A propos de la pseudo expression « postures victimaires ».

 

 

Outre l’invention de l’« islamo-gauchisme » à l’université, il serait intéressant de se pencher sur la dénonciation des « postures victimaires ». L’objet de ce texte est de revenir sur l’usage de la notion de « victimaire » et d’en faire la critique.

 

On assiste actuellement à un discours qui vise à dénoncer les « postures victimaires » : «  « Nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle » (Macron).

 

Mais que veut dire cette notion de « victimaire » (1) ? Est-il légitime de dénoncer les positions « victimaires » (2)

 

1. Que veut dire « victimaire » et que recouperait cette notion ?

 

Cette notion de victimaire est bien étrange. Car elle semble induire une critique de la position de victime. Qu’est-ce que pourrait désigner la « posture victimaire » ?

 

Essayons de voir les différents sens que cette notion semble pouvoir désigner :

 

1.1. La critique des « postures victimaires » semble signifier une critique de la place accordée au statut de victime. Une société victimaire se serait une société dans laquelle les individus mettent en avant leur statut de victime.

 

1.2. Cela semble également indiquer une société qui prend en compte les revendications des personnes qui sont victimes comme un axe central de sa politique.

 

1.3. Dans un sens qu’on pourrait qualifier de « nietzschéen », la critique de la « posture victimaire »  s’opposerait à la valorisation d’une autre posture, celle des forts contre les faibles, de la morale des forts contre la morale des victimes.

 

1.4. On trouve également une critique du victimaire qui renverrait la posture victimaire à une fragilité propre aux victimes. Ce n’est pas tant que les victimes soient victimes de la société, c’est que celles-ci – les « soit-disant « victimes » - seraient en réalité des personnes particulièrement fragiles, de « snowflakes » (flocons de neige)

 

1.5. La critique de la position victimaire renvoie également à une critique de la concurrence entre victimes, de la multiplication des victimes. Chacun chercherait dans la société à exister en tant que victimes et les victimes rentreraient en concurrence les unes avec les autres pour se faire reconnaître comme victimes.

 

1.6. On peut trouver sur internet cette définition du victimaire : « Se dit d'une personne qui se croit victime de la société et qui réclame des réparations. » (L’internaute). Cette définition est intéressante, car elle va plus loin encore dans la critique du victimaire. Le victimaire non seulement met en avant son statut de victime, mais en plus celui-ci serait imaginaire.

 

2. La critique des « postures victimaires » est-elle légitime ?

 

Il nous semble en réalité que cette critique du victimaire confond deux dimensions pour en réalité promouvoir la légitimité des « forts » à écraser les « faibles » et maintenir l’ordre social tel qu’il est.

 

2.1. La réalité des victimes.

 

2.1.1. En premier lieu, en réalité, ce que critiquent les personnes qui récusent les « postures victimaires », c’est une lecture de la société qui affirme que certains groupes de personnes ont été victimes de l’oppression d’autres groupes de personnes.

 

Sans doute que les premiers, qui ont dû subir une critique de leur posture victimaire, ce sont les juifs lorsqu’ils ont demandé la reconnaissance de leur statut de victime d’un génocide par les nazis. On peut sans doute voir à l’origine dans la notion de critique des « postures victimaires » une critique antisémite des associations juives.

 

Visiblement, ceux et celles qui utilisent la critique des « postures victimaires » semblent aujourd’hui l’oublier.

 

2.1.2. La revendication du statut de victime, qui est contesté à l’heure actuelle, c’est celle de victimes mettant en avant leur statut de groupe socialement opprimé, victimes de violences et de discriminations systémiques.

 

Ce que ces victimes mettent en avant, c’est souvent le fait qu’on ait atténué ou invisibilisé, voir nié, la souffrance que ces personnes ont subi de la part d’un groupe déterminé.

