Ethique de la critique (Paulo Freire) : L’éthique en temps de pandémie.

 

 

Non l’éthique ne doit pas être instrumentalisée !

 

 

En quoi l’éthique de la critique, peut-elle nous aider à penser l’éthique en temps de pandémie ?

 

I- Considérations générales :

 

Qu’est-ce que l’éthique de la critique ?

 

L’éthique de la critique désigne un courant de l’éthique qui se situe dans la continuité de l’Ecole de Francfort et de la pédagogie critique de Paulo Freire. L’éthique de la critique se distingue des autres courants de l’éthique en particulier par la place qu’il accorde aux rapports sociaux de pouvoir dans la prise en compte des questions éthiques (voir à ce sujet entre autres les travaux de Lyse Langlois).

 

L’éthique de la critique : le principe de dignité de la personne humaine

 

Une des dimensions fondamentales qui caractérise l’éthique de la critique, c’est la place qu’elle accorde à l’égale considération de tous les êtres humains, ce que l’on appelle également le principe de dignité de la personne humaine.

 

Ce principe constitue un des points importants de la pédagogie critique de Paulo Freire. Celle-ci se présente comme une lutte contre toutes les formes de déshumanisation de l’être humain et de sa réification que ce soit par le capitalisme, la bureaucratie ou encore par exemple dans les rapports sociaux de sexe.

 

Sur le plan éthique, cela signifie que le principe d’égalité ne peut être, y compris en temps de pandémie, considéré comme secondaire. Cela signifie que les impératifs d’efficacité économique ou utilitaristes de manière générale ne peuvent jamais s’avérer passer avant la valeur absolue de chaque personne humaine.

 

L’éthique de la critique : la place des personnes vulnérables

 

La pédagogie critique de Paulo Freire repose sur un choix existentiel et éthique, celui d’être du côté des opprimés.

 

Dans le cas d’une situation de pandémie, où certaines ressources en termes de soins peuvent se trouver réduites, l’éthique de la critique impose de défendre la voix des sans voix, celle de ceux et de celles qui risquent d’être oubliés ou sacrifiés sur l’autel des intérêts des puissants ou même de la majorité : personnes en situation de handicap, SDF, migrants...

 

L’éthique de la critique : Quand la pandémie est aggravée par le néolibéralisme et les choix gouvernementaux

 

Paulo Freire a mis en avant la lutte contre ce qu’il a appelé le fatalisme néolibéral. De ce fait, l’éthique de la critique ne peut se taire lorsqu’il s’agit de réflexion éthique sur le fait que les choix néolibéraux de la nouvelle gestion des politiques publiques ont conduit à l’affaiblissement de ce bien commun que constitue le service public de la santé, et en particulier l’hôpital.

 

L’éthique de la critique : les inégalités face à la pandémie

 

Les inégalités sont d’abord celles dans la possibilité de se protéger et d’assurer sa survie en temps de pandémie : l’accès à un logement, à de la nourriture… Cette situation désavantage les personnes SDF, âgées, en situation de handicap ou encore de forte précarité sociale...

 

Ces inégalités sont aussi celles qui touchent la capacité des travailleurs à se protéger ou pas du risque de maladie épidémique : ce sont les ouvriers et les employées non qualifiées qui sont en première ligne car ils et elles ne peuvent pas effectuer leur activité en télétravail.

 

Elles sont enfin celles qui touchent les inégalités régionales mondiales entre pays riches et pays pauvres qui sont susceptibles de jouer dans le cas des pandémies.

 

II- Conséquences éthiques :

 

L’éthique de la critique a pour mission en temps de pandémie de s’assurer que le discours éthique ne serve pas à justifier l’injustifiable, qu’il n’oblitère pas les conditions sociales de la pandémie, qu’il soit toujours attentif aux plus vulnérables.

 

En conséquence de quoi, il appartient aux travaux en éthique :

 

1- De toujours veiller à mettre en lumière les conditions socio-historiques de la pandémie :

 

- Les conséquences sur la gestion de la pandémie des politiques néolibérales du service public de la santé

 

- Les manquements des pouvoirs publics, s’ils ont lieu, quant aux principes d’égalité et de non discrimination dans la gestion de la pandémie.

 

- Les inégalités sociales et par conséquent les risques qu’impliquent la pandémie en termes d’inégalités sociales.

 

2- De toujours veiller à ce que le discours éthique : :

 

- ne soit pas instrumentalisé à des fins de faire passer au second plan, le principe d’égale considération des êtres humains. Certes il peut arriver en fait que les ressources sanitaires soient limitées, mais cela ne doit pas conduire à justifier en droit la remise en question du principe d’égale considération.

 

- qu’il soit au service de la défense des personnes les plus vulnérables dans la société et qu’il ne puisse être utilisé pour les sacrifier au nom de la logique de l’efficacité économique.

 

- ne soit pas instrumentalisé à des fins de propagande gouvernementale de manière à justifier soit disant « éthiquement » des manquements des autorités gouvernementales auprès de la population.

 

 

 

Irène Pereira (Co-fondatrice de l'Institut bell hooks-Paulo Freire, Membre représentant pour la France du Conseil mondial des Instituts Paulo Freire  )