Pédagogie queer existentielle

 

 

La pédagogie queer peut-être abordée à partir de ses enjeux existentiels.

 

 

Etre queer, une revendication existentielle

 

« Il vaut mieux être soi-même en ayant une vie un peu plus difficile que de vivre dans le déni toute sa vie pour avoir une espèce de sécurité, moi c'est quelque chose que je ne voulais pas, le plus important pour moi dans ma vie, c'est de me sentir moi, même si c'est difficile, même si la vie n'est pas facile en tant que femme trans, je m'assume pleinement et je le vis à 100%" (Julia, Documentaire "Dans la tête d'un-e trans", 2020)

 

Pour les personnes queer, minorités de sexualité ou de genre, l’adéquation de soi à soi constitue une urgence vitale. Elle l’est d’autant plus lorsque l’on se réfère au risque accru de suicide chez les adolescents et adolescentes queer, du fait de la pression sociale qu’elles subissent à ne pas exprimer leur orientation amoureuse/sexuelle ou leur genre. Elle apparaît également dans le risque de harcèlement scolaire que peut punir l’expression d’un devenir minoritaire en matière de genre et/ou de sexualité.

 

De ce fait, la problématique des violences à l’encontre des personnes queer montre les limites d’une conception qui réduit la revendication de l’expression de soi à une simple problématique marchande néolibérale.

 

Enfin, cela amène à relativiser la valorisation du collectif, face à l’oubli que celui-ci peut également se matérialiser par le conformisme de groupe qui exclu ou pousse à la conformation.

 

Les risques de l’enseignant-e-s queer

 

Etre un ou une enseignant-e queer, c’est être d’abord confronté à un dilemme : celui d’être « out » ou pas sur son lieu de travail, auprès de ses collègues et/ou de ses élèves. L’enseignant-e queer peut craindre les risques de stigmatisation sociale, voire de harcèlement au travail.

 

Mais se pose également pour il/elle la question de savoir comment être un ou une alliée relativement aux élèves qui sont également queer.

 

Etre queer, une manière d’être

 

Etre un ou une enseignant-e queer « out », c’est incarner un exemple possible, une manière d’être dans la société en dehors des normes de genre et/ou de vie amoureuse dominantes. Par sa simple visibilité, par son courage de s’affirmer, l’enseignant-e queer « out » réalise acte de « pédagogie queer ».

 

Mais l’affirmation de soi n’est pas également possible pour toutes et tous en fonction en particulier de l’intersectionnalité avec d’autres discriminations sociales. Etre « out » peut poser plus de difficultés par exemple à des personnes queer racisées, apparaître comme une injonction « de gays de classe moyenne blanche ».

 

Le courage d’être soi

 

Pourtant, la problématique de l’affirmation de soi est au coeur du devenir queer. Elle peut donc occuper une place dans les problématiques abordées en cours, par exemple en littérature avec des choix de texte. Il s’agit alors de poser de manière générale la question de la possibilité d’être soi-même en société, mais plus encore dans une société de la production de masse standardisée.

 

Cette réflexion sur l’authenticité n’est pas propre uniquement à la pédagogie humaniste de Carl Rogers qui vise l’accomplissement de soi. Mais, elle est également présente dans la pédagogie critique de Paulo Freire. Cependant, dans le cadre de la pédagogie critique, ce choix existentiel ne se limite pas seulement à l’accomplissement de soi, mais il implique que pour les opprimés l’affirmation de soi est indissociable d’une libération collective.

 

La pédagogie critique n’implique pas seulement l’idée d’une émancipation individuelle, mais également d’une émancipation collective en tant que groupe opprimé.

 

Néanmoins, il est possible de noter un point commun entre Rogers et Freire, c’est que pour ces deux auteurs la pédagogie ne se caractérise pas avant tout par une dimension technique, mais par une relation d’aide visant l’empowerment des sujets.

 

Etre un ou une allié-e

 

Cette manière d’être commune aux deux auteurs – Rogers et Freire – est d’abord la consistance (ou congruence). Elle consiste dans l’adéquation entre la pensée, le dire et le faire : «adéquation entre ce que je pense, ce que je dit et ce que je fais ». Elle est la base pour le sujet éducateur à partir de laquelle peut s’établir la relation d’aide pédagogique.

 

C’est à partir de cette authenticité du sujet éducateur que peut être pensé l’attitude d’allié-e. Or l’allié-e, comme le souligne la pédagogie critique de la norme (version suédoise de la pédagogie queer) peut être conduit à intervenir.

 

Par exemple dans le cas où des propos homophobes sont tenus dans la classe, l’enseignant-e ne va pas attendre que un ou une élève concernée se défende lui-même ou elle-même en s’outant, elle va intervenir en tant qu’allié-e.

 

On voit ainsi que l’attitude de l’allié-e vient limiter la posture de retrait qui est parfois vu comme l’idéal de certaines pédagogies centrée sur l’élève.

 

Conclusion :

 

L’objectif de ce texte a consisté à souligner plusieurs points. Une pédagogie queer n’est pas un ensemble de techniques. Elle s’incarne dans une attitude, dans une relation d’aide, qui constitue la posture de l’allié-e. Pour la pédagogie queer, la question de l’adéquation de soi à soi est fondamentale. Cette adéquation ou « congruence » est l’attitude fondamentale à partir de laquelle se déploie une relation d’allié-e. Elle constitue également la fond de la réflexion d’une pédagogie queer : Est-il possible réellement de parvenir à être soi dans une société où domine l’injustice sans participer soi-même à la lutte contre l’injustice ?