Que pensait réellement Paulo Freire des exposés magistraux ?

 

 

Extrait de « Pédagogie de l’espérance » (1997) :

 

« A ce sujet, je voudrai revenir sur des réflexions que j’ai faites antérieurement autour des exposés magistraux.

 

Le mal n’est pas en réalité dans le cours magistral, dans l’explication que le professeur ou la professeure fait. Ce n’est pas cela que j’ai critiqué avec la notion de pratique bancaire. Ce que j’ai critiqué et que je continu à critiquer, c’est ce type de relation enseignant/enseignés dans lequel l’enseignant se considère comme l’unique éducateur de l’élève. Dans lequel l’enseignant rompt ou n’accepte la condition fondamentale de l’acte de connaître qui est sa nature dialogique. C’est la relation dans laquelle l’éducateur transfère la connaissance au sujet de « a » ou de « b » ou de « c » objets ou contenus à l’éducateur, qui sont considérés comme de simples récipients.

 

C’est cela la critique que j’ai faite et que je continue de faire. Ce que l’on peut se demander maintenant est la chose suivante : est-ce que tous les cours magistraux sont de cette nature ?

 

Je pense que non. Je dis que non. Il y a des cours magistraux qui sont cela. Ce sont simplement des transfères de connaissance accumulés du professeur vers les élèves. Ce sont des salles de cours verticales, dans lesquels le professeur ou la professeure, autoritairement, fait l’impossible du point de vue de la théorie de la connaissance, à savoir transférer des connaissances.

 

Il y a un autre type de salle de classe dans laquelle apparemment l’enseignant ne fait pas de transfert de contenu, mais annule la capacité de penser de manière critique des élèves ou y fait obstacle, parce que ce sont des salles de classes qui ressemblent davantage à des chansons d’enfants qu’à des défis intellectuels. Ce sont des explications qui « domestiquent » ou qui font que les apprenants « dorment ». D’un côté, les apprenants dorment bercés par la sonorité du professeur ou de la professeure, de l’autre, l’autre côté le professeur se nie lui même.

 

Mais, il y a une troisième position que je considère tout à fait valable, qui est celle ou le professeur ou la professeure effectue un court exposé sur le sujet et ensuite, le groupe des étudiants, avec l’enseignant, analyse l’exposé qui a été fait. De cette manière, avec l’exposé introductif, le professeur ou la professeure défi les étudiants qui, en s’interrogeant et en interrogeant le professeur, participent de l’approfondissement et du débordement de l’exposé initial. (…)

 

Finalement, je trouve qu’il y a encore un autre type de professeur qu’également je ne considère pas comme bancaire. C’est le professeur, très sérieux, qui devant les étudiants d’un cours, se met en relation avec le thème, avec le contenu, qu’il traite, dans une relation de profond respect et d’affection même, presque amoureuse, qui peut être l’analyse d’un de ses propres textes ou du texte d’un autre auteur. Dans le fond, il témoigne aux étudiants comment il ou elle étudie, comment il fait pour analyser un thème, comment il pense de manière critique. Il revient alors aux étudiants d’avoir ou de développer la capacité critique d’accompagner le mouvement que le professeur effectue, dans l’analyse qu’il ou elle effectue du thème d’étude. Mais, d’une certaine manière ce type d’enseignant peut produire un malentendu.

 

C’est que la relation de connaissance ne se termine pas à l’objet d’étude, ou encore la relation n’est pas exclusive entre un sujet connaissant et un objet de connaissance. Cette relation se prolonge dans un autre sujet, devenant une relation sujet-objet-sujet.

 

 

Tandis que dans la relation éducative démocratique, le dialogue est la possibilité que j’ai de m’ouvrir à la pensée des autres, et de ne pas m’enfermer dans l’isolement. »