Ethique de la critique : Les mécanismes de la « banalité du mal » au travail

 

 

Dans Souffrances en France, C. Dejours avait essayé de décrypter certains mécanismes de la « banalité du mal » au travail. On peut essayer en dehors des analyses qui ont déjà été proposées par cet auteur de mettre en lumière d’autres mécanismes.

 

Plusieurs des mécanismes ci-dessous peuvent renvoyer à ce que Weber avait qualifié de « cage d’acier » et qui caractérisent selon lui aussi bien l’État bureaucratique que l’entreprise capitaliste. On les retrouve par exemple lorsque Weber décrit le fonctionnement de l’administration bureaucratique avec par exemple l’impersonnalité ou le formalisme.

 

 

- La déresponsabilisation :

 

Dans les grandes organisations de travail, le fait que certaines fonctions puissent être assumées collectivement peut conduire à ce que chaque personne individuellement ne se sente pas responsable de la situation.

 

On observe ce phénomène également en cas d’agression dans un espace public, chacun s’attend à ce que l’autre intervienne, et de fait personne ne réagit. C’est ce que des psychologues sociaux ont appelé « l’effet du passant ».

 

Par exemple, dans une organisation du travail, un mail envoyé à un service par un collaborateur d’un autre service pour mettre en lumière une situation problématique peut rester sans réponses car au sein de ce service personne ne considère que cette situation ne relève personnellement de sa compétence et de sa responsabilité.

 

- L’impersonnalité

 

Dans les grandes organisations de travail, les relations peuvent être impersonnelles, à travers des échanges de mail, donc le fait de ne pas avoir directement à faire aux personnes, peut créer une situation d’impersonnalité. De fait, impersonnalité et déresponsabilisation peuvent être liées.

 

E. Lévinas a souligné dans son travail sur la morale que le visage de l’autre porte une exigence morale. Le caractère impersonnel des échanges peut au contraire faire disparaître le sentiment d’exigence morale. C’est une situation que l’on observe également dans les échanges en ligne qui peuvent faciliter le passage à des comportements problématiques.

 

- La rationalité instrumentale

 

Les organisations de travail néolibérales ou technocapitalistes, dominées par une logique d’efficacité, conduisent les individus à raisonner selon la logique instrumentale.

 

Pris dans la logique de raisonnement que leur impose l’organisation du travail, ils ont une plus grande difficulté à faire primer la raison pratique, la conscience morale.

 

C’est ce qu’Adorno a appelé le « voile technologique ». Les individus se mettent à raisonner avant tout sur l’efficacité des moyens et oublient les finalités.

 

Au lieu par exemple de prendre en compte comme une priorité la santé des travailleurs, les encadrants raisonnent en faisant intervenir en priorité des considérations qui relèvent du calcul d’efficacité.

Conclusion :

 

La « banalité du mal » au travail ne peut se limiter à une analyse simplement morale, qui ne fait intervenir que les relations interpersonnelles, elle implique une analyse des logiques d’organisation qui favorisent chez les acteurs et actrices des comportements où l’expression de la conscience morale devient secondaire.