Lutte contre les discriminations ou marketing inclusif ?

 

Ce dialogue s’intéresse à la différence entre la pédagogie critique et les pratiques pédagogiques inclusives.

 

Demande : La thématique de la lutte contre les discriminations est une injonction qui est imposée aux entreprises mais qu’elles ne respectent pas forcement...

 

Réponse : Il faut effectivement souligner que de nombreuses études sociologiques mettent en lumière l’existence de discriminations au sein de l’entreprise : discriminations à l’embauche, inégalités salariales, discriminations dans les déroulements de carrière… Ces discriminations et inégalités touchent différents groupes sociaux : les femmes, les personnes en situation de handicap, les personnes racisées (victimes de racisme), les personnes avec une apparence de genre jugée non-conforme…

Certains discours économiques justifient la lutte contre les discriminations par les pertes financières qu’elles engendrent. Les préjugés des recruteurs et une culture d’entreprise peu inclusive priverait les entreprises de talents qui seraient susceptibles de leur rapporter beaucoup économiquement.

 

Il faut néanmoins souligner que ce n’est pas au nom de l’efficacité économique que doit être menée la lutte contre les discriminations. Car si les discriminations devenaient sources d’inefficacité économique, on pourrait légitimement discriminer les personnes alors. Inclure les personnes en situation de handicap dans le monde du travail n’est pas nécessairement source d’efficacité économique, pour autant il peut y avoir d’autres raisons qui expliquent la nécessité d’inclure les personnes en situation de handicap.

 

D: Est-ce que la place de la lutte contre les discriminations au sein du monde économique n’est pas ambivalente, voire ambiguë ?

 

R : On peut effectivement distinguer deux tendances. D’une part, il y a des luttes portées par la société civile pour lutter contre les discriminations dans le monde économique. C’est le cas de luttes contre les discriminations à l’embauche, contre les représentations discriminatoires dans la publicité …

Mais il y a également une tendance qui existe dans le monde économique à analyser les convictions et les valeurs des citoyens, comme des arguments de vente pour attirer les consommateurs, des arguments marketing. On peut voir très bien cette tendance à l’œuvre dans le livre Le choc Z (Dunod, 2020). Dans cet ouvrage, l’une des tendances présente au sein de la « génération Z » serait l’intérêt pour la justice sociale et environnementale, l’engagement militant… De ce fait, ces dimensions deviennent alors des arguments marketing pour attirer des consommateurs/trices jeunes et sensibles aux questions d’inclusivité dans les médias.

 

D : Quel rôle peut jouer la pédagogie dans la prise de conscience des discriminations dans le monde du travail ?

 

R : ll faut distinguer deux approches. Il y a une approche qui consiste à pratiquer une pédagogie inclusive qui relève du management de la diversité. Cette pédagogie n’est pas critique en soi. Elle vise simplement à faire prendre conscience des stéréotypes, de ce qu’ils peuvent induire en terme de préjugés et de discriminations.

Dans ce cadre, la pédagogie de la conscientisation risque de se réduire à une série d’activités pédagogiques expérientielles  ou de techniques et d’outils : simulations expérientielles où l’on expérimente ce qu’est de subir une discrimination, jeux de rôle, mises en situation et autres techniques…

 

Mais en réalité, la pédagogie critique va plus loin que cela. Elle ne vise pas seulement à prendre conscience des stéréotypes ou même des discriminations systémiques (oppressions/privilèges). Mais elle met en lumière également les rapports sociaux de travail comme l’exploitation. Car par exemple, le fait que certains travailleurs et travailleuses sont astreint-e-s à être sous-payé et d’une certaine manière travaillent  gratuitement par rapport à d’autres catégories : femmes, personnes racisé-e-s ou en situation de handicap…

 

D : En quoi la pédagogie critique se distingue d’une pédagogie inclusive ?

 

R : La notion d’inclusion est ambiguë. Sous une forme positive, elle laisse entendre l’idée de ne rejeter personne, de ne pas exclure. Mais, ce qui n’est pas interroger, c’est inclure dans quoi… ? En réalité, il y a aussi l’idée d’inclure dans le système capitaliste, dans le système tel qu’il est.

Les pratiques de management de la diversité consistent à faire en sorte que les personnes socialement minorées soient incluses dans le système dominant, qu’elles s’inscrivent dans la lutte des places… Il en va ainsi de toutes les revendications autour du plafond de verre qui ne visent qu’à faire en sorte que certains dominés puissent avoir leur part du gâteau au côté des dominants.

 

La pédagogie critique et plus encore la pédagogie radicale ne cherchent pas à inclure les personnes dans le système capitaliste, elle cherche à remettre en question radicalement les rapports sociaux de pouvoir qui structurent la société.