D’une confusion entre épistémologie et éthique professionnelle

 

 

Peut-on présupposer a priori, sur le simple fait qu’un chercheur est engagé sur le plan militant, par exemple politiquement, qu’il pourrait avoir un problème de déontologie professionnelle ?

 

Une controverse épistémologique concernant la recherche scientifique

 

Max Weber, dans Le métier et la vocation de savant, argumente que le chercheur doit se caractériser par la neutralité axiologique. Il s’agit là d’une thèse épistémologique qui prétend définir une éthique professionnelle.

 

Néanmoins, il s’agit avant tout d’une thèse épistémologique qui est l’objet de controverses dans le champ scientifique.

 

Par exemple, le courant pragmatiste, avec Dewey ou Putnam, défend au contraire que les faits et les valeurs sont inséparables. Il ne peut donc pas y avoir de neutralité axiologique.

 

De son côté, l’épistémologie féministe affirme que tout sujet de l’énonciation, fusse-t-il un chercheur, possède une position sociale qui constitue un point de vue sur son objet de recherche.

 

On peut alors se poser la question en allant plus loin, en prenant l’exemple d’un chercheur/se qui serait engagé en tant que militant dans sur son terrain de recherches. Il n’est pas possible de présupposer que cela disqualifierait d’emblée ses conclusions. En effet, en faisant cela, on tombe dans le cas d’un argument ad personam. On ne juge pas de la qualité de ses travaux, mais on le disqualifierait simplement pour ce qu’il est ou elle est. Si une personne est noire et qu’elle travaille sur la condition noire, son travail serait par exemple d’emblée disqualifié parce qu’elle est parti prenante dans son sujet.

 

La thèse défendue par Weber n’est donc pas un dogme intangible de la recherche scientifique, mais uniquement une thèse épistémologique parmi d’autres dans le champ scientifique.

 

L’éthique professionnelle de l’enseignant-chercheur

 

L’éthique professionnelle constitue un champ de réflexion qui s’inscrit dans les bornes du droit positif existant.

 

Concernant les enseignants-chercheurs dans le public, ils sont, comme tout fonctionnaire public, protégés par le droit: “La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses” (article 6 de la loi du 13 juillet 1983).

 

Les libertés académiques reconnaissent à l’enseignant-chercheur: “Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité” (Code de l'éducation, Article L. Article L952-2).

 

Le droit indique donc qu’on ne peut pas présupposer a priori qu’un enseignant-chercheur serait susceptible de manquer d’éthique professionnelle simplement du fait d’un engagement militant politique ou syndical. Interroger un chercheur sur la compatibilité de ses engagements pour juger de ses compétences à exercer ses fonctions porte atteinte à ses libertés publiques.

 

Si on prend le cas d’une personne qui est engagée sur le plan militant dans le cadre de son terrain de recherche peut-on alors dans le cas d’un concours de recrutement de la fonction publique lui poser des questions d’éthique professionnelle sur l’engagement militant sur la base de travaux où il est précisé explicitement qu’elle est engagée syndicalement ou politiquement. ?

 

Si on s’attache à une analyse du droit positif, une question spécifique à un candidat qui est lié à son engagement militant, politique ou syndical, est discriminatoire. Si cette question porte sur ses travaux et que ses travaux mentionnent un engagement militant politique ou syndical, il s’agirait alors d’une discrimination indirecte si on lui demande, non pas de présenter ses travaux ou de défendre une position épistémologique, mais de se justifier de son éthique professionnelle en relation avec son engagement militant.

 

ll appartient sans doute aux jury de concours d’être le plus prudents possibles et le plus clairs dans la formulation de leurs questions aux candidats pour que celles-ci ne risquent pas de constituer une discrimination indirecte.

 

Cela d’autant plus que les travaux présentés par le candidat dans son CV ont déjà été jugés par des pairs sur le plan scientifique. Il ne s’agit donc pas de la soutenance d’un diplôme, mais d’un concours de recrutement à un emploi public.

 

Soit le jury pose des questions sur le contenu des travaux ou d’épistémologie, soit il pose des questions d’éthique professionnelle. Mais, il ne peut pas juger de l’éthique professionnelle d’un chercheur en lui demandant de se positionner par rapport à son engagement militant ou à des travaux qui mentionnent un engagement militant syndical ou politique.

 

Science et conscience: l’honneur des intellectuels.

 

Néanmoins, le fait qu’il ne faille pas confondre épistémologie et éthique professionnelle ne signifie pas que le chercheur ne puisse pas se donner comme éthique d’intervenir dans l’espace public ou d’orienter ses recherche en fonction de valeurs émancipatrices.

 

C’est ce que rappelle la prise de position de la Conférence des Présidents des Universités contre le Front National en date du 25 avril 2017: “Nous sommes avant tout des enseignants et chercheurs convaincus qu’une science libre et l’accès aux connaissances sont des éléments essentiels et non négociables de toute démocratie, et des droits fondamentaux humains dont chacune et chacun devrait bénéficier partout. Nous sommes déterminés à affirmer les valeurs d’universalité, de tolérance et d’ouverture aux autres. (...) La sortie de l’Union européenne, la fermeture des frontières, la police des idées, la limitation du nombre d’étudiants, enseignants et chercheurs étrangers autorisés à venir en France sont inacceptables pour nous.”

 

(URL: http://www.cpu.fr/actualite/election-presidentielle-le-bureau-de-la-cpu-appelle-a-voter-contre-lextremisme/

 

 

Conclusion:

 

“Avoir un profil militant” est souvent vu avec suspicion dans la communauté scientifique comme laissant supposer une attitude qui serait contraire à la déontologie professionnelle. Mais ce faisant, sur le simple plan des droits fondamentaux, un tel présupposé peut être considéré comme discriminatoire. On ne peut pas juger une personne sur le simple fait de ses engagements syndicaux ou politiques.