Vers une méta-théorie critique

 

 

Ce texte a pour objectif d’exposer les caractéristiques d’une méta-théorie critique.

 

Qu’est-ce qu’une méta-théorie critique ?

 

Une méta-théorie critique est une théorie qui vise à englober dans une théorie cohérente l’ensemble des mouvements sociaux progressistes qui ont émergés depuis le XIXe: socialisme, anarchisme, feminisme, anti-racisme, mouvements LGBTI, mouvement écologistes....

 

Une méta-théorie critique constitue donc une proposition théorique qui vise fournir une grille de lecture commune dans laquelle l’ensemble des mouvements sociaux puissent trouver leur place.

 

Il existe actuellement plusieurs théories qui peuvent apparaître comme tentant de jouer ce rôle, c’est par exemple “la matrice des dominations” de Hill Collins ou la “colonialité du pouvoir” du groupe Modernité/Colonialité.

 

La difficulté pour constituer un mouvement des mouvements tient au fait que les mouvements sont divisés dans des causes différentes. Mais également, ils peuvent défendre la même cause, mais avec des grilles de lecture différentes. Enfin, ces grilles de lectures différentes peuvent les conduire à avoir des revendications divergentes.

 

Il semble difficile de considérer qu’une méta-théorie puisse être imposée par un mouvement social aux autres. Par exemple, la centralité de la lutte contre le capitalisme par rapport aux autres fronts de lutte.

 

Quelles sont les caractéristiques d’une méta-théorie critique ?

 

- La plasticité: Une méta-théorie critique ne doit pas être figée. Elle doit permettre d’être ouverte à l’apparition de nouveaux mouvements sociaux. Par exemple, la théorie marxiste souffre de ce problème lorsque Marx écrit que “toute l’histoire de l’humanité a été l’histoire de la lutte des classes”.

Sur ce plan, la théorisation des rapports sociaux chez Kergoat possède cette plasticité. Puisqu’elle admet que tout conflit qui constitue deux groupes sociaux antagonistes sur une base matérielle acquiert le statut de rapport social.

 

- La pluralité des rapports sociaux et des mouvements sociaux: Une méta-théorie critique doit prendre en compte la pluralité des rapports sociaux et des mouvements sociaux. La notion qui est aujourd’hui la plus souvent associée à l’existence d’une pluralité de rapports sociaux, c’est celle d’intersectionnalité. Néanmoins, en général, elle est construite autour du triptyque: sexe, race et classe.

 

- L’articulation des formes matérielles et culturelles de la domination: une méta-théorie critique doit pouvoir prendre aussi bien en compte les formes matérielles que les formes culturelles de la domination. Néanmoins, une fois que l’on a dit cela se pose la question de savoir quel est le statut respectif de ces différents niveaux.

 

On peut appeler “matérialisme méthodologique” une position qui consiste non pas à réduire toute réalité sociale à des rapports sociaux économiques, mais une conception qui consiste à considérer que lorsqu’on étudie une phénomène social, il est nécessaire de toujours prendre en compte les rapports sociaux de travail.

 

En outre, il est possible d’admettre qu’il y ait d’autres dimensions dans une méta-théorie critique comme la dimension politique. P. Hills Collins distingue en particulier un niveau institutionnel, un niveau disciplinaire et un niveau hégémonique. De son côté, N. Frazer distingue la redistribution, la représentation et la reconnaissance. Se pose également la question de la place des violences dans les rapports sociaux au sein d’une méta-théorie critique.

 

- La cohérence: Ce qui fait la valeur d’une méta-théorie critique, c’est sa capacité à intégrer le plus grand nombre d’éléments dans un tout cohérent de manière à éviter les contradictions et les divergences entre les différents éléments qui composent la méta-théorie.

 

Une méta-théorie critique est-elle possible ?

 

Le sociologue De Sousa Santos considère pour sa part qu’une telle méta-théorie ne peut être produite et que l’on doit renoncer à cette prétention. Il propose plutôt pour sa part de mettre en oeuvre des dialogues entre mouvements sociaux, dans le cadre d’Université populaires des mouvements sociaux, afin de dépasser les divergences entre mouvements divisés.

 

Une méta-théorie doit être vue comme un outil qui offre une grammaire commune à l’ensemble des mouvements sociaux. De ce fait, une méta-théorie ne peut pas à priori rejeter un problème et donc un mouvement social.

 

Néanmoins se pose le problème de savoir si elle peut en proposer une relecture différente en montrant la validité du problème social soulevé, mais en faisant voir que l’interprétation qui en est donnée est inadéquate et en formulant d’autres revendications.

 

Ce qui justifie ces modifications d’interprétation et de revendication, ce sont les soucis de cohérence interne au sein de la méta-théorie critique. Par conséquent, ces dimensions de cohérences doivent être explicitées.