 

Par exemple, les mouvements féministes mettent en avant le cas des violences faîtes aux femmes. Celles-ci ont pu être présentées comme n’étant pas victimes de violences (comme dans le cas du « viol conjugal » aujourd’hui interdit par la loi), leurs ampleurs et leurs impacts ont pu être niés.

 

Au contraire, c’est la victime qui se trouvait culpabilisée, rendue responsable de sa situation (« elle l’a bien cherché »).

 

2.1.3. La critique du victimaire est en réalité la valorisation implicite d’une autre position. Celle d’une personne qui affirme son désir et son plaisir sans remords et culpabilité relativement à la souffrance qu’elle inflige à l’autre.

 

C’est une vision qui valorise le chef militaire, le chef d’entreprise, le Dom Juan… toute personne qui est capable d’imposer son désir et son plaisir aux autres sans en ressentir ensuite des affects négatifs.

 

Ce genre de personnes, souvent des hommes blancs cisgenre et hétérosexuel de classe supérieure, est dans la positionnalité sociale qui lui permet d’imposer son désir, parfois même en transgressant la loi.

 

En réalité, la critique des « postures victimaires », c’est la morale de ceux qui détiennent le pouvoir et qui désirent justifier leur subjectivité, celle des puissants, celles de ceux qui imposent leur désir sans culpabilité y compris face à la souffrance qu’ils infligent.

 

D’une certaine manière, c’est ce qu’a pu valoriser une certaine pensée pseudo-libertaire masculine qui en cela rejoignait d’une certaine manière une pensée conservatrice qui, elle aussi, valorisait le triomphe du chef militaire.

 

2.1.4. Au-delà, ce qui est problématique dans la critique du "victimaire", c'est qu'il est le plus souvent tenu par des personnes qui ont bénéficiées de tous les privilèges sociaux pour reprocher aux autres de se comporter comme des victimes pour justifier leur échec social.

 

Mais, il faudrait encore que le jeu social soit réellement méritocratique, ce qu'il n'est pas. De ce fait, effectivement, à l'inverse, du fait des inégalités sociales de départ dans l'existence, des possibles violences ou discriminations subies, le rôle de la société devrait être non seulement de les compenser, mais également de lutter contre.

 

Officiellement, c'est ce que prétendent faire les gouvernements, en se référant au droit, mais officieusement, en réalité, leur activité semble bien souvent avoir pour fonction de justifier l'ordre social inégalitaire, discriminatoire et violent, et de rejeter la responsabilité des difficultés sociales des victimes sur elles-mêmes. 

 

2.2. Cohérence élargie : victimes et philosophie sociale

 

2.2.1. Le ressenti subjectif d’une personne ne peut être nié. Nul ne sait mieux qu’une personne si elle souffre ou pas.

 

Nier l’importance de prendre en compte la souffrance subjective, c’est en réalité considérer que la société peut accepter la souffrance comme normale : « tu enfanteras dans la douleur », « il faut souffrir pour être belle »… Autant d’affirmations d’ailleurs qui s’appliquent aux femmes.

 

Comme s’il était normal que les femmes souffrent, que leur douleur et leur souffrance ne soient pas prises en compte. En réalité, c’est une certaine souffrance située qui est délégitimée : celle des femmes, celle des enfants, celles des personnes socialement minorisées dans la société...

 

2.2.2. Ce qui peut être discuté en revanche, c’est l’origine sociale ou non de la souffrance ressentie et la question de l’articulation entre ces différentes souffrances sociales, de la manière dont ces souffrances peuvent être prises en charge par la société.

 

2.2.3. Cette réflexion suppose effectivement de ne pas se limiter à la subjectivité personnelle, mais suppose la production d’une théorie sociale critique.

 

Conclusion : La notion de critique des « postures victimaires » consiste à recycler le discours bien connu des hommes blancs de classe supérieure privilégiée qui veulent pouvoir tranquillement imposer leur désir et leur plaisir aux personnes qui sont socialement plus faibles qu’eux, sans en ressentir ni remord, ni culpabilité…