Que retenir de Paulo Freire ?

Que retenir de Paulo Freire ?

 

A l’occasion de la publication de l’Anthologie internationale de pédagogie critique (Editions du Croquant, 2019), il est intéressant de se demander en définitif ce qu’ont retenu de manière générale les continuatrices et les continuateurs de Paulo Freire.

 

S’il est un point qui peut-être noté, c’est que ce n’est pas sa méthode d’alphabétisation qui a été retenue par ses continuateurs et ses continuatrices. Ce n’est donc pas du côté des techniques de Paulo Freire qu’il faut rechercher son influence pédagogique internationale. Et c’est peut être là que réside une des incompréhensions fondamentales en France qui explique sa faible réception. En effet, en France, lorsque l’on parle pédagogie, on recherche des techniques et des méthodes, mais ce n’est en réalité pas cela qui caractérise la pédagogie de Paulo Freire. Alors qu’est-ce que c’est ?

 

Aprés avoir passé trois ans à cartographier la réception de Paulo Freire dans quatre langues différentes et dans différentes parties du monde qui ont conduit pour finir à la publication de cette anthologie, il apparaît intéressant d’essayer de mettre en lumière ce qui est le plus souvent retenu derrière le terme de « pédagogie critique ».

 

Il est possible de voir que ce qui ressort ce sont quelques grands principes qui vont être repris en lien avec des thématiques concernant les inégalités sociales, les discriminations, les questions écologiques…

 

Quels sont ces points qui vont identifier la pédagogie critique ?

 

Les grands principes de la pédagogie freirienne :

 

- La conscientisation : il est possible remarquer que les auteurs/praticiens se réfèrent à Paulo Freire lorsqu’ils désirent développer une pédagogie qui vise à développer la conscientisation et l’engagement relativement à une certaine thématique : les questions environnementales, les LGBTIphobies, le sexisme, le racisme, les inégalités sociales de classe… La pédagogie vise l’émancipation sociale.

 

- L’expérience vécue de l’oppression : Les pédagogies critiques accordent de la valeur aux savoirs des opprimé-e-s, des premières concernées. Même si ces savoirs ne sont pas les seuls savoirs à prendre en compte dans le processus de conscientisation.

 

- Le dialogue : Le dialogue permet à chacun et chacune d’être un sujet dans le processus d’apprentissage. Il permet d’éviter que le discours de critique sociale ne verse dans le dogmatisme.

 

- L’éthique de la relation d’enseignement : De manière générale, le processus d’apprentissage suppose un type de relation dans lequel chacun et chacune est considéré comme un sujet et ne se trouve pas déshumanisé et réifié.

 

- La dialectique entre les différents types de savoirs : Le processus d’émancipation met en œuvre la mise en dialogue de savoirs de nature différents : savoirs d’expérience, savoir scientifiques postivistes, savoirs des suds...

 

- La dimension de critique sociale dans les apprentissages : Les apprentissages ne reposent pas seulement sur des techniques, mais au-delà ils visent à développer une conscience sociale critique. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à lire, mais d’apprendre à lire le monde de manière critique. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre les mathématiques, mais de réfléchir sur les usages sociaux des mathématiques…

 

Apports de la pédagogie féministe

 

La pédagogie féministe va apporter quelque chose de plus par rapport à la pédagogie freirienne, elle ne s’interesse pas seulement à la prise de conscience des rapports sociaux de pouvoir dans la société, mais également à la prise de conscience des rapports sociaux dans la salle de classe.

 

Pour cela, elle s’interesse : aux supports pédagogiques, aux interactions dans la salle de classe...

 

Au-delà de Paulo Freire : la didactique critique

 

Bien évidement, les continuateurs et continuatrices de Paulo Freire ne se contentent pas de ces grands principes. Ils et elles peuvent être amenées à développer des techniques plus spécifiques. On peut alors parler d’une didactique critique qui consiste en un ensemble de techniques qui visent une efficacité dans l’apprentissage des savoirs critiques et dans le processus de conscientisation.

 

Aux Etats-Unis, certain-e-s chercheuses ont même développés des tests standardisés pour mesurer l’effet de certaines formations, et donc méthodes, sur la conscientisation des apprenants.

 

Mais cela ne constitue pas l'essence de la pédagogie freirienne qui ne se situe pas dans l'ordre de l'agir technique, mais de l'agir éthique. 

 

Conclusion :

 

La spécificité de la pédagogie critique se situant dans la continuité de Paulo Freire en réside pas dans des techniques. Cela d’autant plus que se placer au niveau des techniques, c’est viser l’efficacité et de ce fait se situer au niveau d’une mesure standardisable.

 

Cela ne veut pas dire que la pédagogie critique soit opposée à la recherche d’efficacité dans les apprentissages, mais simplement que son champ d’intervention ne se situe pas à ce niveau.

 

Le champ de la pédagogie critique se situe au niveau des dimensions éthico-politiques de l’action enseignante : quelles sont les finalités de l’éducation ? qu’est-ce qu’un agir éthique visant l’émancipation sociale ?

 

Le problème, c’est que bien souvent on en est venu à réduire l’agir enseignant à un agir technique, à un agir instrumenté et en définitif instrumental. Or l’agir enseignant renvoie à un agir éthique : favoriser l’émergence d’un sujet, ne pas réifier autrui, développer l’humanisation ontologique (le plus être)...