Les dialogues de pédagogies radicales : autoritarisme ou laxisme ?

 

 

 

La philosophie depuis l’Antiquité a utilisé la forme dialogue. Paulo Freire l’a souvent utilisé également pour présenter ses idées en philosophie de l’éducation. C’est pourquoi nous inaugurons une petite rubrique intitulée - Les dialogues de pédagogies radicales – qui vise à clarifier certaines questions en philosophie de l’éducation.

 

Autoritarisme ou laxisme ?

 

Q : La pédagogie de Paulo Freire est appelée aussi pédagogie de la libération. Cela signifie qu’elle accorde une importance à l’idée de favoriser l’émancipation individuelle et collective. Comment Paulo Freire se positionne par rapport à la question de l’apprentissage de la liberté ?

 

I : Dans Pédagogie de l’autonomie, il distingue clairement entre deux attitudes : l’autoritarisme et le laxisme. Il récuse la vision autoritaire. C’est celle de l’enseignant qui prône l’auto-émancipation et l’auto-organisation des mouvements sociaux, mais qui dans sa salle de classe applique une pédagogie autoritaire. Mais il y a une position qui est à l’opposée de celle-ci qu’il récuse également, c’est le laxisme ou licence. Dans ce cas, l’enseignant sous pretexte de non-directivité refuse son rôle dans la directivité de l’enseignement. C’est une position que récuse Paulo Freire au nom du caractére pédagogico-politique de son projet.

Cela signifie que pour lui, la seule attitude valable, est celle d’un enseignant démocratique. L’enjeu est de savoir quelle type d’éducation peut développer un ethos démocratique chez les élèves qui seront les futurs citoyens ? A l’opposé de l’enseignement démocratique se trouve l’éducation domesticatrice qui conduit à produire des individus soumis et passifs.

 

Q : Que peut-on entendre par « démocratiser l’enseignement » ?

 

I : La difficulté c’est que derrière la démocratisation de l’enseignement, il y a deux aspirations différentes. Une première conception consiste dans un développement de la citoyenneté à l’école. La mise en place d’une gestion démocratique de la classe avec des institutions démocratiques – comme le conseil d’élève – serait l’objectif d’une éducation à la démocratie. Mais il existe une autre conception qui considère que démocratiser l’enseignement consiste dans la lutte contre la reproduction des inégalités sociales au sein du système éducatif. Il s’agit donc de deux conceptions différentes de l’idéal de démocratie à l’école.

 

Q : Quelles sont les conditions d’une éducation démocratique pour Paulo Freire ?

 

I : Fondamentalement, l’éducation démocratique, pour lui , suppose le développement de la conscience critique. Pour cela, le moyen pédagogique privilégié est le dialogue. C’est-à-dire l’échange d’objections et de réponses entre l’enseignant et les apprenants. Cette pratique permettrait la formation de l’esprit critique. Elle serait également caractéristique de la démocratie. Car celle-ci comme l’a souligné le philosophe Jurgen Habermas repose sur l’éthique de la discussion.

Le second point consiste dans la finalité de ce développement de la conscience critique. Elle est tournée vers le développement de l’émancipation sociale. Développer la conscience sociale critique aurait pour conséquence de favoriser l’engagement dans la lutte contre les inégalités sociales et les discriminations.

 

Q : Mais les pratiques dialogiques ne posent-elles pas des difficultés ?

 

 

I : Oui, c’est un point qui a été moins travaillé par Paulo Freire, mais souligné par certaines continuatrices féministes de la pédagogie de la libération. En effet, le problème c’est que les pratiques dialogiques risquent de conduire à reproduire les rapports sociaux de classe, de sexe ou de racisation. Il y a un écueil du spontanéisme des pratiques dialogiques. C’est pourquoi, elle doivent sans doute être combinées avec une pédagogie anti-discrimination. Cela signifie mettre en œuvre des régulations pédagogiques qui visent à favoriser une égale prise de parole par tous. Il s’agit également d’une attention aux malentendus socio-cognitifs de manière à bien explicité les enjeux cognitifs des discussions car sinon ce sont les personnes les plus dotées en capital culturel, celles qui bénéficient d’un privilège culturel, qui réussiront à s’insérer de manière pertinente dans la discussion.