Non-binéarité et non-mixité

 

 

Comment aborder la situation des identités sociales non-binaires dans le cadre d’ateliers en non-mixité ?

 

Qu’est-ce qu’une identité sociale non-binaire ?

 

Dans Le manifeste du Parti Communiste, Marx oppose deux classes sociales la classe capitaliste et le prolétariat. Mais dans son ouvrage La lutte des classes en France, il distingue jusqu’à 7 classes sociales. Il existe en effet des classes sociales intermédiaires dont la position dans les rapports sociaux est ambivalente et qui sont susceptibles de basculer et de s’allier avec des acteurs différents au sein des rapports sociaux. Ainsi, les fonctionnaires peuvent s’allier ou non avec le mouvement ouvrier. Lorsque le syndicalisme révolutionnaire s’est développé au début du XXe siècle, il a mis en avant l’autonomie ouvrière. Les ouvriers s’organisent dans leurs syndicat indépendamment du patronat. Progressivement se sont constitués des syndicats de fonctionnaires, et en 1946, le droit de grève leur a été reconnu par la Constitution. De fait, les syndicats de fonctionnaires contribuent à organiser l’alliance entre les fonctionnaires et le mouvement ouvrier.

 

L’idée de non-binéarité se trouve le plus souvent associé aux identités sociales de genre, aux identités queer. Une identité sociale queer désigne des personnes dont l’expression de genre ou l’identité sexuelle échappe à la norme de la binéarité des genres. La non-binéarité peut également être une situation que vit une personne trans*. De fait, les expériences que vivent les personnes qui expriment une identité sociale de sexe ou de genre non-binaires constituent des expériences sociales différentes des personnes cisgenre ou cis-sexuelle.

 

Il est également possible de parler d’une identité sociale non-binaire dans les rapports sociaux d’ethno-racialisation. On peut parler alors d’identités sociales frontalières comme le font les féministes chicanas. Cela peut caractériser une personne racisée qui a un passing blanc. Cela peut être également le cas d’une personne provenant d’un pays dont la place est intermédiaire dans le système monde-économique capitaliste, à savoir d’un pays de la semi-périphérie. Cela peut également caractériser une personne dont la situation de migration lui fait perdre son privilège blanc. Ces personnes sont le plus souvent ethnicisées.

 

Aborder la non-binéarité en non-mixité

 

Les expériences de non-binéarité de genre ou les expériences de racisation frontalières sont des expériences qui se distinguent des places clairement antagoniques au sein des rapports sociaux. Elles peuvent donc nécessiter des groupes de paroles spécifiques.

 

De fait, il peut être intéressant que les personnes qui vivent les expériences singulières de la non-binéarité de genre (personnes queer, trans ou intersexes par exemple) puissent avoir leur propres espaces non-mixité différents des espaces de non-mixité des femmes cis ou des ateliers de déconstruction de la masculinité des hommes cis. C’est ainsi que les groupes LGBTI ont mis en place des “safe space” (espace sécuritaire).

 

De la même manière, aborder les expériences spécifiques des identités ethno-raciales ou migratoires frontalières suppose des ateliers de non-mixité spécifiques qui permettent d’aborder les situations des personnes qui partagent une situation ambivalente au sein des rapports sociaux de racisation. Cela est d’autant plus nécessaire qu’il s’agit d’expériences qui peuvent être difficilement compréhensibles pour des personnes qui ne sont pas confrontés à ces expériences et qui nécessitent des formes de théorisation spécifiques pour comprendre en quoi elles se distinguent ou se rapprochent des expériences des personnes “blanches” ou des personnes “racisées”.

 

Annexe: Prendre conscience des situations de discriminations et des privilèges que peut vivre une personne ethnicisée

 

Questions sur les discriminations que peut subir une personne ethnicisée :

 

Avez-vous eu déjà des difficultés pour renouveler vos papiers d’identité du fait que vous êtes né à l’étranger ou que vos deux parents sont étrangers ?

 

Avez-vous déjà eu des difficultés avec l’administration française, lors d’une location ou avec votre employeur, du fait de vos papiers d’identité ?

 

Avez-vous eu des difficultés avec votre nom de famille : difficulté de prononciation, refus de l’administration française d’utiliser le nom correct de vos parents ?

 

Avez-vous eu à subir des stéréotypes négatifs liés au pays dont vous ou vos parents sont originaires ?

 

Vous renvoie-t-on l’image que vous venez d’un pays pauvre, voire « arriéré » ?

 

Vous identifie-t-on du fait de votre origine à une personne qui doit avoir une profession peu qualifiée ?

 

Avez-vous déjà renoncé à expliquer à une personne votre origine migratoire parce que vous savez que l’on ne sait pas où cela se trouve ?

 

Vous attribue-t-on assez souvent une origine migratoire qui n’est pas la votre ?

 

Lorsque vous expliquez quelle est votre origine avez-vous droit à des clichés ou à des remarques exotisantes ?

 

Avez-vous déjà eu honte de vos origines car elles sont liés à des stéréotypes négatifs ?

 

Avez-vous eu à subir des blagues désagréables sur votre pays d’origine et leurs ressortissant alors que les personnes ne savent pas que vous venez de ce pays ?

 

Avez-vous eu à subir des remarques négatives sur votre origine migratoire sans vous sentir légitime de réagir pour protester ?

 

Avez-vous eu déjà des remarques sur votre « type physique » vous faisant entendre que n’aviez pas un type « français » ?

 

Avez-vous eu déjà des remarques sur votre accent ou sur le fait que vous n’avez pas d’accent ?

 

Les images en général que vous avez des personnes qui partagent la même origine migratoire que vous sont-elles des images de personnes occupant des positions subalternes dans la société française ou européenne ?

 

Vous arrive-t-il de vivre des expériences négatives liées à vos origines migratoires que vous ne pouvez partager qu’avec des personnes qui ont la même origine que vous ou qui sont d’origine étrangère donnant lieu à des stéréotypes méprisants ?

 

Avez-vous l’impression que dans la société française on invisibilise la situation des personnes qui ont la même origine migratoire que vous ?

 

Avez-vous l’impression que lorsqu’on parle de discrimination ethno-raciales votre situation ne soit pas abordée alors que vous savez ne pas vivre la même expérience qu’une personne d’origine française ?

 

Vous renvoie-t-on souvent à une histoire coloniale qui n’est pas la votre et qui concerne la société française comme si elle vous concernait directement alors que votre expérience de l’histoire coloniale est toute autre ?

 

Les privilèges dont peut bénéficier une personne ethnicisée par rapport à une personne racisée:

 

- le fait de ne pas être racisé phénotypiquement comme une “personne noire” par exemple

 

- le fait de ne pas être racisé négativement pour son nom de famille comme les personnes maghrébines par exemple

 

- le fait de ne pas être associé à une religion discriminée comme l'islam, ne pas être supposée "musulmane", ou encore “juif”.

 

- le fait de ne pas déclencher de stéréotypes négatifs de la part des logeurs ou des employeurs

 

Cette position ambivalente fait que les personnes qui sont ethnicisée peuvent avoir tendance à chercher à s'identifier comme blanche, pour en avoir tous les privilèges, ou au contraire à s'allier avec les personnes racisées pour combattre le racisme dont elles sont en partie également victimes.