Black feminism et réussite universitaire des femmes noires

 

 

L’hypothèse que l’on va formuler dans ce texte, c’est qu’il existerait possiblement un lien entre la réussite académique du “Black feminism” et la réussite universitaire des femmes noires. Au-delà ce texte invite à s’interroger sur le paradoxe structurel que doit affronter la question du croisement entre féminisme et anti-racisme.

 

La réussite universitaire des femmes noires aux Etats-Unis

 

Les études sociologiques sur la composition sociologique des étudiants et des diplômés de l’Université aux Etats-Unis montrent qu’aujourd’hui les femmes noires sont plus diplomes que les hommes noirs, même si cela ne veut pas dire comme on a pu le lire dans la presse qu'elles étaient le groupe le plus diplômé.

 

(Voir: https://familyinequality.wordpress.com/2016/06/07/no-black-women-are-not-the-most-educated-group-in-the-us/ - je remercie N. Le B pour cette source qui corrige une erreur dans cet article)

 

Il est ainsi possible de se demander si la réussite académique du Black feminism ne doit pas être mis en corrélation avec cette réalité sociologique. Le black feminism connaît un succès en tant que pensée car il constitue une idéologie qui accompagne l’ascension universitaire des femmes noires aux Etats-Unis.

 

Néanmoins, comme le souligne Patricia Hill Collins, le Black feminism est confronté à un phénomène d’éloignement des classes populaires:

 

“Le féminisme noir rencontre aujourd’hui deux obstacles majeurs. Tout d’abord, il est confronté au fossé grandissant entre la pensée féministe noire et l’activisme des femmes noires. Ironiquement, aux États-Unis, la pensée féministe noire est visible dans le milieu académique mais quasiment invisible dans la sphère publique.” (Hill Collins, P. (2008). Quel avenir pour le Féminisme Noir ?. Africultures, 74-75,(3), 20-26. doi:10.3917/afcul.074.0020)

 

“Le féminisme noir ne peut pas être efficace si celles qui connaissent son histoire en ont une compréhension déformée. Il a un avenir limité s’il reste invisible aux jeunes filles noires et aux ouvrières afro-américaines qu’elles sont susceptibles de devenir.Actuellement, le féminisme noir n’est partagé, avec une grande parcimonie, que par des femmes et des filles issues de groupes déjà privilégiés qui ont accès à ses idées par le biais de l’université” (Patricia Hill Collins, « Toujours courageuses [brave] ? Le féminisme noir en tant que projet de justice sociale », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 20 | 2015. URL : http://journals.openedition.org/cedref/771 )

 

Néanmoins cette réussite universitaire des femmes noires ne se traduit pas forcément en termes d’accès aux emplois de cadre.

 

Cette accession d’une génération de jeunes femmes “racisées” aux études supérieures est aussi notable en France. Elle peut constituer un facteur d’explication à l’émergence d’un militantisme à fort capital culturel centré sur les femmes racisés: militantisme pour le droit de porter le voile, afro-féminisme…

 

Un phénomène comparable apparaît dans la place que les femmes occupent aux Etats-Unis au sein du mouvement Black Lives Matter.

 

(Célestine, A. & Martin-Breteau, N. (2016). « Un mouvement, pas un moment » : Black Lives Matteret la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama. Politique américaine, 28,(2), 15-39. doi:10.3917/polam.028.0015 )

 

Anti-racisme et féminisme: le conflit

 

En réalité, cette situation s’inscrit dans une évolution beaucoup plus générale de la société état-unienne que l’on retrouve également en France.

 

En effet, au début des années 1980, lorsque les black féministes commencent leurs travaux, les femmes noires sont sociologiquement, sur un ensemble d’indicateurs, le groupe social le plus opprimé socialement. L’image centrale est alors la femme noire seule avec ses enfants qui vit des allocations sociales.

 

Mais depuis l’écart entre les femmes et les hommes noirs se sont creusés en faveur des femmes noires grâce à l’accès plus massif des femmes noires aux études supérieures, tandis que les hommes noirs sont plus victimes des violences policières et du système carcéral américain.

 

Ce phénomène se retrouve également dans la société française. Les garçons descendants des immigrations africaines sont plus souvent orientés vers les filières professionnelles courtes, plus souvent victimes de contrôles policiers, incarcérés ou victimes de violences policières. Parmi les sociologues français, Nacira Guenif a été sans doute l’une de celle qui a pris le mieux conscience de la question de la domination sociale des jeunes hommes issus des immigrations africaines.

 

Cela conduit à faire apparaître un paradoxe structurel qui explique la difficulté actuelle à articuler féminisme et anti-racisme:

  • sur le plan structurel, sur la plupart des indicateurs - travail et violence - les femmes restent structurellement dans des positions dominées par rapport aux hommes en France et aux Etats-Unis

  • Mais lorsqu’on croise sexe et “race”, on s’aperçoit alors que les femmes racisées sont moins socialement dominées que les hommes racisés.

 

Cela correspond néanmoins bien à ce que montre le concept d’intersectionnalité, il n’y a pas d’addition mécanique des oppressions. Les femmes racisées ne sont pas structurellement le groupe le plus opprimé parce qu’elles se situent au croisement de trois oppressions.

 

Conclusion:

 

Néanmoins, il faut cependant nuancer le propos, car il existe bien des femmes racisées de classes populaires, ayant fait peu d’études. Celles-ci sont bien dans une situation de domination générée par l’addition de la classe sociale mêmes si elles échappent aux violences policières et à la trajectoire carcérale. C’est ce qui explique sans doute le fait que Patricia Hill Collins invite les militantes féministes noires à recentrer leur attention vers le sujet politique des femmes noires de classe populaire plutôt que vers les politiques de promotions des femmes noires au postes de cadre en entreprise.