Arts martiaux vs. Self-défense  : le point de vue d’une femme.

 

 

On assiste depuis quelques années à une polémique qui oppose des tenants des arts martiaux (en réalité plutôt des sports de combat) et des tenant de la self-défense au sujet de l’efficacité respective de ces deux approches concernant les situations d’agression de rue. Néanmoins, en dépit d’arguments intéressants des deux côtés, les deux points de vue ont leurs limites, en particulier parce qu’ils partent d’une conception irréaliste des agressions vécues par les femmes.

 

Les arguments traditionnels de la self-défense.

 

Les tenants des différents systèmes de self-défense (Krav-maga, Penchat-Silat orienté self-défense…) mettent en avant plusieurs arguments concernant l’approche des sports de combat (type Martial Mixed Art) relativement aux situations d’agression de rue :

 

- Les sports de combat ne travaillent pas, avec les pratiquants, l’amont de l’agression, la gestion de conflit, la prise en compte de l’environnement , l’aide à tierce-personne, l’après-agression avec les premiers secours...

- Dans la rue, il n’y a pas de règles : les agressions ont lieu par surprise, il peut y avoir plusieurs agresseurs, ils peuvent être armés, ils peuvent attaquer par derrière… Les sports de combat ne travaillent pas les armes et les attaques à plusieurs agresseurs. Ils peuvent donner un excès de confiance aux pratiquants qui peuvent de se fait commettre des imprudences.

- En sport, il existe des zones de frappes interdites et c’est celles-ci qu’utilisent en priorité de la self-défense : yeux, gorge, parties génitales, nuque, colonne vertébrale…

- Dans la rue, les mains ne sont pas protégés par des gants, il vaut mieux éviter les coups de poing façon boxeur, si l’on n’est pas aguerri, et préférer les frappes mains ouvertes, les coups de poing marteau (sur le nez ou la tempe) ou les frappes avec l’avant-bras (gorge ou nuque), le coups de coude...

- En self-défense, il faut éviter d’aller au sol. Si on tombe, il faut essayer de se relever le plus rapidement possible.

- La self-défense a pour but de s’adresser à des personnes qui n’ont pas nécessairement un profil de sportif : femmes non sportives, seniors, enfants…

- La self-défense travaille le stress de l’agression à partir de mises en situation qui se veulent pochent de la réalité  avec des mises sous-stress : endroits confinés, en extérieur, plusieurs agresseurs, attaques par surprise provenant de l’arrière...

- La self-défense repose sur le respect de la législation en matière de légitime-défense, en particulier concernant la proportionnalité de la réponse.

 

Les zététiciens des arts martiaux :

 

Certains tenant du MMA, en particulier aux USA, se sont donnés le rôle d’être des zététiciens (art du doute) de la self-défense et des arts martiaux en général. Ils dénoncent le bullshido (ou en France : le mytho-jitsu). Ils ont mis en avant plusieurs arguments contre la self-défense :

 

- La self-défense contrairement aux techniques utilisées en MMA ne s’appuient pas sur des preuves. Les techniques de MMA ont été testées dans des combats sportifs. Les videos d’agression réelles ne montrent pas des personnes utilisant des techniques spécifiques à la self-défense pour se défendre.

- Dans la plupart des agressions de rue ou bagarre de rue, ce sont des coups de poing qui partent en premier. De nombreuses videos montrent la supériorité en combat de rue des personnes pratiquant la boxe anglaise.

- Les défenses, lors de videos avec des véritables agressions de rue, montrent rarement, contrairement à ce que préconise la self-défense, des coups de pieds génitaux. Lorsqu’on voit de tels coups de pieds, ils ne sont pas nécessairement efficaces.

- Les personnes, dans des agressions de rue, sont souvent traînées au sol. Contrairement au MMA, les méthodes de self-défense ne travailleraient pas assez le sol.

- Les techniques de self-défense sont montrées en statique. Or dans une agression, les personnes bougent et enchaînent plusieurs attaques. Les techniques de self-défense en mouvement ne sont pas utilisables. Une des preuves, c’est que lorsque des pratiquant de self-défense font du sparring, ils utiliseraient des techniques de boxe pied-poing ou des techniques type MMA, mais pas des techniques spécifiques self-défense.

- Les méthodes de self-défense vantent la simplicité. Mais, il arrive assez souvent qu’elles reposent sur des enchaînements complexes qui nécessitent l’apprentissage de très nombreuses techniques. Au contraire, la boxe anglaise repose sur simplement trois coup de poings différents (combinés à des esquives et des déplacements).

- Certaines méthodes de self-défense privilégient des clefs articulaires provenant du aikido. Or le aikido serait une approche inefficace en combat. Les clefs articulaires d’aikido ne fonctionneraient correctement que sur des partenaires n"opposant pas de résistance.

- Les techniques de défense montrées au couteau (et même au bâton) sont irréalistes. Sur une menace statique, il vaut mieux donner son portefeuille à l’agresseur. Si celui-ci a décidé de vous tuer, il utilisera des attaques répétées qui sont très difficiles à parer.

