Colonialité du pouvoir et colonisation du monde vecu

Colonialité du pouvoir et colonisation du monde vécu

 

La “colonialité du pouvoir” est une notion issue de la pensée décoloniale, tandis que la “colonisation du monde vécu” provient de la théorie critique de l’école de Francfort. Pour autant est-il possible d’effectuer un rapprochement entre ces deux notions ?

 

Présentation des deux notions

 

La colonialité du pouvoir est une notion introduite par le philosophe péruvien Anibal Quijano. Elle désigne une forme d’organisation du pouvoir qui émerge avec la modernité occidentale. Cette forme d’organisation introduit une structuration raciste, capitaliste, eurocentrique, épistémique et étatique du pouvoir. La colonialité du pouvoir désigne donc l'enchâssement de l’ensemble de ces rapports de pouvoir au sein d’une même structure.

 

La colonisation du monde vécu est une notion présente chez le philosophe Jurgen Habermas. Elle désigne le fait que la vie quotidienne se trouve colonisée par la rationalité instrumentale issue de l’agir stratégique qui domine le système qui se décompose en sous-système de l’argent (le marché) et le sous-système de l’organisation (l’administration).

 

Le colonialité de la raison instrumentale

 

Il est possible de percevoir un point de jonction à partir de la réflexion entre l’épistémologie de la modernité, présente dans la pensée décoloniale, et la domination de la raison instrumentale présente dans la théorie critique.

 

L’épistémè moderne se caractérise en effet par la domination de la raison instrumentale. Cette rationalité colonise les formes d’agir qui sont extra-européennes par l’intermédiaire de l’universalisation de la forme étatique et du marché capitaliste. Les technologies issues des sciences modernes et les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent également un axe de cette colonisation du monde vécu.

 

De fait, la pensée décoloniale a intégré dans son approche la critique de la rationalité des Lumières telle qu’elle a été produite par l’école de Francfort. Il n’est donc pas étonnant de pouvoir mettre en valeur ce rapprochement.

 

La décolonisation du monde vécu

 

Mais l’on peut également se demander ce que la colonialité du pouvoir peut apporter à la notion de colonisation du monde vécu. Est-elle possible de la décoloniser ?

 

Le monde vécu chez Habermas fait référence à l’universalité de l’agir régulé qui caractérisait la rationalité du quotidien. Cet agir régulé repose sur l’agir communicationnel.

 

La pensée décoloniale oppose à l’universalisme un pluriversalisme. Cette notion reprend l’idéal d’émancipation des Lumières que met en valeur Habermas. Mais, elle fait valoir que cet idéal d’émancipation n’est pas propre aux Lumières occidentales. Le dialogue interculturel, par l’herméneutique diatopique (De Sousa Santos), montre que l’on peut le retrouver dans d’autres cultures. En revanche, le pluriversalisme met en avant la pluralité des voies pour parvenir à réaliser l’émancipation produite par la réification opérée par l’agir stratégique.

 

Conclusion:

 

 

 L’application de la colonialité du pouvoir à la colonisation du monde vécu conduit à devoir décoloniser la notion de monde vécu, qui reste tributaire d’une vision eurocentrique qui identifie la rationalité du quotidien à l’agir communicationnel. De ce fait, la notion féministe de “care” constitue un exemple opérant de la nécessité de cette décolonisation du savoir. En effet, elle met en avant la légitimité possible d’une autre forme d’agir moral que celui de l’agir communicationnel.