Qu'est-ce que la pédagogie féministe ?

 

Apparue au début des années 1980 en Amérique du Nord dans la continuité des « groupes de conscience » féministe et reprenant des éléments de la pédagogie critique, les pédagogies féministes se caractérisent entres autres par certaines pratiques.

 

- Objectifs de la pédagogie féministe :

 

La pédagogie féministe émerge dans les cours universitaires en études féministes. Elle prend naissance autour d’une réflexion selon laquelle il n’est pas possible uniquement de développer des contenus féministes, mais il faut également penser une pédagogie en accord avec des pratiques féministes. La notion centrale est la « consciousness-raising » qui vise une conscience politique féministe.

 

Les pédagogies féministes se donnent souvent les objectifs suivants : empowerment des femmes, coopération contre compétition dans la salle de classe, partage du pouvoir, revalorisation de l’expérience subjective et des émotions.

 

- Pratiques de discussion : mettre les chaises en cercle, partir de l’expérience vécue, favoriser la prise de parole des femmes.

 

- Organiser un cours qui ne peut pas se dérouler sans la participation active des étudiant-e-s

 

- Favoriser la coopération entre élèves, le travail en petits groupes

 

- Partage du pouvoir dans la salle de classe : choix des thématiques de cours, des modalités de travail, discussion sur les évaluations...

 

- Utilisation d’un journal « intime » pris en compte dans l’évaluation : rédaction d’avis personnels sur ce qui a été vu en cours, sur la manière dont le cours est organisé, sur les discussions qui ont eu lieu durant le cours, mise en lien entre l’expérience personnelle et les notions vues en cours pour en discuter la pertinence pour le sujet... La rédaction d’histoires de vie personnelle peut être également un outils mise en œuvre par les pédagogies féministes.

 

Critiques :

 

Certaines critiques reprochent à la « pédagogie féministe » de se limiter à une « méthode » comprenant un ensemble de pratiques centrées surtout sur le changement dans la salle de classe et de verser dans le subjectivisme.

 

Vanina Mozziconacci écrit dans sa thèse concernant les relations entre pédagogie féministe et pédagogie critique : «  le premier chapitre aborde la pédagogie critique (ou pédagogie des opprimé-e-s) qui se présente comme une méthode avec toute l'ambition systématique que cela implique  […] En faisant de la relation pédagogique le tout de la forme éducative, les pédagogies critiques occultent son inscription dans un réseau plus large, les relations institutionnelles ».

 

On peut néanmoins se montrer surprise face à l’affirmation de « méthode » dans la mesure où Freire et Macedo sont revenus à plusieurs reprises sur la critique d’une réduction de l’approche de Paulo Freire à une « méthode » qui plus est de ce type (voir : Macedo, « Une pédagogie anti-méthode » (2000), voir également entretien Freire et Macedo de 1995).

 

Ce qui caractérise la pédagogie critique, c’est d’être un projet politico-pédagogique de transformation sociale (voir par exemple : MCLaren, La vie dans les écoles ; Freire, Pédagogie de l’autonomie). Ainsi Freire écrit dans Medo e Ousiadas : «La critique que l’éducation libératrice peut offrir n’est pas une critique qui se limite au système d’éducation. Au contraire, la critique libératrice dans la salle de classe va plus loin que le système d’éducation et se convertie en une critique de la société ». 

 

Plusieurs critiques faîtes aux pédagogies féministes ne semblent pas tant venir d’une influence freirienne que d’autres influences théoriques : « voix différentes » (Carol Gilligan), « authenticité » (Rogers), la critique des pratiques dialogiques peut-être opposée à Dewey/Lipman également.…

 

Peut-être serait-t-il plus clair de distinguer conceptuellement la « pédagogie féministe » plus centrée sur les relations dans la salle de classe (coopération, vécu personnel…) et la « pédagogie critique » plus orientée vers la transformation sociale.

 

Par exemple, bell hooks revendique d’être une pédagogue critique féministe. On peut remarquer deux aspects qui caractérise ses positions. La volonté de ne pas transformer la salle de classe en « safe space », centré sur la bienveillance, mais plutôt en un « brave space », préparant à la lutte sociale (voir par exemple sa réponse à Laverne Cox) (1). La prise en compte intersectionnelle aussi bien des rapports sociaux de sexe, de race et de classe dans la salle de classe. Il est possible de noter également la continuité entre la pédagogie intersectionnelle de Kim Case et la pédagogie critique.

 

La faiblesse des critiques féministes post-structuralistes, d’inspiration foucaldiennes, faites aux pédagogies critiques féministes c’est qu’elle ne distinguent pas dans la salle de classe ce qui relève des rapports sociaux de pouvoir et des relations sociales de pouvoir. Elles mettent tout sur le même plan.

 

Références en français (disponibles en ligne) :

 

Vanina Mozziconacci, Le sujet du féminisme peut-il faire l'objet d'une éducation  ?, Thèse de doctorat, 2017.

Claudie Solar, « Dentelles de pédagogie féministe », 1992.

Isabelle Collet, « Former les enseignants à une pédagogie de l’égalité », 2016*

 

(1) De même, Henry Giroux critique la « pédagogie des relations cordiales »