Pédagogie critique: L’éthique de l’allié-e

 

 

Dans la lutte contre les oppressions en pédagogie critique, il y a toute une réflexion éthique à avoir concernant la posture d’allié-e qui est fondamentale.

 

(Work in progress)

 

Définition de la notion d’allié-e

 

L’allié-e dans le vocabulaire anti-oppressif désigne une personne qui n’est pas directement concernée par une oppression, mais qui souhaite lutter contre cette oppression.

 

Présupposés de la notion d’allié-e

 

La notion d’allié-e a plusieurs implications théoriques:

 

- Elle implique que les personnes sont conditionnées par leur position sociale, mais elles ne sont pas déterminées par celle-ci. Une personne peut choisir de ne pas prendre le parti des oppresseurs alors même que sa position sociale lui permet de bénéficier des privilèges sociaux du groupe socialement dominant.

 

- La notion d’allié-e a pour corollaire l’alliance. Cela signifie que la notion d’alli-é-e implique en particulier qu’il existe plusieurs oppressions et qu’une stratégie consiste à chercher une alliance entre les différents groupes sociaux opprimé-e-s.

 

- Cette approche est en particulier défendue par des groupes qui se trouvent socialement à l’intersection de plusieurs oppressions. C’est le cas par exemple des femmes racisées ou des personnes queer racisées.

 

- Il est également important de tenir compte qu’il n’existe pas d’opprimé-e-s ultime. Il est impossible qu’une personne cumule toutes les oppressions. De ce fait, cela signifie qu’il n’y a personne qui ne doive réfléchir également à sa position d’allié-e.

 

La posture non-éthique: Ce que n’est pas l’allié-e

 

L’allié-e est une figure qui se construit en opposition avec certaines attitudes militantes:

  • épuiser les personnes concernées par des questions et des débats qui ont déjà donné lieu à une importante littérature que l’allié-e pourrait commencer par lire

  • prendre toute la place sous prétexte d’aider, en particulier parler à la place des personnes concernées

  • théoriser sur les vies et l’émancipation des personnes les premières concernées à leur place

 

La posture éthique de l’allié-e en pédagogie critique

 

Etre un ou une allié-e implique une réflexion continue sur sa posture éthique.

 

La conscientisation: L’allié-e a un effort de conscientisation à effectuer. En effet, la positionnalité sociale induit que les personnes qui sont dans une situation de privilège social n’ont souvent pas conscience des privilèges dont elles bénéficient. Les témoignages de personnes les premières concernées (articles, video ou audio..) peuvent constituer des éléments de conscientisation à mettre en lien avec d’autres documents comme des travaux sociologiques qui permettent également d'acquérir une connaissance objective des oppressions sociales.

 

L’allié-e comme parti pris existentiel: L’allié-e est une personne qui adopte un parti pris existentiel et éthique. Etre allié-e implique un choix. Ce n’est pas une position sociale comme être une femme, être de classe populaire… Cela implique une prise de position, un choix existentiel. Celui de se mettre au côté d’un groupe socialement opprimé dont on ne vit pas soi-même l’oppression sociale.

 

L’autonomie des personnes les premières concernées: La posture d’allié-e implique en outre de considérer, de manière libertaire, que les personnes les premières concernées sont autonomes dans leur émancipation. Ce sont elles qui doivent décider des moyens et des finalités de leur émancipation. Cette position est à la base de l’Internationale ouvrière, puis du syndicalisme révolutionnaire: “L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes”. On retrouve cette même position dans les années 1960-70 dans le mouvement noir pour les droits civiques ou encore dans le mouvement féministe.

 

Quel est le rôle de l’allié-e ?

 

L’allié-e peut être un soutien de différentes manières en particulier en concentrant son rôle sur les autres personnes appartenant à son groupe:

 

- l’allié-e peut essayer de les conscientiser sur les oppressions sociales que vivent le groupe dont il ou elle est une allié-e et sur les privilèges sociaux de son propre groupe

 

- l’allié-e peut débattre avec les personnes de son groupe social pour les empêcher de répandre des propos problématiques comme par exemple le déni de travaux objectifs ou des fausses informations.

 

- l’allié-e peut travailler à dévoiler les stratégies sociales de domination des groupes sociaux dominants pour aider les personnes socialement dominées à avoir les armes leur permettant de contester ces codes.

 

- l’allié-e n’agit pas sur (pouvoir contrainte), mais il ou elle “agit avec” afin d’aider à développer le pouvoir de (pouvoir d’agir) des personnes directement concernées par une oppression sociale.

 

L’allié-e dans les recherches en sciences sociales et humaine et philosophie:

 

- L’allié-e est une personne qui a conscience de l’impossible neutralité de la recherche scientifique SHS, mais qui considère qu’il s’agit néanmoins de tendre à l’objectivité scientifique. Boaventura de Sousa Santos l’a bien analysé: il y a une relation inversement proportionnelle entre objectivité et neutralité. Plus on se croit neutre, plus on risque de manquer d’objectivité. Plus on est conscience de son absence de neutralité, plus on peut tendre à être objectif.

