La pédagogie radicale selon Henry Giroux

 

 

Dans Pedagogy and the politics of Hope (1997), Henry Giroux utilise le concept de « pédagogie radicale » pour introduire une coupure nette avec deux autres types de pédagogies : la pédagogie conservatrice et la pédagogie libérale. Cette distinction est en particulier développée dans un chapitre de l’ouvrage intitulé : « Radical Pedagogy and The politics of Student Voice ».

 

Dans ce texte, Giroux commence par mettre en lumière que le discours de la pédagogie radicale a abandonné le projet de l’émancipation (de la possibilité) au profit uniquement du discours de la critique (de la reproduction). Au contraire, pour Giroux, la pédagogie radicale doit être une pratique qui ouvre des possibilités de résistance et de lutte au quotidien dans l’espace scolaire.

 

Il montre ensuite comment selon lui le discours scolaire et la pédagogie est structurée autour de deux discours en apparence antinomiques, mais qui constituent en réalité ce qu’il appelle le « discours dominant » en éducation. Car au-delà de leur apparente divergence, Giroux décèle entre les deux un point commun fondamental.

 

La pédagogie conservatrice

 

La pédagogie conservatrice a tendance à considérer la connaissance comme détachée de son contexte de production sociale et c’est de cette manière dont elle fait en sorte que les élèves l’aborde. Elle ne forme pas à une analyse critique sociale.

 

La vision conservatrice de la culture considère que les questions relatives aux rapports sociaux de sexe, ethno-raciaux ou de classes sociales ne doivent pas être traités en classe. Car il s’agit de favoriser une culture commune au nom d’un intérêt supérieur de la nation.

 

Dans la pédagogie conservatrice, la voix de l’apprenant-e est réduite à une demande de performance, elle existe comme quelque chose qui doit être mesurée, administrée et contrôlée.

 

La pédagogie libérale

 

La pédagogie libérale est centrée sur l’élève, mais en réalité, elle ne remet pas en question l’ordre social. Ainsi Giroux écrit :

 

« Lorsque les étudiants refusent de se rendre à ce type d'humiliation, les enseignants et les administrateurs scolaires sont généralement confrontés à des problèmes d'ordre et de contrôle. Une réponse est de promouvoir une pédagogie des relations cordiales. L'exemple classique pour traiter avec les étudiants dans cette approche est d'essayer de les garder «heureux» soit s'appuyant sur leurs intérêts personnels par le biais de modes appropriés de connaissances de «faible statut» ou en développant un bon rapport avec eux. Défini comme «l'autre», les étudiants deviennent maintenant des objets d'enquête dans l'intérêt d'être compris de manière à être plus facilement contrôlés. Les connaissances, par exemple, utilisées par les enseignants auprès de ces élèves sont souvent tirées de formes culturelles identifiées avec des intérêts de classe, de race et de sexe. Mais la pertinence, dans ce cas, a peu à voir avec les préoccupations émancipatrices. »

(...)

« La pratique reproductive en question ici est développée sous sa forme plus subtile à travers une série interminable de cours facultatifs scolaires qui semblent légitimer les cultures des groupes subordonnés tout en les incorporant réellement d'une manière pédagogique insignifiante. Ainsi, les filles de la classe ouvrière se voient «conseillées» par les enseignants d'orientation à prendre le cours de « conversation de filles », tandis que les étudiants de classe moyenne n'ont aucun doute sur l'importance de prendre des cours de critique littéraire. Au nom de la pertinence et de l'ordre, les hommes de la classe ouvrière sont encouragés à sélectionner les «arts industriels» tandis que leurs homologues de classe moyenne suivent des cours de chimie avancée. » 

(...)

« Le canon pédagogique libéral exige que les enseignants mettent l'accent sur l'apprentissage auto-dirigé, relient les connaissances aux expériences personnelles des élèves et s'efforcent d'aider les élèves à interagir les uns avec les autres d'une manière positive et harmonieuse. Développé dans cette perspective, c'est, bien sûr, directement lié à la question plus vaste de la façon dont ils sont construits et compris dans les discours multiples qui incarnent et reproduisent les relations sociales et culturelles de la société plus grande. Cette question n'est pas seulement ignorée dans les conceptions libérales de la théorie de l'éducation. Elle est également ignorée dans les discours conservateurs. »

 

Conséquence : Le discours dominant en éducation

 

Ce qui caractérise donc le discours dominant – qu’il soit conservateur ou libéral – c’est qu’il réduit les questions éducatives en refusant d’expliciter les rapports de pouvoir qui les sous-tendent.

 

A l’opposé d’une telle conception se trouve une approche gramscienne des phénomènes culturels qui les perçoit comme des luttes pour l’hégémonie culturelle.

 

Néanmoins, si pour Giroux l’école reproduit des rapports sociaux de domination, elle ne se réduit pas à cela.

 

La pédagogie radicale

 

Celle-ci se présente comme une formation des élèves à résister à l’idéologie dominante au service de la reproduction des inégalités sociales.

 

Giroux écrit ainsi : «Compris en ces termes, une pédagogie de la politique culturelle présente un double ensemble de tâches aux éducateurs radicaux. Premièrement, ils doivent analyser la manière dont la production culturelle est organisée au sein de relations de pouvoir asymétriques dans les écoles. Deuxièmement, ils doivent élaborer des stratégies politiques pour participer aux luttes sociales conçues pour lutter pour les écoles en tant que sphères publiques démocratiques. »

 

Il ajoute :  « Par exemple, les éducateurs radicaux doivent faire plus qu'identifier le langage et les valeurs des idéologies d'entreprise telles qu'elles se manifestent dans les programmes scolaires; ils doivent également analyser et transformer les processus par lesquels elles sont produites et diffusées. Un autre aspect important de cette approche est qu’elle indique la manière dont le travail est construit objectivement; c'est-à-dire qu'elle fournit la base pour une analyse des conditions dans lesquelles travaillent les éducateurs et de l'importance politique de ces conditions dans les pratiques pédagogiques limitantes».