- De nombreuses techniques de self-défense montrées aux femmes ne sont pas efficaces. Elles leurs apprennent en réalité de mauvais gestes. Ou alors, les saisies sont irréalistes, dans la mesure, où en général, en cas d’agression, la saisie a pour objectif d’amener la personne au sol.

- Les tenants de la self-défense seraient en réalité simplement animés par des mobiles pécuniaires (ex : vendre des livres, des stages et des cours). Ils promettraient à des personnes qui n’ont pas de condition physique et d’entraînement régulier soutenu de se défendre. Ils leurs vendraient en réalité du rêve.

 

Les tenants des sports de combats, dans ce débat, considèrent qu’il faut travailler en priorité quatre axes :

- la condition physique des personnes

- les percussions (coup de poing boxe anglaise, low kick)

- les projections et la lutte au sol

- le sparring lourd avec des partenaires divers pour gérer le stress d’une bagarre de rue.

 

Les tenants des méthodes de self-défense répondent qu’ils font cela également dans leurs cours, en plus de l’approche spécifiquement self-défense.

 

Les limites de ces deux approches :

 

Lorsqu’on regarde des articles de journaux, on trouve des situations de femmes ou des personnes âgées qui se sont défendues lors d’agression. On peut remarquer plusieurs profils :

 

- des personnes, dont il n’est pas fait mention qu’elles ont pratiquées des sports de combats ou de la self-défense, mais qui ont fait preuve de détermination face à l’agresseur.

- des personnes qui pratiquent ou ont pratiquées des sports de combat. On trouve également le cas de femmes qui ont suivi des cours de self-défense et ont utilisé une arme par destination (ex : clefs de voiture).

 

Les articles semblent laisser penser qu’il arrive que des personnes hors conditions physiques (personnes âgées) aient réussi à se défendre face à une agression. Il est donc excessif de considérer que la condition physique sportive est une condition siné qua non. Elle donne un avantage, mais il existe des cas qui montrent que la détermination à se défendre joue un rôle également. C’est la question de la confiance en soi que peut développer, sans doutes, aussi bien la pratique des sports de combat que la self-défense.

 

La limite de ces deux approches, que ce soit les sports de combat et la self défense, tiennent entre autres aux biais de genre qu’elles comportent. Chez les hommes tenants des sports de combat, on sent qu’en dehors de la démarche « zététicienne », il existe sans doutes des biais de genre. En effet, l’idée que des techniques de self-défense permettraient à une femme ou à une personne âgée de battre un pratiquant aguerri et régulièrement entraîné aux sports de combat dans une situation de rue, leur ait difficilement supportable. Or c’est là, où l’on est dans le fantasme, les femmes ou les personnes âgées qui pourraient avoir besoin de se défendre (car perçues comme plus faibles par un potentiel agresseur) ne sont pas dans une situation de bagarre de rue face à un pratiquant d’arts martiaux.

 

Dans un entretien de 2015, Cyril Diabaté part de son expérience de combattant de MMA et de videur en boite de nuit pour affirmer qu’une femme relativement âgée et hors condition physique ne pourrait pas se défendre. Mais les situations n’ont rien à voir. Une femme avec ce profil n’est va pas combattre dans une cage de MMA ou faire videur en boite de nuit. Un homme qui agresse une femme ou une personne âgée dans la plupart des cas n’agresserait pas une personne comme Cyril Diabaté qui fait 1m97 tout en muscles. Le problème, c’est qu’il s’agit d’apprendre à se défendre à une personne qui n’est pas une sportive de haut niveau face à un homme ou deux qui eux également ne sont pas nécessairement des sportifs et n’ont pas forcement une pratique des sports de combats.

 

De leur côté, les tenants des méthodes de self-défense se vantent de vendre des méthodes de défense réalistes en particulier pour des femmes. Ils mettent en avant que statistiquement les femmes sont plus victimes d’agressions (et le chiffre ne cesse d’augmenter depuis 2019, peut-être parce que les femmes portent davantage plainte). Le problème, c’est que les situations d’agression dont parlent à la fois les tenants des méthodes de self-défense (ex : le violeur dans un parking sombre) et les tenants des sports de combat - les bagarres de rue - ne correspondent pas du tout à la réalité de ces statistiques.

 

Les femmes sont le plus souvent victimes d’agression, non pas, de la part d’un inconnu, mais d’une personne qu’elles connaissent, et non pas dans la rue, mais dans l’espace domestique. Les situations d’agression correspondent peu statistiquement aux bagarres de rue.

 

Dans la plupart de ces situations d’agression, la femme n’est pas confrontée en premier lieu à l’exercice d’une violence physique extrême par un pratiquant d’arts martiaux. Elle est confrontée déjà à sa croyance qu’elle n’est pas capable de se défendre. En cela, les critiques des pratiquant du MMA contre la self-défense n’aident pas les femmes sur ce plan. Elles sont confrontées aussi à la difficulté de réagir, à la sidération. En revanche, dans la plupart des cas, lorsque les femmes réagissent, elles peuvent faire cesser l’agression car la plupart des agresseurs ont tout simplement choisi leurs victimes parce qu’ils pensent qu’elle ne réagira pas et ne se défendra pas. La difficulté provient d’avoir la bonne réaction qui dissuade la personne en face, et ne provoque pas de sa part une montée en pression.

