Usage politique des “bons” et des “mauvais” immigrés

 

 

  • L’exemple des portugais -

 

Cet article vise à analyser la récurrence de la construction de l’immigré portugais comme “bon immigrés” et son usage politique.

 

 

Persistance de la construction de la figure du bon travailleur portugais

 

Voici pour commencer une citation du rapport du commissaire du travail et de l'industrie à Hawaï: 1902 : « Les Portugais étaient largement employés dans les professions semi-qualifiées des plantations, bien que 1183 des 2663 sur les listes de paie soient répertoriés comme travailleurs dans les champs. Ces personnes sont des bons éléments pour la population. Ils sont à la fois laborieux et frugaux, et leurs vices ne sont pas de sorte à nuire à leur efficacité en tant que travailleurs. Ils font de bons citoyens, et bien que ceux de la première génération soient généralement analphabètes et opposés à envoyer leurs enfants dans les écoles publiques, ils s'américanisent rapidement ».

(URL:https://iresmo.jimdo.com/2017/04/13/caucasien-mais-pas-blanc-la-race-et-les-portugais-%C3%A0-hawaii/ )

 

A Hawaii, les Portugais n’étaient pas autorisés à occuper les postes de direction, à la différence des autres immigrés d’origine européenne, mais ils pouvaient, contrairement aux immigrés asiatiques, prétendre aux postes de contremaîtres.

 

Et voici maintenant un extrait d’un rapport de 2010 sur l’immigration portugaise en Suisse, intitulé “Les Portugais en Suisse” : “On en vient ainsi au point crucial de la valorisation de la formation par rapport à l’insertion directe dans le monde du travail. La centralité de la valeur du travail dans la culture portugaise, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, amènerait les parents à privilégier celui-ci au détriment de la formation. Certains de nos interlocuteurs argumentent dans ce sens. Plusieurs études montrent, chez les Portugais, une préférence pour des études courtes, plutôt professionnelles ou techniques, privilégiant ainsi une recherche d’emploi rapide avec, à la clé, un accès plus aisé au monde du travail”. (URL:

http://www.swissinfo.ch/media/cms/files/swissinfo/2010/12/diasporastudie_portugal_f-29092438.pdf )

 

Le rapport suisse fait également un comparatif de l’immigration portugaise en France, Canada et Allemagne, soulignant que des constats similaires sont effectués par les chercheurs de ces différents pays.

 

On constate qu’à un siècle de différence, les Portugais sont présentés par les rapports officiels comme une bonne main d’oeuvre pour les emplois semi-qualifiés ou non-qualifiés. On peut également souligner la manière dont ces rapports mettent en valeur une relation particulière de l’immigration portugaise à l’école.

 

La reproduction sociale au sein de l’immigration portugaise, n’est pas analysée comme un effet de l’inégalité sociale au sein du système scolaire, mais comme un effet des familles portugaises qui, étant peu qualifiées et valorisant avant tout le travail, seraient rétives à la poursuite des études de leurs enfants. Ainsi, la responsabilité n’est pas portée sur le système scolaire, mais sur les familles immigrées faiblement instruites et peu qualifiées.

 

La représentation de l’ouvrier portugais en France

 

L’historien Xavier Vigna, dans son ouvrage L’espoir et l’effroi (La Découverte, 2016), cite une classification de 1919 reposant sur le Tableau du rendement des travailleurs étrangers: “3. Portugais. Bonne main d’oeuvre. Dociles. Aptes aux travaux de force. (...) 6.Kabyles. Assez bonne main d’oeuvre (au moins depuis 1916 car le recrutement antérieur laissait à désirer)”.

 

Xavier Vigna cite également un texte de 1926: Concernant la main d’oeuvre étrangère de Race blanche, les portugais sont présentés comme des travailleurs “sobres à l’excès par esprit d’économie” qui se sont révélés comme “manoeuvres adroits, capables de s’adapter aux machines, ou parfois, des hommes d’une vigueur exceptionnelle pour les travaux de fonderie. (...) Mais c’est surtout dans les travaux de plein air que les travailleurs portugais allaient pouvoir donner leur mesure”.

