Pédagogie radicale : distinction entre pédagogie et didactique

 

 

Il n’est pas évident de faire une différence entre pédagogie et didactique. Souvent on renvoie la didactique à une méthode d’apprentissage propre à une discipline, tandis que la pédagogie aurait une vocation plus large. La pédagogie radicale peut distinguer la pédagogie et la didactique sur une autre base.

 

Distinction entre pédagogie et didactique

 

La pédagogie au sens de Paulo Freire est une « praxis » et absolument pas une « poiésis ». La poiésis se donne pour objet la production aux moyens d’une technique adaptée. La pédagogie n’est donc pas non plus une méthode, comme celle par exemple de Jacotot, dans Le maître ignorant de Rancière.

 

On peut penser du fait que le nom de Paulo Freire reste attaché à une méthode d’alphabétisation que c’est la méthode d’alphabétisation qui est émancipatrice. Mais tel n’est pas la position de Paulo Freire, ce n’est pas la méthode qui est émancipatrice. L’émancipation se situe à une autre niveau que la méthode :

 

« Basiquement, les éducateurs doivent travailler dur pour que les apprenants assument le rôle de sujets de la connaissance et puissent vivre cette expérience en tant que sujets. Les éducateurs et les apprenants n’ont pas besoin de faire exactement les mêmes choses que j’ai faites pour pouvoir accéder à cette expérience de sujet. Et cela parce que les différences culturelles, historiques, sociales, économiques et politiques qui caractérisent deux ou plus encore de contextes, c’est-à-dire les valeurs propres à une société, jouent un rôle dans la relation entre un enseignant et un apprenant. C’est pour cela que je me refuse à écrire un manuel d’instructions qui fournit des recettes pas à pas » ( « L’alphabétisation aux Etats-Unis » (1987)).

 

Ce qui est émancipateur, c’est que dans le processus pédagogique, les apprenants soient considérés comme des sujets et non comme des objets. Mais, ce n’est pas la mise en œuvre de telle ou telle méthode bien spécifique. Car croire en la possibilité d’une méthode de réaliser l’émancipation, c’est se adhérer à la domination de la raison instrumentale qui consiste à se situer sur : « cette pente où peuvent se laisser glisser les pratiques pédagogiques, comme les pratiques politiques ou analytiques : celle d’une pure et simple poièsis, d’un faire instrumental, d’une « manipulation technique » engagée entre un agent et un patient ». (Francis Imbert, L’impossible métier de pédagogue, p.22)

 

Car quand bien même, le maître se met en retrait du dispositif, c’est lui qui l’a conçu et nous sommes donc bien face à un faire instrumental, dans une relation de manipulation technique.

 

La praxis se donne au contraire comme objectif l’humanisation de l’être humain par des moyens qui ne sont pas eux-mêmes déshumanisants. D’où l’importance accordée par Paulo Freire au dialogue. Dans la praxis, il y a une continuité entre les moyens et les fins. Cela signifie que la pédagogie est un projet éthico-politique.

 

Elle implique une réflexion éthico-politique sur les pratiques et les finalités pédagogiques : Les pratiques utilisées reproduisent-elles les rapports sociaux de pouvoir dans la salle de classe ? Les pratiques utilisées de manière générale induisent-elle une déshumanisation de l’humain ? Les pratiques utilisées visent-elles la prise de conscience des rapports sociaux dans la société et leur transformation ?

 

Didactique et aliénation 

 

Il n’appartient pas à la pédagogie radicale de discuter de l’efficacité quantitative de telle ou telle pratique ou d’intervenir dans des querelles scientifiques sur les pratiques didactiques.

 

En revanche, il lui appartient de mener une réflexion sur les pratiques quant à leur compatibilité ou non avec le projet éthico-politique de la pédagogie radicale de lutte contre la déshumanisation.

 

Par exemple, l’Ecole 42 met en œuvre un dispositif didactique de l’enseignement de l’informatique. La réflexion de la pédagogie radicale ne consiste pas à contester ou non l’efficacité de ce dispositif, mais à l’évaluer relativement à ce qu’il implique du point de vue de l’aliénation ou de l’émancipation de l’être humain.

 

Par exemple, l’utilisation constante de caméras de video surveillance augmentait peut-être l’efficacité des apprentissages, mais elle n’est pas compatible avec la conception que l’on peut se faire d’une formation émancipante et non aliénante. (URL : «Caméras, mots de passe, conservation des données… : l’Ecole 42 de Xavier Niel mise en demeure »-   https://www.numerama.com/tech/435731-cameras-mots-de-passe-conservation-des-donnees-lecole-42-mise-en-demeure.html )

 

Conclusion :

 

Il y a donc une confusion dans le discours contemporain entre la pédagogie (projet ethico-politique) et la didactique qui consiste en un ensemble de techniques. La pédagogie radicale effectue une séparation entre les deux dimensions. La pédagogie consiste entre autres à mener une réflexion sur les conditions normatives de la poièsis de manière à ce que celle-ci ne se déshumanise pas. Cela correspond d’une certaine manière à la dimension déontique du travail. L’action pédagogique implique une didactique qui doit être conforme au projet ethico-politique de la pédagogie radicale.