 

- L’allié-e est donc une personne qui fait un effort d’objectivation de sa position sociale et de sa relation à l’objet d’étude. On peut distinguer deux types de positions sociales: a) les allié-e-s qui sont en position sociale clairement dominante (ex:Francis Dupuis-Deri illustre ce type d’allié-e) b) en positionnalité sociale ambivalente (ex: Albert Memmi est une illustration de ce type d’allié-e)

 

- Ces deux types d’allié-e-s jouent un rôle important dans l’étude des stratégies sociales de domination et leur déconstruction. Mais seulement s’il/elle se demande en quoi le point de vue liée à sa positionnalité sociale peut apporter comme savoir sur les rapports sociaux.

 

- L’allié-e est aussi une personne qui peut admettre, avec réflexion, que dans sa manière d’envisager les questions il puisse y avoir des biais du fait de sa positionnalité sociale et donc accepter des critiques sur ce plan, si elles sont justifiées.

 

- L’allié-e s’est également une personne qui lorsqu’elle cite des concepts produits par des personnes subalternes n’invisibilise pas leur origine.

 

- L’allié-e est une personne qui ne va pas parler à la place des personnes les premières concernées, mais qui va au contraire agir avec elle, dans des projets d’écriture collectifs, pour leur permettre de prendre la parole.

 

Pédagogie critique: Ethique de l’allié-e et capital universitaire

 

Cette réflexion vise à essayer de comprendre quel rôle peut jouer le capital universitaire dans une éthique et une politique de l’allié-e.

 

Il y a bien un domaine dans lequel je suis assurée d’une position dominante par rapport au reste de la moyenne de la population, c’est sur le plan du capital universitaire (avec un doctorat et une HDR).

 

C’est pourquoi il me semble utile de m’interroger sur ce que peut essayer d’être une éthique de l’allié-e dans ce domaine. Cela d’autant plus que beaucoup des personnes qui sont dans mon cas peuvent comme moi occuper une fonction d’enseignement.

 

Définition générale de l’allié-e: Une personne qui est un allié-e est une personne qui n’est pas directement concernée par une oppression, mais qui désire soutenir les personnes qui subissent cette oppression.

 

Dans le cas du capital universitaire, il s’agit en particulier de savoir comment ce capital peut-être mis au service des mouvements sociaux de lutte.

 

Des savoirs de nature différentes

 

Il est nécessaire tout d’abord de revenir sur la nature de savoirs qui sont différents:

 

- Le savoir des opprimé-e-s est un savoir souvent subjectif, expérientiel, pragmatique. En soi, il possède sa vérité qui est une vérité qui lui vient de l'expérience vécue. 

 

Mais c’est une vérité qui est différente du savoir scientifique. Par exemple, le savoir scientifique peut être général, par exemple statistique.

 

Par exemple, une personne peut exprimer un vécu subjectif de souffrance. Personne ne peut nier la vérité de cette expérience de souffrance. En revanche, cette expérience, qui se traduit par une souffrance subjective, ne se retrouve peut-être pas à un niveau statistique. Elle peut être statistiquement exceptionnelle.

 

Donc, il est important de garder en tête qu’il s’agit de savoirs de nature différentes souvent avec une portée différente: par exemple micro-social chez les sujets opprimés, et macro-social au niveau de la recherche scientifiques en sciences sociales.

 

L'intérêt du savoir scientifique est de pouvoir objectiver à un niveau structurel les oppressions et donc montrer qu'elles ne sont pas uniquement des expériences individuelles, mais également des réalités statistiques. 

 

Ethique de l’allié-e

 

- Le parti pris des opprimé-e-s: l’allié-e est d’abord une personne qui décide de mettre son capital universitaire au service de la lutte contre une ou plusieurs oppressions sociales.

 

- L’éducation populaire: c’est une personne qui accepte également de prendre du temps pour diffuser des connaissances universitaires hors des sphères universitaires, dans des espaces variés

 

- La diffusion de connaissances critiques: cela consiste à donner des armes critiques aux opprimé-e-s pour qu’elles ou ils puissent analyser la réalité sociale.

 

- Faire connaître les contributions des subalternes: Diffuser les production littéraires, en sciences humaines sociales, artistiques des groupes socialement opprimé-e-s, par exemple dans les corpus de cours.

 

- La simplicité: Cela suppose d’être capable d’expliquer simplement ces connaissances sans être simplifcateur/trice. Par exemple, cela suppose de ne pas jargonner inutilement.

 

- L’ouverture au dialogue: Cela consiste à supposer que les autres personnes peuvent avoir des connaissances de nature différentes qui peuvent être légitimes, mais qui n’ont pas nécessairement la même portée. Il s’agit en particulier de distinguer les différences de portée entre ces connaissances.

 

- Le développement du pouvoir d’agir: Il ne s’agit pas de parler ou d’écrire à la place des personnes concernées, mais de les aider à développer leur pouvoir de parler ou d’agir en tant que personnes socialement opprimées. Faire en sorte que les opprimé-e-s puissent écrire leur histoire personnelle et collective.

 

 

Références bibliographiques:

 

Textes de bell hooks traduits dans l’ouvrage: : Altamimi, M., Dor, T., Guénif-Souilamas, N., ed. Rencontres radicales. Pour des dialogues décoloniaux. Cambourakis, 2018.

 

Lallab, “11 conseils pour être des bons allié-e-s” - http://www.lallab.org/11-conseils-pour-etre-un-e-bon-ne-allie-e/

 

Feminazugel - Comment devenir un-e bonne allié-e ? - https://feminazgulencolere.wordpress.com/2016/08/15/comment-devenir-un-e-bon-ne-allie-e/