sociaux et que dans leur attitude et dans leur engagement ils puissent prendre la décision de lutter pour les réduire. Par exemple, il peut s’agir de lutter contre des comportements sexistes, racistes ou encore des attitudes classistes entre élèves.

 

A l’inverse, il s’agit d’encapaciter les élèves dominés socialement pour qu’ils puissent lutter contre les rapports sociaux de domination dont ils sont victimes.

 

Peut-on parler avec des élèves, mêmes jeunes, des conditions sociales et des inégalités sociales qu’ils subissent ?

 

Cette réticence que semblent ressentir les enseignants français à aborder ces thématiques avec les élèves, en particulier les plus jeunes, ne semble pas être partagée par les pédagogues critiques étrangers. Ils estiment qu’il s’agit au contraire d’apporter des réponses face à des situations que vivent les élèves et face auxquelles ils ont besoin d’avoir des réponses et de proposer un discours sociologique qui apporte du sens.

 

Que faire face aux élèves qui opposent des résistances face aux discours critiques ?

 

Les pédagogues critiques, comme Paulo Freire, considèrent qu’il s’agit de favoriser le dialogue et qu’il est au contraire souhaitable que les élèves puissent exprimer des objections à l’égard de ce que dit l’enseignant et qu’un dialogue puisse s’engager.

Néanmoins, la pédagogie féministe critique a émis des limites face au dialogue en disant que celui-ci pouvait aboutir à réitérer les violences sociales que subissent les dominés. Il faut sans doute, de ce fait, poser des limites dans la manière dont le dialogue se déroule en élaborant un cadre “safe”: favoriser la parole de ceux qui ne parlent pas par l’usage d’une double liste, bannir des manières de prendre la parole qui réitèrent les formes de violences sexistes ou autres… par une communication non-violente.

 

Quelles pratiques proposent les pédagogues critiques pour lutter pour une transformation de la société vers plus de justice sociale ?

 

La pédagogie critique, contrairement à d’autres approches issues de l’école nouvelle, comme par exemple la pédagogie Freinet, ne se concentre pas sur les techniques pédagogiques en classe.

Elle ne vise pas à révolutionner la classe, mais la société (dixit Paulo Feire). De même, la pédagogie critique ne s’appuie pas sur la psychologie des apprentissages. Sur ce plan, les pédagogues critiques considèrent que les enseignants doivent se former aux théories scientifiques actuelles pour appuyer leur enseignement.

La pédagogie critique se caractérise avant tout par son projet pédagogico-politique. De ce fait, elle se donne pour objet de mettre en oeuvre un savoir critique et un rapport critique aux savoirs. Cela passe en particulier par la divulgation des curricula cachés de l’école, qu’ils soient de genre, de classe ou autre…

Les pédagogues critiques s’appuient certes sur des pratiques, mais celles-ci sont la conséquence de leur projet plus que ce qui permet d’identifier la pédagogie critique: prise en compte du vécu de l’oppression, problématisation, dialogue…

 

La pédagogie critique, par son rapport critique aux savoirs, n’est-elle pas élitiste ?

 

Il est certain que les capacités critiques sont mieux maîtrisées par des élèves qui ne sont pas en difficulté scolaire. Mais en s'intéressant à la réalité de l’oppression vécue, la pédagogie critique peut être un apport pour les élèves les plus socialement dominés, qui sont également ceux qui sont le plus souvent en difficulté scolaire. Il ne faut pas oublier que la pédagogie critique s’est développée dans les pays du Sud (en particulier au Brésil), dans une perspective de lutte sociale contre les inégalités.

 

Mais si la pédagogie critique est développée à l’étranger, dans une certaine mesure, quel est son impact réel ? A-t-elle réussi à changer quoi que ce soit ?

 

Il est possible de se demander dans quelle mesure l’arrivée au pouvoir de plusieurs gouvernements très à gauche en Amérique latine au tournant des années 2010 n’est pas lié également à l’effet de la conscientisation par la pédagogie critique auprès des élèves et des étudiants.

 

De même, le mouvement Black Lives Matter, aux USA, a été impulsé par trois jeunes femmes se réclamant du Queer Of Colors. Il est possible également de s’interroger sur l’impact d’une pédagogie critique dans l’émergence de ce mouvement.  

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