 

Nicolas Jounin, dans ses travaux sur le secteur du bâtiment, rappelle la persistance de la hiérarchisation ethnico-raciale des ouvriers:

 

“ * Les conducteurs de travaux sont des ingénieurs ou des titulaires de BTS, embauchés dans l’entreprise générale, Français nés en France.

* Les chefs de chantier, issus du rang ouvrier, embauchés dans l’entreprise générale (ou dans l’entreprise sous-traitante, mais en réalité dans ce cas ils sont en dessous du chef de chantier de l’entreprise générale ; ex. ferraillage) ; sont nés en France ou bien dans un pays européen (Italie, Espagne et surtout Portugal).

* Les chefs d’équipe de l’entreprise générale, dont certains sont intérimaires ; généralement immigrés d’Europe communautaire (principalement portugais), quelques Maghrébins. Les chefs d’équipe des entreprises sous-traitantes de ferraillage sont plus souvent intérimaires, et plus souvent maghrébins.

* Les coffreurs dépendent de l’entreprise générale. Suivant les chantiers, entre 40 et 80% d’entre eux sont embauchés par l’entreprise générale, les autres étant intérimaires. La plupart sont portugais ; surtout les embauchés.

* Les ferrailleurs dépendent le plus souvent d’une entreprise sous-traitante. Les responsables de chantier sont embauchés, portugais, les ferrailleurs sont quasi-exclusivement des immigrés maghrébins, et quasi-exclusivement intérimaires. (Les ¾ des effectifs des entreprises de ferraillage sont intérimaires). Lorsque le ferraillage n’est pas sous-traité, il y a moins d’intérimaires, et le profil de l’effectif est plus diversifié.

* Les manœuvres dépendent de l’entreprise générale ou d’une entreprise de démolition mais, sauf exception, sont tous intérimaires. Principalement des Africains de l’ouest (Mali, Sénégal)”.

(Le racisme en chantier (2006) -

URL: http://www.gref-bretagne.com/Public/publications_2006/le_racisme_en_chanti )

 

Voir également: Nicolas Jounin, « L’ethnicisation en chantiers. Reconstructions des statuts par l’ethnique en milieu de travail », Revue européenne des migrations internationales. URL : http://remi.revues.org/2025

 

La Figure du bon et du mauvais immigrés

 

Dans le discours public en France, comme l’ont souligné plusieurs auteurs (voir infra), le portugais est construit comme la figure du bon travailleur que l’on instrumentalise comme versant positif de l’image de l'immigré en France contre d’autres immigrations: maghrébine, sub-saharienne en particulier.

 

Cette dichotomie a été plus particulièrement instrumentalisée en France par le Front national. Cela lui permet de paraître moins comme un parti anti-immigré que comme un parti contre les “immigrés qui foutent la merde”. Elle est utilisée afin de renforcer la stigmatisation de certaines populations immigrées en construisant à l’inverse une autre figure de l’immigration qui sert à renforcer l’effet repoussoir.

 

Ce faisant, ce discours a également un impact au sein des immigrés et descendants d’immigrés. Ainsi, les Franco-portugais peuvent avoir tendance à s’identifier à cette image du “bon immigré”, travailleur et qui ne pose pas de problème.

 

Références:

 

Albano Cordeiro, “Portrait des “bons immigrés”, Le Monde diplomatique, 1985. URL: https://www.monde-diplomatique.fr/1985/12/CORDEIRO/38927

 

Dos Santos Hugo, “Les bons et les mauvais” (2015). URL: http://www.memoria-viva.fr/les-bons-et-les-mauvais-par-hugo-dos-santos/

 

Espirito Santo Ines, A construção da imagem do “bom trabalhador portugûes em França” (2016). URL:http://www.memoria-viva.fr/a-construcao-da-imagem-do-bom-trabalhador-portugues-em-franca-par-ines-espirito-santo/

 

Georges Da Costa, “Des bons et des mauvais immigrés: la communauté portugaise et le FN” . avril 2017.

URL:https://blogs.mediapart.fr/georges-da-costa/blog/240417/des-bons-et-des-mauvais-immigres-la-communaute-portugaise-et-le-fn