Science-fiction : Une pédagogie absolument efficace

 

 

Ce texte vise à réfléchir à ce qu’implique la conception technicienne d’une pédagogie efficace.

 

Et si une pédagogie absolument efficace existait...

 

Pour le comprendre, imaginons un monde dans lequel, les enseignants seraient formés avec un ensemble de techniques efficaces qui conduiraient à ce que les élèves n’aient aucun problèmes de comportement en classe et que les élèves apprennent à coup sur tout ce que l’on veut leur faire apprendre. Le monde rêvé des profs : pas de problèmes de discipline et pas de problèmes d’apprentissage. Les enseignants seraient formés avec une méthode absolument efficace qu’ils suivraient à la lettre.

 

Il est intéressant de réfléchir à ce qu’implique philosophiquement une telle expérience de pensée.

 

Tout d’abord, cela implique une certaine conception de l’être humain. Il serait possible d’avoir une connaissance absolue du comportement des individus et de leurs processus d’apprentissage. Cette connaissance pourrait en outre donner lieu à des processus techniques qui permettraient de maîtriser entièrement le comportement et les processus d’apprentissage de l’être humain. Dans une telle conception, tout imprévisibilité et résistance du comportement humain disparaît. L’être humain n’est plus qu’une sorte de robot que l’on peut totalement programmer. On voit que derrière cette conception de la pédagogie se cache un désir de toute puissance de maîtrise absolu de l’être humain.

 

Mais cette conception de la pédagogie n’implique pas seulement une certaine conception de l’être humain, mais également de l’enseignement. L’enseignant serait réduit à un technicien qui applique des méthodes efficaces pour tous les élèves et dans tous les contextes. Dès qu’un problème apparaît, il est résolu par une solution technique.

 

Dans ce monde, les enseignants n’ont pas pour objectif de faire réfléchir par exemple les élèves à leur comportement lorsqu’ils transgressent une règle. Il suffit qu’ils utilisent la méthode absolument efficace et tout rentre dans l’ordre. On voit donc que la mission qui consiste à éduquer un être humain disparaît. Elle devient inutile puisqu’il suffit d’appliquer la bonne méthode.

 

De quoi la domination de la pensée technicienne est-elle le symptôme ?

 

La pensée technicienne tend à coloniser l’ensemble du monde vécu. Elle consiste à considérer que tous les problèmes qui se posent dans l’existence humaine sont formulables sous formes de problèmes techniques et peuvent recevoir des réponses techniques. C’est le solutionnisme technique. Il s’agit d’une croyance dans le fait qu’il est désirable et possible que tous nos problèmes trouvent une solution technique. Cette conception de la réalité conduit à l’enthousiasme technologique. Cela consiste à considérer que les solutions techniques qui sont trouvées sont émancipatrices. Dans l’enthousiasme technologique, il y a une croyance dans le caractère émancipateur du progrès technique. Et même plus loin, une croyance que c’est par la technique que l’humanité sera émancipée.

 

Dans le cadre professionnel, la colonisation par la pensée technicienne et donc la rationalité instrumentale conduit à ce que les travailleurs/ses soient réduits à des exécutants qui appliquent des protocoles techniques. On leur fournit une technique efficace et son efficacité les dispensent de réfléchir. Tout au plus s’agit-il de réfléchir pour choisir les moyens les plus efficaces compte tenu de la situation. La conscience humaine se trouve réifiée car elle se limite à se poser des questions que pourrait se poser une machine.

 

L’agir technique se caractérise par une relation de maîtrise de moyens en vue d’atteindre une finalité. L’enseignement est une relation entre deux personnes dans laquelle il s’agit pour l’une d’apprendre un certain savoir. Si la relation d’enseignement est réduite à un ensemble de techniques, alors il ne s’agit que par des techniques de faire apprendre comme un vendeur use de techniques pour vendre son produit. La relation d’enseignement se réduit à une relation instrumentale. Dans cette relation technicienne, les êtres humains ne sont plus des sujets, mais de simples objets sur lesquels on peut agir comme sur des réalités matérielles.

 

Cette conception des relations humaines à avoir avec le capitalisme et s’accentue dans le néolibéralisme. La réduction des relations humaines à des relations techniques les rends réductibles à un simple calcul d’efficacité. Elle est profondément utilitariste.

 

Au-delà de la pensée technicienne.

 

A la différence de la pensée technicienne, la réflexion éthique et l’agir éthique permettent à l’enseignant de retrouver une maîtrise sur son travail et ainsi d’augmenter son pouvoir d’agir. En effet, la réflexion éthique ne se limite pas à une réflexion sur l’efficacité des moyens. Elle implique une réflexion sur la finalité des actions. Elle combat le voile technologique qui conduit à ne réfléchir que sur les moyens. Mais en outre, la réflexion éthique nous conduit à nous interroger sur l’agir non pas seulement en terme d’efficacité, mais également relativement à d’autres valeurs éthiques. Car tous les moyens ne sont pas nécessairement bons pour atteindre une fin. Par exemple est-il envisageable d’utiliser des moyens contraire aux valeurs que prône l’éducation pour faire apprendre ? Et d’ailleurs, quelles sont les valeurs d’une bonne éducation ?

 

La colonisation par la pensée technicienne conduit à ne plus être capable de formuler les réponses et les problèmes d’une autre manière que technique. Or il s’agit de se décoloniser de ce rapport technique à l’ensemble de la réalité. Il faut s’entraîner à formuler les problèmes sous une autre forme que technique et leur apporter d’autres réponses que technique. L’agir technique n’est qu’une partie de l’agir humain. Par exemple, le « care » (la relation de soin et son éthique) ne sont pas réductibles à un agir purement technique.

 

En outre, la critique de l’hégémonie de la pensée technicienne en éducation est indispensable en pédagogie critique. En effet, la pédagogie critique ne vise pas simplement à trouver une solution ponctuelle à une situation. Par exemple, la pédagogie critique n’a pas avant tout pour objectif de trouver une solution technique à un conflit au sein de l’école.

 

Elle se donne pour objectif d’en analyser les causes sociales et les rapports sociaux qui y participent. Elle voit par exemple dans les incidents critiques des occasions d’essayer de réfléchir et d’agir sur les inégalités sociales structurelles. La pédagogie critique se donne pour objectif de faire réfléchir la communauté éducative et les élèves aux rapports sociaux qui sont présents dans les situations éducatives et de les inciter à agir pour les transformer.

 

Or la conception technique de l’enseignement ne se donne absolument pas cet objectif. Il s’agit seulement de trouver une solution ponctuelle au problème. Il ne s’agit pas de permettre de réfléchir sur les rapports sociaux, et encore moins d’agir à ce sujet.

 

Conclusion: Un des enjeux de la pédagogie critique est donc de lutter pour réduire l'extension du domaine de la logique technicienne dans nos existences qui conduit à une aliénation de l'être humain.