Méta-théorie des controverses en éducation : l’école et les questions éducatives

 

 

- Contribution à une pédagogie publique des controverses éducatives -

 

Définition de la méta-théorie des controverses

 

La méta-théorie est un champ de recherche qui se situe à un niveau « méta- » c’est-à-dire second. Par exemple, la méta-éthique ne vise par directement à répondre à des problèmes éthiques, mais à clarifier les questions ou les concepts relevant de l’éthique.

 

La méta-théorie des controverses se distingue de la sociologie des controverses. Cette dernière vise à déterminer les acteurs en présence et les arguments. Elle a été entre autres été développées par Bruno Latour avec la cartographie des controverses.

 

La méta-théorie des controverses se situe à un niveau philosophique concernant les controverses : elle s’intéresse aux présupposés philosophiques, aux concepts utilisés ou encore aux enjeux dans les controverses.

 

Elle consiste en particulier à déterminer des méta-structures : une méta-structure consiste à dégager une ou des antinomies philosophiques qui structurent plusieurs controverses. La méta-théorie consiste également à montrer les liens entre des méta-structures : comment elles peuvent être liées logiquement entre elles par des relations d’implication.

 

Elle en effectue la cartographie et la modélisation dans un but de clarification conceptuel des controverses de manière à aider la progression des débats sur le sujet.

 

Les controverses en éthique professionnelle des enseignants ou sur les questions relatives à l’enseignement de la morale à l’école impliquent des questionnements qui relèvent de la méta-éthique.

 

Mais, il existe d’autres domaines des controverses en philosophie de l’éducation que celles qui sont de l’ordre de l’éthique et de la méta-éthique.

 

 

L’élève : les questions d’anthropologie philosophique

 

- Matière et esprit

 

Les débats fondamentaux en philosophie de l’éducation sont structurés autour de controverses concernant l’être humain.

 

Deux conceptions principales sont à l’œuvre : les conceptions naturalistes et les conceptions dualistes.

 

Les conceptions naturalistes considèrent que l’être humain est un être réductible à des lois bio-physiques. Le présupposé des sciences de la nature est de traiter toutes les réalités comme pouvant être réduites à des faits bio-physiques. De fait, l’on rencontre principalement cette thèse du côté des approches éducatives ou plus particulièrement pédagogiques, qui s’appuient sur les sciences expérimentales : psychologie expérimentale, neurosciences…

 

La difficulté que pose une telle approche tient au fait de savoir si l’être humain est entièrement réductible à une approche physicaliste ou si son psychisme, au moins en partie, échappe à une modélisation scientifique. Il peut-être possible à titre d’hypothèse d’imaginer dans un avenir scientifique plus ou moins lointain que cela soit possible.

 

Néanmoins, en attendant, ce n’est pas le cas. A partir de là, faut-il limiter l’éducation uniquement à des méthodes qui soient tirée des connaissances scientifiques ? Ou faut-il s’appuyer également sur des connaissances empiriques tirées de l’habitude et de la psychologie ordinaire ?

 

Le physicalisme de la conception naturaliste pose également une autre difficulté, c’est celle du passage de l’être au devoir-être. En effet, s’il ne s’agit pas seulement d’instruire, mais également d’éduquer, dans ce cas, se pose la question de la relation entre les faits scientifiques et les assertions morales. Or beaucoup de philosophes s’accordent pour considérer que le passage de l’être au devoir-être pose des difficultés. D’un point de vue méta-éthique, le réductionnisme physicaliste en éducation peut donc achopper sur les questions morales.

 

La position dualiste admet au contraire qu’il y a deux entités distinctes : qui sont la matière physiques et l’esprit. L’esprit n’est pas nécessairement une substance, mais du moins un ensemble de propriétés fonctionnelles qui ne sont pas réductibles à celles de la matière. L’une de ces propriétés est l’intentionnalité.

 

Cette position pose difficulté aux tenants du physicalisme dans la mesure où elle présuppose qu’il existe une entité, l’esprit, dont les propriétés échappent au lois communes de la nature. Une telle thèse semble ouvrir la porte au surnaturel et aux explications religieuses de l’origine de l’être humain.

 

Cette première ligne de clivage portant sur le problème corps/esprit est importante concernant l’approche pédagogique. En effet, elle a des implications sur la théorie de l’esprit et donc les questions qui relèvent de ce qu’est apprendre et comprendre. La compréhension est-elle une activité qui peut être réduite à une modélisation mécanique  effectuée par les sciences de la nature et/ou cognitives ?

 

- Inné et acquis en éducation

 

Une seconde controverses en éducation porte sur la place respective de l’inné et de l’acquis. Il est possible de distinguer deux positions principales.

 

La notion d’éducation laisse supposer qu’il y a une part d’acquis dans le comportement humain. Sinon, il ne servirait à rien d’éduquer. La controverse porte davantage sur la place de l’innée dans l’éducation.

