Nouvelle perspectives en éducation populaire - 1

 

 

1. Une éducation de défense contre les oppressions sociales.

 

D : Que désigne la notion de populaire dans éducation populaire ?

 

R : La notion de populaire est une notion relativement floue : elle peut désigner par exemple le peuple dans son ensemble (les 99 % d’Occupy Wall Street) comme elle peut désigner les classes populaires – les personnes qui sont employées non-qualifées ou ouvriers.

 

Mais, aujourd’hui, la notion de populaire dans éducation populaire doit être prise comme synonyme d’opprimé. L’éducation populaire est l’éducation de lutte contre les oppressions sociales.

 

Ces oppressions ne sont pas seulement des oppressions de classes sociales. Ce sont également des oppressions qui peuvent être liées au sexisme, au racisme, au LGBQTIphobie, au validisme ect...

 

Mais, plus largement, l’éducation populaire est tournée également vers les luttes générées par les oppressions technocapitalistes. Le techno-capitalisme est le progrès technique tel qu’il est orienté par la logique capitaliste d’accumulation du profit. Le techno-capitalisme entraîne la dégradation de l’environnement. En effet, il n’y a pas de question écologique avant l’ère thermo-industrielle ou capitalocène.

 

L’éducation populaire désigne donc un ensemble de pratiques individuelles et collectives qui nous permettent de repérer et de comprendre le fonctionnement des oppressions sociales, mais également de lutter contre.

 

2. Une critique de la vie quotidienne.

 

D : Quelle place tient l’expérience sociale quotidienne dans l’éducation populaire ?

 

R : L’éducation populaire peut s’appuyer tout d’abord sur l’expérience sociale vécue d’oppression. C’est le cas par exemple dans l’éducation à la lutte contre les discriminations.

 

Mais l’éducation populaire peut plus largement s’appuyer sur l’expérience sociale quotidienne et les problèmes de la vie quotidienne : le logement, l’alimentation, les loisirs, la santé, les transports, le travail ect…

 

L’éducateur/trice populaire a pour mission entre autres de problématiser la réalité sociale. Cela veut dire d’aider les personnes socialement opprimées à prendre conscience du caractère systémique des oppressions sociales, mais également à faire apparaître l’existence de problèmes sociaux qui n’étaient pas perçus auparavant : c’est la politisation de la réalité sociale.

 

L’éducation populaire donne aux personnes tout d’abord les instruments pour analyser de manière critique la vie quotidienne : repérer les logiques capitalistes, les rapports sociaux de pouvoir à l’oeuvre dans la vie quotidienne.

 

On peut dire que l’éducation populaire propose des ateliers d’auto-défense en lien avec la vie quotidienne : éducation critique aux médias, éducation critique à la consommation, éducation critique à l’industrie de loisir….

 

La critique de la vie quotidienne est néanmoins une réalité complexe. Il ne peut pas être possible de considérer que les productions techno-capitalistes imposent de manière univoque une domination sur les consomateurs/trices. Il existe également une capacité des usagers à en subvertir en partie les usages.

 

C’est pourquoi la critique de la vie quotidienne doit prendre en compte à la fois les rapports sociaux de pouvoir et les pratiques de résistance.

 

3. Une éducation aux luttes sociales

 

D : L’éducation populaire n’est-elle qu’une analyse intellectuelle des rapports sociaux de pouvoir ? Ne vise-t-elle qu’un processus de conscientisation intellectuelle ou également un processus de transformation sociale ?

 

R : L’éducation populaire ne vise pas qu’à fournir une formation en sociologie critique. Elle inclut aussi une formation aux pratiques d’action des mouvements sociaux.

 

Son rôle est de développer la connaissance de l’histoire des mouvements sociaux : de leurs idées et de leurs pratiques d’action. Il existe une grande variété de mouvements sociaux : mouvement ouvrier et syndical, mouvement féministe, mouvements anti-racistes, mouvements de malades ou anti-valdistes, mouvements écologistes, mouvements anti-consuméristes ect…

 

L’une des orientations de l’éducation populaire est de fournir une formation aux pratiques des mouvements sociaux comme l’action directe – qui peut être violente ou non-violente – qui peut être légale ou illégale. En tant qu’éducation démocratique de masse, l’éducation populaire peut se concentrer sur l’éducation à l’action directe non-violente comme celle utilisée par le syndicalisme ou encore le community organising par exemple.