 

En outre, l’intensité de l’agression subie est très variable. Les tenants des sports de combat basent leur réflexion sur des agressions de rue d’intensité extrême : coup de poing pour assommer, saisie pour projeter au sol violemment… Mais la réalité de nombreuses agressions dont sont victimes les femmes peuvent être d’une intensité bien moindre, mais pour autant la jeune fille ou la femme ne saura pas comment réagir, restera sidérée, incapable de stopper l’agresseur, qui se croit alors encouragé à aller plus loin. Ensuite, il mettra en avant que la femme était consentante, et que la preuve tient au fait qu’elle ne s’est pas défendue. La plupart des agressions vécues par les femmes ne correspondent pas du tout en intensité et par leur nature, par exemple sexuelles, aux agressions vécues par les hommes : mains aux fesses ou sur les seins ou les cuisses ou l’entre-jambe, tentatives de baisés forcés, frotteurs…

 

La condition physique est indispensable pour effectuer plusieurs rounds dans un sport de combat. La riposte à une agression peut-être courte, mais intense. En outre, la condition physique d’un combat sportif et le stress d’une agression sont des réalités différentes. On ne peut donc pas vraiment comparer les qualités physiques nécessaires dans les deux cas.

 

Un autre problème provient du respect de la législation en matière de légitime défense. Certains tenants des sports de combat sur le modèle de la bagarre de rue préconisent de frapper en premier pour bénéficier de l’effet de surprise. Mais ce n’est pas conforme au cadre juridique de la légitime défense. Du côté de la self-défense, de nombreuses techniques montrées peuvent être létales (coups à la gorge, à la nuque…) et peuvent paraître disproportionnés dans la plupart des cas.

 

Contrairement à ce qu’affirment les tenants des sports de combat qui prennent leur modèle sur les bagarres de rue, en outre, l’usage de la percussion n’est pas adaptée à de nombreuses professions qui peuvent être au contact de la violence du public et n’ont pas de part leur profession une pratique de base en sport de combat (ex : personnel hospitalier, éducateurs de jeunes….). Ces personnes peuvent avoir besoin d’apprendre à se défendre face à une situation d’agression, mais elles doivent au maximum éviter les techniques de percussion, et privilégier des techniques d’immobilisation et soumission. Ces problématiques se retrouvent également dans d’autres professions (comme la police, les gardes du corps). Dans ces métiers, les percussions qui abîment physiquement les personnes les exposent aux plaintes (ex : nez ou dents cassées, membres fracturés...)

 

Conclusion :

 

Pour avancer dans ce débat, il est sans doute intéressant de partir de la réalité statistique des agressions vécues par les femmes qui ne correspondent ni à ce que présentent souvent les cours de self-defense, ni aux bagarres de rue qui semblent être le modèle de réflexion pour leurs opposants.

 

Il est sans doute aussi intéressant de donner la parole à des femmes, en particulier à des femmes qui ont réussi à prévenir ou à se défendre face à des agressions. Ce ne sont pas d’ailleurs nécessairement des femmes qui ont pratiqué des sports de combat auparavant. Il serait intéressant d’avoir la même démarche avec des personnes âgées pour comprendre les éléments déterminants.

 

Enfin, il est nécessaire de prendre en compte le cadre juridique de la légitime défense de manière à éviter le dépôt de plainte de la personne face à laquelle on s’est défendu.

 

Le principal problème de ce débat self-défense contre sport de combat, c’est qu’il s’agit d’un débat entre hommes pratiquants d’arts martiaux, dont est exclue la parole des femmes et la réalité des agressions qu’elles vivent. Il faudrait que ces messieurs commencent par écouter des femmes, et pas seulement celles qui pratiquent des sports de combats ou des sports de contact.

 

L’auto-défense féministe, pour sa part, s’appuie sur une connaissance bien plus réaliste des agressions vécues par les femmes, et non pas sur des débats entre mecs au sujet de leur expérience des bagarres de rue.

 

Références complémentaires à l'article:

Zeilinger I. "Etat des savoirs sur l'auto-défenses pour femmes" (2018) - 

http://www.garance.be/docs/18scienceautodefense.pdf 

 

Précisions sur l’autrice de l’article : J’ai pratiqué plusieurs années le judo-jujitsu, puis la boxe française. J’ai aussi un peu d'expérience en krav maga. J’ai obtenu un monitorat et un CQP de la Fédération française de Boxe française en savate défense. Il s’agit d’une méthode de self-défense qui repose sur une base de boxe française (boxe pied-poing) auquel sont ajoutés des frappes spécifiques à la self-défense et des techniques de projection et de lutte au sol.