Pédagogie critique de la vulnérabilité

 

 

Plusieurs philosophes contemporains ont souligné comment la vulnérabilité était au coeur de l’expérience anthropologique et comment elle vient fondamentalement s’opposer à la logique néolibérale. Se pose alors la question de savoir en quoi peut consister une pédagogie critique de la vulnérabilité.

 

Pédagogie des opprimés, pédagogie de la vulnérabilité.

 

En écrivant Pédagogie des opprimés, Paulo Freire fait le choix éthico-pédagogique de se situer du côté des opprimés. Mais en quoi, la pédagogie des opprimés peut avoir un rapport avec une pédagogie des vulnérables ?

 

La notion d’opprimé, dans Pédagogie des opprimés de Paulo Freire, fonctionne comme un « signifiant vide » (Laclau). Tout groupe socialement opprimé peut se retrouver dans la notion d’ « opprimé ». Opprimé ne désigne pas un groupe social particulier, mais une place dans les rapports sociaux de pouvoir. Il existe dans sa dualité avec la figure de l’oppresseur.

 

La vulnérablilité désigne chez plusieurs auteurs contemporains, tels que Butler ou Le Blanc, une caractéristique anthropologique. L’être humain se caractérise par l’expérience de la vulnérabilité : l’enfance, la maladie, la vieillesse… Tous les êtres humains ne sont pas exposés au même titre à la vulnérabilité… Mais la vulnérablité est un possible de l’existence humaine auquel chacun/chacune peut être confronté à titre de « sujet » ou d’aidant-e.

 

Les vulnérables désignent plus particulièrement l’ensemble des groupes sociaux confrontés à une expérience plus spécifique de la vulnérabilité.

 

Comme le souligne plusieurs auteur-e-s, tels que Butler, la vulnérablité, car elle s’associe à l’improductivité ou à la faible productivité, vient entrer en contradiction avec la logique de performance, d’excellence et de productivisme du néolibéralisme.

 

Vulnérabilité, pédagogie des opprimés et allié-e-s

 

La pédagogie critique a à faire advenir une conscientisation des allié-e-s que la vulnérabilité n’est pas l’affaire d’un groupe particulier, les exclus, mais que la vulnérabilité est une expérience susceptible de toucher tout le monde.

 

Le rôle de la pédagogie critique est donc de développer cette conscientisation d’une solidarité entre les personnes vulnérables et ceux qui n’ont pas conscience actuellement de leur vulnérabilité, qui n’ont pas conscience que l’expérience de la vulnérabilité est au coeur de l’expérience anthropologique et que le social doit donc s’organiser à partir d’une pensée de la vulnérabilité.

 

Il ne s’agit pas de penser le fonctionnement de la société à partir de l’homme blanc adulte valide en bonne santé, mais à partir du respect de la dignité de la personne en extrême dépendance.

 

Encapacitation des personnes vulnérables et pédagogie des opprimés

 

La pédagogie des opprimés s’est donnée pour objectif de développer la capacité des opprimés à se constituer comme des sujets de l’histoire capables de revendiquer pour être respectés et conquérir des droits.

 

La pédagogie critique a pour fonction d’aider les personnes vulnérables à prendre conscience de leur pouvoir en tant que groupe collectif. Il ne s’agit plus de se penser comme individu vulnérable, mais comme personne partageant une condition sociale sur laquelle il est possible d’agir.

 

De là, la pédagogie critique vise à ce que les vulnérables puissent s’éprouver comme sujet collectif historique transformateur agissant.

 

On peut citer plusieurs exemples. Les universités d’ATD Quart monde peuvent apparaître comme des expériences pédagogiques avec des personnes vulnérables.

 

La lutte des malades du SIDA, avec Act Up, a constitué un exemple historique où des personnes vulnérables se sont constitués en sujet historiques transformateurs.

 

Référence :

 

Botbol Baum, Mylène. « Pour sortir de la réification de la vulnérabilité, penser la vulnérabilité du sujet comme capacité », Journal international de bioéthique et d'éthique des sciences, vol. vol. 27, no. 3, 2016, pp. 13-34.

 

Guillaume le Blanc - Que faire de notre vulnérabilité ? (2009) - https://www.youtube.com/watch?v=rT2XTNwqbRs

 

Guillaume Le Blanc, « Une voix à soi » (2011).URL : http://www.urbain-trop-urbain.fr/wp-content/uploads/2011/04/Guillaume-Leblanc_Sans-voix.pdf

 

Corine Pelluchon, Du principe d’autonomie à une éthique de la vulnérabilité (2009) – URL : http://corine-pelluchon.fr/wp-content/uploads/2013/07/article-pour-CS%C3%A8vres.pdf

 

Pascale Molinier, « Les écuries d’Augias : mythe de la performance et déni de vulnérabilité ». URL : https://www.raison-publique.fr/IMG/pdf/raison_publique_14.pdf