Ethique de la critique : formes de la réification au travail dans le NMP

 

 

L’éthique de la critique développe une résistance éthique aux formes de réification au travail face au nouveau management public (NMP). Mais cela suppose d’analyser les logiques à l’oeuvre dans les pratiques de réification.

 

Philosophie générale de la réification au travail

 

La réification au travail consiste à ne plus considérer les travailleurs/ses comme des personnes, mais à les réduire au rang de choses. L’être humain n’est vu que comme un moyen au sein d’une organisation de travail qu’il s’agit de rendre la plus performante possible.

 

Avec le Nouveau management public (NMP), l’organisation du travail est basée sur la recherche de l’efficience. Ce que l’on peut traduire en termes simples par « faire mieux, avec moins ». Il s’agit d’une double rationalité à la fois technique et comptable.

 

Dans cette logique, l’individu n’est plus considéré, en premier lieu, comme une « personne humaine », mais il est réduit au rang de moyen humain qui est là pour remplir les besoins de l’organisation de travail.

 

Mais plus encore avec le Nouveau management public (NMP), comme il faut « faire mieux avec moins », il s’agit donc de faire en sorte d’obtenir davantage des individus quitte à les « pressurer » jusqu’à ce que leur santé physique ou mentale se dégrade. Depuis les années 1990, on assiste ainsi à une augmentation des problèmes de santé au travail et en particulier des risques psycho-sociaux.

 

Marx dans Le Capital avait distingué trois stratégies par lesquelles on augmente le taux de plus value : augmentation de la durée de travail, baisse du salaire, intensification de la production (productivité). Par ailleurs, Marx avait mis en lumière le rôle de l’armée de réserve du prolétariat : si le travailleur devient incapable de travailler, on peut le remplacer aisément par un autre.

 

On va voir que l’administration publique, avec le NMP, alors même que l’objectif d’un service public n’est pas de générer du profit, est conduite à utiliser les mêmes stratégies que le capitalisme afin d’optimiser l’usage du « capital humain » dans une situation de pénurie de recrutement de fonctionnaires.

 

Des stratégies du nouveau management public

 

- Instrumentaliser les principes du service public et la conscience morale professionnelle : comme les employés du service public doivent avoir une certaine éthique au travail, on leur demande de palier les problèmes du service au nom de leur éthique professionnelle. Par exemple : rattraper des cours suite à un congés maladie pour des élèves puissent passer leur examens.

 

- Mettre en œuvre des stratégies d’organisation du service pour que les salariés soient contraints de faire des heures complémentaires (qui sont en outre moins payées que des heures supplémentaires).

 

- Intensifier le travail en utilisant des outils numériques qui conduisent en outre à externaliser sur le travailleur, durant son temps personnel, un certain nombre d’activités soit qui étaient prises en charge habituellement par des services administratifs, soit qui résultent de la création de nouvelles formes de contrôle.

 

Ce ne sont que quelques exemples qui peuvent être déclinés et analysés selon les services publics, mais qui aboutissent bien au trois stratégies qu’avait déjà distingué Marx dans Le Capital.

 

Respect de la dignité de la personne au travail

 

L’éthique professionnelle, comme champ historiquement constitué, est apparue suite au Procès des médecins de Nuremberg.

 

Dans la Déclaration universel des droits humains de 1948, l’article 1er dispose : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits ». La notion de dignité apparaît donc comme un principe des droits humains.

 

De manière générale, on peut interpréter la Seconde Guerre mondiale comme la prise de conscience que le progrès des sciences n’a pas été en mesure de constituer une limitation à la déshumanisation de l’être humain. C’est donc pour cela qu’est apparu l’éthique comme champ visant à une réflexion sur les limites à apporter aux processus de déshumanisation de l’être humain que cela provienne de la recherche scientifique ou de la recherche du profit économique par exemple.

 

En 1994, le principe de la « dignité de la personne humaine » est reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle : « Dans sa décision « Bioéthique » du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a déduit le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation »

(https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-dignite-de-la-personne-humaine )

 

Ce principe est repris dans l’article 31 de la Charte européenne des droits fondamentaux concernant le travail : « Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. » (2000).

 

Conclusion :

 

Sur le plan de la philosophie du droit, on constate que depuis la Seconde Guerre mondiale, le principe de respect de la dignité de la personne humaine a pris une place fondamentale comme principe supérieur.

Paulo Freire, dans Pédagogie des opprimés, a fait de la lutte contre la déshumanisation, la question philosophique aux plus forts enjeux socio-politiques : « Le problème de l’épanouissement de l’être humain, de son humanisation, qui d'ailleurs a toujours été, d'un point de vue philosophique, un sujet

de recherche, est devenu aujourd'hui une préoccupation lancinante » (Pédagogie des opprimés).

L’éthique de la critique constitue donc une interrogation philosophique sur toutes les formes que prennent les atteintes socio-économiques à la dignité de la personne humaine et les formes éthico-politiques de résistance à cette déshumanisation qui sont mises en œuvre.