Le triage des patients à l’ère de l’euthanasie néolibérale

 

 

Dans un contexte de pandémie, face à la pénurie néolibérale, l’État se trouve à devoir organiser l’euthanasie néolibérale.

 

Une nouvelle forme de malthusianisme

 

Malthus expliquait que la courbe de la population croissait selon une suite géométrique alors que les ressources, elles croissaient selon une courbe arithmétique. De ce fait, dans le grand banquet de la vie, il n’y aurait pas de place pour tout le monde.

 

De même, la croissance des personnes contaminées par l’épidémie du COVID est exponentielle. Si toutes les personnes qui sont contaminées ne nécessitent pas une prise en charge avec des soins intensifs et de la réanimation, pour autant leur proportion suit celle de la contamination de la population d’autant plus si celle-ci est démographiquement âgée.

 

De ce fait, des personnalités politiques, mais également des éthiciens et éthiciennes – spécialistes en éthique- semblent reprendre le discours de Malthus selon lequel dans le grand hôpital de la vie, il n’y a pas de place pour soigner tout le monde.

 

Immunité de groupe ou le discours darwiniste en politique

 

Certaines personnalités politiques néolibérales ont fait le choix au début ou même semble maintenir pendant l’épidémie la politique de l’immunité de groupe. Il s’agit dès lors d’accepter comme un fait naturel que les personnes les plus vulnérables – malades ou âgées – meurent jusqu’à ce que la majorité de la population soit immunisée.

 

Le Président Jair Bolsonaro est un bon exemple de cette approche : « "L'effet collatéral des mesures prises pour combattre le coronavirus ne peut pas être pire que la maladie elle-même"(...)"On n’arrête pas une usine de voitures parce qu’il y a des morts sur la route". On retrouve la même idée d’une autre manière chez Donald Trump qui déclare que 100 000 morts pourront être un chiffre tout à fait acceptable.

 

L’éthique utilitariste au service du néolibéralisme

 

Dans le Nouvel Observateur, la philosophe Catherine Audard s’appuie sur les ressources de la philosophie utilitariste pour rendre compte des justifications qui peuvent être données au triage des patients. Effectivement, l’utilitarisme se trouve fort bien adapté pour effectuer des raisonnements d’attribution de ressources à partir d’un stock limité.

 

Néanmoins, dans les différents articles publiés dans la presse par les philosophes interrogés sur le triage des patients et qui semblent le justifier avec des raisonnement utilitaristes, la question des choix politiques néolibéraux qui ont précédés ou qui sont mis en œuvre durant la pandémie ne sont pas interrogés.

 

On peut effectivement discuter le fait que l’on raisonne réellement à partir d’un stock limité en soi de ressources. En effet, il peut être possible par exemple de reconvertir des pends de l’économie pour la faire produire des ressources nécessaires aux soins.

 

Le triage des patients, une euthanasie libérale ?

 

Dans des documents visant à prioriser les patients, c’est le critère du « score de fragilité » qui est utilisé. Peut-on dès lors parler d’une euthanasie libérale comme Jurgen Habermas a parlé d’eugénisme libéral dans son ouvrage Adieu la nature humaine ?

 

Pour Habermas, l’eugénisme libéral se distingue des formes antérieures de l’eugènisme en ce qu’il ne s’agit pas de politiques d’État, mais d’un choix effectué par les individus comme s’il s’agissait d’un achat commercial. Par exemple, il s’agirait du choix sur catalogue, par les parents, des caractéristiques génétiques de l’enfant à venir.

 

Dans le cas présent, avec le triage des patients, il s’agit bien d’une politique d’État. Mais celle-ci n’est pas menée, comme par exemple dans le programme nazi Aktion 4 d’extermination des handicapées, au nom d’une idéologie eugéniste.

 

Il s’agit plutôt d’une autre réalité qui renvoie à la fois à la question du biopouvoir chez Foucault et à des analyses du néolibéralisme que l’on trouve par exemple chez Dardot et Laval.

 

Dans le cas du triage des patients, mené dans le cadre de l’épidémie COVID-19, il s’agit bien de l’État qui est sommé de gérer les critères de priorisation engendré par la pénurie néolibérale. On voit dès lors que le néolibéralisme ne fonctionne pas sans et contre l’État, mais que l’État est un acteur des politiques néolibérales.

 

L’État se retrouve chargé du fait des politiques néolibérales d’assumer la gestion biopolitique du droit et vie de morts au sein des populations.

 

Le rôle de la philosophie éthique

 

Une question se pose actuellement c’est le rôle de l’éthique, en tant que champ de la philosophie. Comment expliquer que des éthiciens et éthiciennes, des philosophes, se répandent dans la presse pour justifier les politiques utilitaristes de triage des patients sans jamais interroger le contexte politique qui les anime ?

 

Il ne s’agit pas ici de nommer des personnes, mais de s’interroger sur peut être ce qui constitue une limite structurelle au champ de la réflexion éthique à savoir la déconnexion de la réflexion éthique d’une analyse du contexte politico-économique dans lequel ont lieu les raisonnements éthiques.

 

Conclusion :

 

Le triage des patients durant l’épidémie du COVID-19 met à jour une nouvelle forme d’euthanasie qui est l’euthanasie néolibérale. Elle confère à l’État le rôle de mener une politique de sélection des patients qui sont prioritaires pour l’accès aux ressources de soin à partir des conditions de pénurie organisée par la gestion de stock à flux tendue du management néolibéral.