Qu’est-ce qu’une intellectuelle femme ?

 

 

La question de l’intellectuel a bien souvent été posé au masculin. Cela ne tient pas seulement à une supposée universalité de la figure de l’intellectuel, que de l’interdit symbolique qui pèse encore sur les femmes d’être des intellectuelles.

 

Femmes savantes et précieuses ridicules

 

Il est fréquent encore que les élèves filles soient confrontées à la figure de la femme intellectuelle au travers des pièces de théâtre de Molière au collège ou au lycée qui jette le discrédit sur la prétention des femmes à être des intellectuelles.

 

Cette image n’est pas pour autant interrogée, trop occupée que se trouve l’enseignante, car c’est souvent une femme, à faire étudier le texte de Molière, sans prendre le soin de déconstruire cette image des femmes intellectuelles traitées de “bas bleu” et renvoyé à des prétentions ridicules contraire à leur nature.

 

Le programme de philosophie et les femmes philosophes

 

On ne sait que trop que le programme de philosophie en terminale ne comporte qu’une femme. Et l’histoire de la philosophie au XXe siècle n’en a retenu que bien peu…

 

  • Hannah Arendt, la classique

 

Hannah Arendt est la seule philosophe a figuré dans la liste officielle du programme de terminale. Elle est la seule philosophe sans doute à avoir gagné l’honneur d’être érigée au rang de classique et de surcroît dans un domaine considéré traditionnellement comme masculin, la politique. Mais, force est de constater que les biographies n'omettent pas de nous préciser qu’avant cela elle fut la maîtresse de Heidegger. Voilà, une bonne manière de la renvoyer à sa condition de femme.

 

  • Simone Weil, la marginale

 

Simone Weil n’a pas l’honneur du programme de philosophie, mais elle est reconnue là aussi à la fois pour son engagement politique, sa contribution à l’étude de travail ouvrier, son analyse philosophique de la technique. Néanmoins, là aussi, la reconnaissance de l’oeuvre de Simone Weil tient au fait qu’un homme, Camus, ait appuyé sa publication posthume.

 

  • Simone de Beauvoir, l’intellectuelle particulière

 

On sait que Sartre a théorisé la figure de l’intellectuel universel. Pourtant l’on ne peut être marquée lorsqu’on écoute des entretiens de Simone de Beauvoir jetant un regard rétrospectif sur son oeuvre qu’elle est consciente que sa principale reconnaissance lui vient de son oeuvre féministe, en particulier Le deuxième sexe, mais aussi d’une certaine manière, Mémoire d’une jeune fille rangée.

 

En cela, Simone de Beauvoire illustre la voix de reconnaissance presque unique accordée à l’intellectuelle femme, la thématique féministe ou le genre. C’est dans ce domaine que s’illustre par exemple Judith Butler.

 

L’intellectuel subalterne

 

Les femmes s’inscrivent dans une catégorie plus large qui est celle des subalternes auquel la position d’intellectuel est refusé.

 

Cette position subalterne est celle des ouvriers dont Rancière a décrit la lutte pour accéder à la possibilité d’être des intellectuels dans La nuit des prolétaires.

 

Ce sont également les habitants des pays de la périphérie dont les auteurs décoloniaux latino-américains dénoncent la géopolitique de la connaissance qui les exclus du champ légitime du savoir eurocentrique.

 

Lectrices et passivité

 

Les enquêtes sur la lecture, et plus encore sur la lecture de roman, montrent que celle-ci est devenue une activité plus particulièrement féminisée. Et c’est d’ailleurs là un domaine où s’illustrent les femmes. La princesse de Clèves de Mme de La Fayette est considéré comme la naissance du roman d’analyse. Si au XIXe siècle, le roman est dominé par les figures masculines, au XX e siècle, des femmes ont su s’y faire une place.

 

Néanmoins, Viviane Albenga, dans S’émanciper par la lecture, montre que si les femmes sont des lectrices, elles s’autorisent moins que leurs homologues hommes à être des écrivaines. De fait, l’activité perçue comme passive de la lectrice semble entrer en adéquation avec le stéréotype de la passivité des femmes.

 

A l’inverse, l’écriture semble supposer la capacité à s’affirmer soi-même en tant qu’être pensant, suffisamment sûr de soi pour penser que ce qu’il écrit vaut la peine d’être écrit et publié.

 

Mais si les femmes sont considérées comme légitimes dans le domaine du roman, c’est que celui-ci semble s’associer à une caractéristique considérée comme féminine, l’expression des sentiments et de son intériorité.

 

Il n’en va pas de même de l’écriture de textes conceptuels perçus comme relevant d’un apanage masculin.

 

L’homosocialité et création intellectuelle

 

Il est possible de remarquer que dans le domaine de l’oeuvre intellectuelle on trouve des collaborations masculines: Marx et Engels, Deleuze et Guattari… C’est ce que les sociologues appellent l’homosocialité qui désigne une amitié par exemple intellectuel.

 

Il existe quelque rare cas d’hétérosocialité intellectuelle. C’est le cas de Sartre et de Beauvoir. S’ils incarnent le couple d’une modernité inégalé, ce n’est pas seulement pour leur union libre, mais c’est également parce que Sartre considère Beauvoire comme son alter-égo intellectuel. Ce qui est une situation des plus rares dans l’histoire intellectuelle. Le cas de Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe constitue peut-être une autre illustration de cela.

 

En revanche, force est de constater que non seulement les femmes sont sous-représentées comme autrices d’oeuvres conceptuelles, mais qu’en outre il n’y a pas non plus d’oeuvre intellectuelle majeure écrite conjointement par deux femmes. L’homosocialité féminine intellectuelle est encore plus exceptionnelle que la création intellectuelle conceptuelle produite par des femmes.

 

Conclusion:

La production et la reconnaissance d’oeuvre conceptuelle produite par des femmes reste encore rare. Lorsque les femmes sont reconnues dans ce domaine, c’est assez souvent pour des thématiques touchant au genre et au féminisme.

Le fait pour une femme de s’autoriser à s’affirmer comme un être capable de penser et d’écrire reste encore un combat actuel. Oser écrire des essais intellectuels pour une femme semble demeurer encore aujourd’hui une ambition présomptueuse et déplacée.

 

Non seulement les femmes sont sous représentées dans le domaine de la pensée conceptuelle, mais en outre, il est possible de remarquer que l’homosocialité intellectuelle féminine est une situation absente contrairement à l’homosocialité intellectuelle masculine.