Ethique de la critique : Est-il éthique de rouvrir les écoles durant la pandémie ?

 

 

L’éthique est une compétence du référentiel des enseignants (Compétence n°6). Que dit l’éthique l’éthique de la critique relativement à la réouverture des écoles ?

 

Demande : Avant de répondre à cette question :Qu’est-ce que l’éthique de la critique ?

 

Réponse : Il s’agit d’un courant de l’éthique professionnelle qui se situe dans la continuité de l’oeuvre du philosophe et pédagogue Paulo Freire. Il repose sur deux principes :

 

P1. La reconnaissance de l’égale dignité de toutes les personnes (principe reconnu dans les déclarations des droits humains et dans la constitution française)

 

P2 : Etre du côté des opprimé-e-s : Quand le principe 1 est remis en question, les pédagogues critiques choisissent d’être du côté des opprimé-e-s (dont l'égale dignité n'est pas respectée) pour rétablir le principe 1.

 

La pédagogie critique est la version en éducation de l’éthique de la critique. En effet, la pédagogie est considérée comme l’éthique de l’enseignant pour Paulo Freire.

 

D : Comment se positionne l’éthique de la critique relativement à l’ouverture des écoles durant la pandémie ?

 

R : Un des rôles de l’éthique lorsqu’il y a des principes en opposition, c’est de les hiérarchiser. Ici, il y a au moins deux principes :

- la sécurité sanitaire des personnes (droit à la santé)

- la continuité du service public scolaire (droit à l'éducation)

 

Une première question est de savoir si ces deux principes s’opposent. Lorsque le gouvernement a fermé les écoles pendant deux mois, il a jugé que le principe de sécurité sanitaire des personnes était supérieur au principe de continuité du service public de l’école en présentiel.

 

L’éthique de la critique permet d’en comprendre la justification. La santé est un bien qui est la condition de possibilité d’autres biens comme l’éducation. Si vous êtes malade (au point de ne pas pouvoir suivre des cours) ou mort, vous ne pouvez plus accéder à l’éducation. Là en l’occurrence, il s’agissait de protéger non seulement les élèves et/ou les enseignants, mais aussi leurs proches. Donc on peut admettre qu’il s’agit d’un principe prioritaire.

 

Il est conforme au principe d’égal dignité. En effet, il y a un principe des droits humains qui proclame que toute personne doit avoir un droit égal d’accès au soin. On peut envisager que toute personne doit se voir garanti par les pouvoirs publics une protection égale de sa santé. Ce qui est déjà une question qui a suscité débat durant le confinement : certains ont télétravaillé, tandis que d’autres étaient exposés sans nécessairement les protections médicales suffisantes.

 

Doit-on rouvrir les écoles au vu de la priorité du principe de sécurité sanitaire ? On voit que tous les pays ne sont pas d’accord là-dessus. Certains pays ne vont rouvrir qu’en Septembre. Il y a dans la constitution française, dans la Charte de l’environnement, un principe de précaution qui s’applique à l’environnement et à la santé. On pourrait dès lors se demander si ce principe ne devrait pas s’appliquer. Dès lors qu’il y a incertitude pour la santé des personnes, il faudrait maintenir les écoles fermées.

 

Cela pose d’autant plus de difficulté que l’on sait que les écoles françaises présentaient déjà des déficits en matière sanitaire, par exemple le manque de papier dans les toilettes, un nombre trop faible de lavabos, manque de savon… Reculer la rentrée pouvait permettre d’effectuer un travail plus approfondis de remédiation des problèmes sanitaires récurrents à l’école.

 

En outre, se pose la question de savoir si la continuité du service public de l’éducation ne peut s’assurer que par la réouverture de l’école. « La continuité pédagogique » était justement la prétention à mettre en œuvre cette continuité même avec la fermeture des écoles.

 

D : Néanmoins, « la continuité pédagogique » ne semble pas très bien fonctionner et contribuer à creuser les inégalités sociales. Ne doit-on pas justement rouvrir les écoles pour limiter le creusement des inégalités socio-scolaires ?

 

R : Les syndicats opposés à la réouverture mettent en avant les risques sanitaires de l’ouverture pour les enseignants et leur entourage.

 

Mais, il ne faut pas oublier que les élèves, y compris ceux de milieux défavorisés, sont également susceptibles d’être contaminés. On sait que dans les zones plus pauvres, il y a une plus grande promiscuité dans les habitats exiguës qui favorise la contamination au sein des familles.

Donc, il faut avoir une approche intersectionnelle. Les élèves en difficulté scolaire ne forment pas un sous-ensemble qui ne risque pas d’être atteint pas le virus. Leur seul problème n’est pas les inégalités socio-scolaires. Ce sont des personnes humaines qui comme les autres personnes humaines ont un droit à la santé.

 

En outre, concernant les inégalités socio-scolaires, elles étaient déjà présentes auparavant dans les écoles. Remettre les élèves à l’école n’empêche pas les inégalités de se creuser. En effet une partie des causes des inégalités socio-scolaire consiste dans des inégalités extérieures à l’école. Il aurait pu dès lors être possible de s’interroger sur les causes des inégalités scolaires durant le confinement pour essayer de les réduire.

 

D : Peut-on considérer que la solution à ces difficultés durant la continuité pédagogique aurait été dans la mise à disposition pour tous les élèves d’outils numériques, par exemple de tablettes numériques ?

 

R : La question du médium pédagogique est un problème. Mais, il n’est pas le seul problème qui est posé par une telle situation. La question est alors de savoir si on peut continuer à enseigner durant le confinement de la même manière qu’en présentiel si seulement on a des outils pour cela et que tout le monde y à accès. De fait, on remarque que même des adultes ont du mal à supporter plus de trois heures de visio-conférences.

Ce qui se pose c’est la capacité de l’enseignement à s’adapter à ce contexte exceptionnel. Le contexte actuel, c’est un contexte de pandémie. On ne peut pas être dans le déni et faire comme si les questions relatives à l’angoisse, à la maladie et à la mort n’avaient pas de place. Il s’agit dès lors de savoir comment ce contexte peut avoir une place dans la situation d’enseignement. 

Cela renvoie dès lors au fait que l’acte d’enseigner n’est pas avant tout un acte technique, mais une relation humaine.