Pédagogie critique, exercices philosophiques et activisme social

 

 

 

1) Activisme spirituel et militantisme existentiel

 

La féministe chicana Gloria Anzaldua a théorisé ce qu’elle appelle « l’activisme spirituel » : cette approche est sensée articulée pratique spirituel de transformation de soi et engagement social.

 

C’est une idée semblable que l’on retrouve chez bell hooks qui se situant dans la continuité du bouddhisme engagé, considère que la transformation de soi doit avoir pour objectif non pas un retrait sur soi, mais un engagement dans le monde pour la justice social.

 

De son côté, Christian Arnsperger préfère parler de « militantisme existentiel » pour désigner une approche qui articule transformation de soi individuelle et engagement social. Il évite le terme spirituel qui a une connotation trop religieuse, alors que le terme peut renvoyer à la philosophie existentialiste.

 

Bibliographie :

 

bell hooks, « La pédagogie engagée » - http://lagalerie-cac-noisylesec.fr/wp-content/uploads/2017/01/traces_5852_bell_hooks_pedagogie_engagee.pdf

 

Arnsperger, Christian. Éthique de l'existence post-capitaliste: Pour un militantisme existentiel. 2009.

 

Emeline De Bouver, L’existentiel est politique, Thèse en sociologie, 2015 - https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A165589/datastream/PDF_01/view

 

Keating, AnaLouise. “‘I'm a Citizen of the Universe’: Gloria Anzaldúa's Spiritual Activism as Catalyst for Social Change.” Feminist Studies, vol. 34, no. 1/2, 2008

 

 

2) La philosophie comme éducation des adultes et les exercices spirituels

 

Sandra Laugier rappelle que Stanley Cawell considérait la philosophie comme l’éducation des adultes. Or il est possible de se demander dans quelle mesure la philosophie peut participer d’une « sagesse pratique » (hooks).

 

Le philosophe Pierre Hadot, et à sa suite Michel Foucault, ont mis en avant que la philosophie antique n’était pas qu’une activité théorique, mais qu’elle relevait d’une « manière de vivre ». Les exercices spirituels pratiqués par les philosophes antiques ont pour objectif la transformation de soi.

 

En particulier dans Les pensées pour soi-même de Marc Aurèle, elle visent entre autres à le soutenir dans l’accomplissement de sa charge publique.

 

Xavier Pavie distingue dans son ouvrage sur Exercices spirituels – leçons de philosophie antique -, plusieurs types d’exercices tels que la lecture, l’écriture, le dialogue, la méditation, le doute…

 

Bibliographie:

 

Hadot, Pierre. Exercices spirituels et philosophie antique. Albin Michel, 2002.

 

Pavie, Xavier. Exercices spirituels: leçons de philosophie antique. Les Belles Lettres, 2012.

 

Laugier, Sandra. "L’éducation des adultes comme philosophie morale." Éducation et didactique 5.5.3 (2011): 135-144.

 

Hadot, Pierre. "La Philosophie comme éducation des adultes." La voix et la vertu: Variétés du perfectionnisme moral. Paris: Presses Universitaires de France (2010).

 

 

3) Exercices spirituels et action collective :

 

On peut distinguer une contradiction. D’un côté, le développement personnel met l’accent sur l’individu. De ce fait, il s’agit de changer les individus. C’est lorsque tous ces individus seront transformés que la société pourra être transformée.

 

A l’inverse, le militantisme considère que c’est lorsque les structures sociales et la société sera changée dans son ensemble que l’individu pourra changer.

 

Par ailleurs, les pratiques spirituelles sont contemplatives, alors que le militantisme implique un engagement actif dans le monde.

 

On perçoit deux conceptions de cette articulation. Soit comme Anzaldua ou hooks, les pratiques spirituelles n’ont pas pour objectif le retrait sur soi, mais de soutenir l’engagement dans le monde.

 

Soit l’engagement social est une pratique de transformation de soi par soi. Ce qui est la conception que soutient Danièle Kergoat au sujet des coordinations d’infirmières.

  

Si on reprend la notion de praxis chez Freire (action-reflexion-action), alors il s’agit plutôt d’une dialectique entre les exercices spirituels et l’engagement social comme processus de transformation de soi par soi.  

 

A l'inverse ceux qu'Emiline de Bouver dans sa thèse appelle les militants civiques existentialistes par opposition aux spirituels reste en deça du militantisme d'action collective. En effet, ces deux types se caractérisent par un refus du conflit au profit de la coopération non-violente. Or l'engagement dans les mouvements sociaux suppose d'assumer la conflictualité sociale.

 

Le cas de Gandhi est d'ailleurs paradigmatique. Ceux qu'elle appelle les militants spirituels reprennent l'affirmation de Gandhi: "Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde". Cette affirmation semble accordé le primat à la transformation intérieure au détriment de la transformation extérieure. Or l'action de Gandhi se caractérise par le fait qu'il a assumé de manière non-violente la conflictualité sociale dans des actions collectives.