 

La constructivisme social intégral : La conception constructiviste récuse la place de l’inné dans l’éducation. L’enfant à éduquer n’est pas une matière naturelle. Il a déjà été pré-socialisé et de ce fait, il est déjà construit par la société.

 

Il semble que la difficulté de la thèse constructiviste sociale intégrale tienne au fait qu’elle semble nier tout place du biologique chez l’être humain.

 

Les tendances naturelles : dans cette position, l’éducation prend appui sur des tendances naturelles qu’elle va suivre ou essayer de corriger. Si on admet que ces tendances peuvent être corrigés, on parle alors plutôt de penchants naturels. Si on pense qu’on doit les suivre, alors il est plutôt question d’aptitudes naturelles, de lois naturelles de l’enfant ou encore de spontanéité naturelle… que devrait suivre l’éducation pour parvenir à ces fins.

 

Là encore, le fait de vouloir appuyer l’éducation sur des lois naturelles pose un problème méta-éthique, car cela implique un passage de l’être au devoir-être. Si l’éducation est un processus moral, elle ne peut se justifier sur l’être que de manière problèmatique.

 

Il peut être également possible de considérer l’éducation comme un processus naturel en lui-même. Après tout les animaux également reçoivent une forme d’éducation. Les oiseaux apprennent à chanter avec leurs parents. Mais, cela pose dans ce cas un second type de problème qui est de savoir si l’éducation humaine est réductible à l’actualisation de facultés animales. Car dans ce cas qu’est-ce qui distinguerait par exemple le dressage de l’éducation ?

 

Les tenants du constructivisme social intégral tendent en outre à opposer à ceux des tendances naturelles une autre critique. Il les accusent en réalité de projeter sur la nature des préjugés sociaux. Ils auraient tendance à naturaliser du social. Par exemple, les aptitudes attribués à tels ou tels enfants, ou tels ou tels sexes, ne seraient en réalité que l’effet du milieu social.

 

- La moralité

 

Il est nécessaire de faire un point général sur la moralité pour mieux comprendre les controverses éducatives.

 

Il est possible de voir se dégager quatre conceptions de l’être humain :

a) l’être humain comme mécanisme naturel : c’est l’idéal type des sciences de la nature

b) l’être humain comme spontanéité vitale : c’est plutôt la conception que l’on trouve dans l’éducation nouvelle (par exemple : chez Spencer, Ferrière ou Freinet...)

c) l’être humain comme être déterminé socialement : c’est la conception que l’on trouve dans la sociologie

d) l’être humain comme être spirituel : cette conception est présente chez certains philosophes et dans les religions.

 

A partir de ces quatre conceptions de l’être humain, il est possible de se rendre compte que les trois premières se heurtent au paralogisme naturaliste en moral à savoir l’impossibilité de dériver le devoir-être de l’être. La moralité dans ce cas doit être naturalisée. Seule, la quatrième conception maintient une distinction entre la réalité matérielle et le règne des fins.

 

Controverses sur les apprentissages

 

Si les controverses peuvent porter sur la nature du sujet apprenant, elles peuvent également porter sur ce qu’il y a lui apprendre.

 

- Universel/particulier

 

Un certain nombre de controverses relatif aux apprentissages scolaires relèvent en réalité d’une opposition entre l’universel et le particulier. Dans la plupart des cas, il y a une tendance à présenter les savoirs scolaires comme universels :

- savoirs scientifiques (universel) contre savoirs d’expériences (subjectifs)

- enseignement moral scolaire (universel) contre religion, morale familiale (particulier)

- contenus scolaires classiques (universels) contre culture populaire, cultures d’origine…

 

Les détracteurs de cet universalisme des contenus de la forme scolaire tendent au contraire à renvoyer au contraire ces contenus à une idéologie d’État :

- culture de classe sociale bourgeoise

- culture ethnocentrée

 

Il est possible néanmoins de constater que de renvoyer la culture scolaire uniquement à une idéologie d’État pose des problèmes lié au relativisme

- du fait du statut des savoirs scientifiques

- concernant les valeurs morales : la question qui se trouve posée est de savoir si au-delà des mœurs particulières à chaque groupes social ou religieux, il existe un type d’affirmation morale de second ordre qui échappe au relativisme moral (comme par exemple les droits humains).

 

Par exemple, concernant la laïcité, il est possible de se demander s’il s’agit d’une valeur (relevant d’une théorie du bien) ou d’une condition procédurale (relevant d’une théorie du juste). Dans le second cas, la laïcité n’est pas une valeur avec un contenu substantielle, mais une condition procédurale de l’éthique de la discussion à l’école.

 

- Egalité/différence

 

L’antinomie égalité/différence se retrouve également à plusieurs niveaux de controverse : dans le traitement que l’institution scolaire et les enseignants doivent réserver aux élèves doivent-ils les traiter comme des êtres différents, et les respecter dans leur différence, ou doivent-ils les traiter de manière égale ?