 

Un des axes de l’éducation populaire est de développer une action directe culturelle qui peut s’appuyer entre autres sur des pratiques artistiques à l’instar de ce qu’à mis en œuvre par exemple le situationnisme. On peut appeler cet axe de l’éducation populaire, les pratiques de créa’action.

 

4. Une éducation aux sciences sociales critiques

 

D : Pourquoi l’étude des sciences sociales critiques constitue une dimension importante de l’éducation populaire ?

 

R : Un discours critique qui ne s’appuie pas sur les sciences sociales critique peut prendre le risque de virer au populisme et/ou au complotisme. Le rôle de l’éducation populaire est de constituer une alternative aux discours complotistes et confusionnistes qui se répandent dans les réseaux sociaux, mais également un contre-pouvoir par rapport aux discours dominants produits par les gouvernements, les entreprises capitalistes et les médias au service des industries capitalistes.

 

Les sciences sociales critiques permettent d’objectiver la réalité sociale en s’appuyant sur des travaux d’enquête empirique qui permettent de dépasser la simple opinion contradictoire. Par exemple, les luttes contre les discriminations ne s’appuient pas seulement sur des ressentis subjectifs, mais sur des enquêtes qui objectivent l’existence de discriminations.

 

5. Une éducation à une citoyenneté radicale

 

D : Quelle place tient la notion de citoyenneté dans l’éducation populaire ?

 

R : L’éducation populaire est une éducation à une citoyenneté radicale. La citoyenneté radicale se distingue de la citoyenneté libérale qui est orientée uniquement vers la participation politique conventionnelle (les élections).

 

La citoyenneté radicale considère que les démocraties libérales depuis ces deux derniers siècles ont développé des droits civils, politiques et sociaux sous la pression de mouvements sociaux qui se sont appuyés historiquement sur l’action directe – légale ou illégale/violente ou non-violente – comme par exemple avec les suffragettes.

 

L’éducation à la citoyenneté telle que la conçoit l’éducation populaire comprend des dimensions telles que : l’éducation aux droits humains et aux droits en générale, l’éducation à la lutte contre les discrimination, l’éducation à la non-violence (i.e l’action directe non-violente), l’éducation critique aux médias, l’éducation critique à la consommation, l’éducation à l’écologie ect…

 

Bibliographie :

 

Pratiques  et philosophies de la praxis : éducation à la non-violence.

A. Boyd et D.O. Mitchell, Joyeux Bordel: tactiques, principes et théories pour faire la révolution, Ed. Les liens qui libèrent, 2015.

Baba Morjane, Guerilla Kit, Nouveau guide militant, La découverte, 2008.

Cervera-Marzal, Manuel, Désobéir en démocratie, Forges du vulcain, 2013.

Chenoweth Erica et Stephan Maria J., Pouvoir de la non-violence, Calman-Levy, 2021.

Collection « Contester », Presses de ScPo.

Collection « Désobéir » des éditions du passager clandestin.

D’Arcy Stephen, Le langage des sans-voix, Editions Ecosociété, 2016.

De Lagasnerie Geoffroy, L’art de la révolte, Fayard, 2015.

Gelderloos, Comment la non-violence protège l’État, Editions libre, 2018.

Gros Frédéric, Désobéir, Albin Michel, 2017.

Guillet Jérôme, Petit manuel de travail dans l’espace public, Editions du commun, 2019.

Pouget Emile, L’action directe, 1910 [En ligne]

Rousseau Juliette, Lutter ensemble, Cambourakis, 2018.

Singer Peter, La théorie du tube dentifrice, Goutte d’or, 2018.

Walzer Michael, Manuel d’action politique, Premier parallèle, 2019.

Site internet :

Centre de ressources sur la non-violence - http://nonviolence.ca/index.php/boite-a-outils/

Mouvement pour une alternative non-violente - https://nonviolence.fr/

Désobéir - http://www.desobeir.net/

Typologie des formes d’action non-violente - https://www.nonviolence.ant.ulaval.ca/annexe-2-typologie-des-moyens-d-actions-non-violentes