Si on admet la pertinence d’une analyse de la société en termes de rapports sociaux et de classes, comment pour autant penser le cas des mobilités interclasses.
Féminisme matérialiste et queer
Le féminisme matérialiste, comme le marxisme, a mis en avant un découpage de la société en termes de classes: classes sociales pour le marxisme ou classes de sexe pour le féminisme matérialiste.
Les théories queer, influencées par les courants postmodernes, ont mis en avant une déconstruction des identités qui conduit à déconstruire également les classes de sexe. On peut trouver également le même phénomène dans les sociologies qui remplacent les classes sociales par le réseau. Ces approches insistent sur la mobilité et la fluidité plutôt que sur la permanence des structures.
Intersectionnalité et invariants
L’approche intersectionnelle maintient des notions structurelle qui peuvent être pensées comme des classes: classe, sexe, race… Mais elle conduit elle aussi au moins en apparence à une sédimentation de ces classes. En effet, la positionnalité d’une femmes noire de classe populaire n’est pas la même que celle d’une femme blanche de classe populaire, ni qu’une femme noire de classe moyenne supérieure.
Néanmoins, ces segmentations de la réalité sociale si elle est heuristique n’empêche pas un travail visant à dégager des transcendantaux que l’on retrouve par delà la diversité des situations des sous-groupes au niveau des classes. Par exemple, les féministes blanches ont lutté pour le droit à l’avortement, tandis que des féministes racisées luttaient contre la stérilisation forcée. On peut néanmoins constater que l’invariant dans les deux est la maîtrise de la maternité. La construction de la masculinité passe pour les hommes de classes populaires par le football et pour les hommes de classe moyenne supérieure, plutôt par le tennis. Dans les deux cas, l’invariant est que la construction de la masculinité passe par la performance sportive. On peut prendre comme autre exemple d’invariants: les vêtements des femmes jugés trop couvrant (burkini) ou trop court (bikini): le sexisme se caractérise par un invariant qui est le contrôle vestimentaire des femmes
La transocialité
Néanmoins, au sein de ces structures que constituent les classes sociales avec leur rapports sociaux, il est possible néanmoins de constater qu’il existe des figures dont la place au sein des structures de classes connaît une mobilité. En effet, une certaine mobilité est ce qui distingue la caste de la classe sociale quand bien même la classe sociale possède une tendance lourde à la reproduction sociale.
Cette figure de la mobilité inter-classe, on la retrouve avec:
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les transclasses (Chantal Jacquet): ce sont des personnes qui connaissent une mobilité descendante ou ascendante entre classes sociales économiques. Elles franchissent les frontières de classes (Pasquali)
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les transidentités - transexuels et transgenres - : ce sont des figures qui sont conduites à franchir les normes du système de genre ( Comment s’en sortir ?, N°2, https://commentsensortir.org/numeros/numeros-parus/numero-2/ )
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le passing: désigne la figure de la personne racisées qui passe pour blanche. Elle est également parfois utilisé pour des trans* non-hormonés qui arrivent à passer pour des femmes ou des hommes.
Ces franchissements des frontières sociales du genre ou de couleur peuvent être en lien avec des franchissements des frontières de classes sociales. En effet, par exemple la classe sociale blanchit. Franchir des frontières de classes, c’est acquérir des privilèges sociaux qui peuvent être également présents dans d’autres classes. Par exemple, devenir un homme, c’est acquérir le privilège mâle qui se traduit entre autre par un salaire plus élevé. Par conséquent, il y a comme l’explique Danièle Kergoat une co-extensivité entre les rapports sociaux.
La positionnalité dans les rapports sociaux
Certains groupes sociaux ont une place dans les rapports sociaux qui ne les situent pas clairement dans les rapports d’oppression/privilèges sociaux.
Ainsi, si certains groupes sociaux sont clairement racialisés en France - maghrébins, “noirs”, roms- d’autres occupent une place qui ne leur confèrent pas de privilèges ou d’oppressions sociales claires: européens du sud ou de l’est par exemple.
Il en va de même pour les hommes se situant dans une masculinité subalterne, dans les rapports sociaux de genre car considérée comme trop efféminés par exemple.
Il peut également s’agir de personnes dont la position de classe sociale ne le situent pas du côté des exploités, mais pas non plus du côté des exploiteurs: c’est le cas du petit encadrement intermédiaire, des fonctionnaires ou encore des travailleurs indépendants.
Conclusion:
Si l’analyse en terme de classe sociale garde sa pertinence, elle doit être complétée par une analyse plus fine des sous-groupes produit par l’entre-croisement des rapports sociaux, des positionnement intermédiaires entre ces rapports sociaux ou encore des mobilités au sein de ces structures.