 

- Le traitement égal : il s’agit du principe qui apparaît comme s’imposant dans une démocratie proclamant comme valeur l’égalité de tous

 

- Le respect de la différence : mais néanmoins, il est possible de se demander si le fait de traiter tout le monde de manière identique ne conduit pas à des injustices. L’équité ne serait-elle pas alors plus juste que la simple égalité.

 

Néanmoins, le risque c’est que cette prise en compte de la différence, produise des inégalités, qui conduisent ainsi à des injustices. La question devient alors comment un traitement différencié peut rétablir de l’égalité ?

 

Il est possible de s’apercevoir qu’il y a un lien entre les deux controverses : valoriser l’universel est lié au fait de proclamer l’égalité, au contraire prendre en compte la différence suppose de prendre en compte le particulier.

 

- L’enfant et le citoyen : hétéronomie et autonomie

 

Il s’agit d’un être dont le statut est l’objet lui-même de controverse du fait de son ambivalence :

- soit il est pensé comme différent de l’adulte : par exemple sur la base de sa vulnérabilité, de sa psychologie développementale

 

- soit il est au contraire pensé dans son identité à l’adulte : il peut alors être question de remettre en question son statut de mineur comme relevant d’une forme d’oppression indue.

 

L’ambivalence est liée au problème de la détermination de la limite où la protection de la vulnérabilité peut se transformer en oppression.

 

La seconde dimension consiste dans le passage de l’hétéronomie à l’autonomie. L’enfance semble être un état d’hétéronomie et le citoyen en démocratie semble au contraire supposer l’autonomie. Or toute la question qui semble se poser est de savoir comment de l’hétéronomie peut sortir l’autonomie. Cette question se pose dans le rapport du sujet apprenant aux apprentissages, mais également par rapport à l’éducation à la citoyenneté.

 

Il existe deux positions :

 

- la position dialectique : l’hétéronomie est la condition de possibilité de l’autonomie. Cela signifie que l’hétéronomie permet paradoxalement d’apprendre l’autonomie. Cela se fait par l’intériorisation de la forme de la loi. Par la contrainte, l’enfant apprend à se soumettre à la loi. Cette interiorisation de la forme de la loi est nécessaire pour parvenir à l’autonomie qui suppose d’obéir à des lois que l’on s’est donné.

 

- Le spontanéisme : il consiste à penser que de l’autonomie ne peut jamais sortir de la soumission. L’autonomie suppose une expérimentation par le sujet lui-même de sa propre liberté. « On apprend à marcher en marchant ».

 

Conclusion :

 

Les positions anthropologiques physicalistes et spiritualistes tendent à développer un discours de l’universalité. Elles diffèrent néanmoins sur le statut de la norme morale.

Les positions vitalistes et sociologiques, chacune à leur manière, produisent une critique de l’universalité soit en mettant en valeur le caractère particulier de l’institution scolaire, soit en valorisant la différence propre à chaque être humain.

Les positions spiritualistes et vitalistes ont développé un discours antinomique sur l’autonomie. Pour le spiritualisme, elle découle de l’intériorisation de la contrainte de la forme de la loi. Pour le vitalisme, elle est un processus immanent à l’être humain.

 

La méta-théorie critique des controverses en éducation

 

La méta-théorie critique s’intéresse plus particulièrement aux controverses entre les approches critiques.

 

Il est possible de considérer que du point de vue d’une méta-théorie critique, les controverses en éducation sont structurées traditionnellement entre le pôle vitaliste et le pôle sociologique :

 

- le pôle sociologique : il effectue une critique de la forme scolaire en tant qu’elle est reproductrice des inégalités sociales et hétéronome par rapport aux intérêts économiques de la société. Ce pôle peut également dévoiler le curriculum caché de genre à l’école.

 

- le pôle vitaliste  insiste sur la spontanéité vitale des enfants et effectue une critique de la forme scolaire au sens où elle vient contraindre cette spontanéité de manière normative.

 

Il est possible de ce fait de constater que le pôle vitaliste dans sa critique de la norme scolaire rejoint les approches post-critique qui elles se centrent davantage sur la critique des normes sociales touchant les minorités.

 

 

 

Bibliographie:

 

La trilogie de philosophie de l’éducation d’Ottavi, Gauchet et Blais

 

Fabre, « Les controverses françaises sur l’école : la schizophrénie républicaine », Éducation et francophonie, Volume XXX, N° 1, printemps 2002, http://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/30-1/03-Fabre.html.

 

Grandjean, Geoffrey, et Grégory Piet. Polémiques à l’école. Perspectives internationales sur le lien social. Armand Colin, 2012

 

Jacomino, Baptiste. « La controverse française sur l'école : essai de cartographie », Le Philosophoire, vol. 33, no. 1, 2010, pp. 57-70.

 

Reboul Olivier, Les valeurs en éducation