Remarques sur le traitement médiatique du conflit autour de la grève sur la réforme des retraites

Il est possible de noter différentes phases dans le traitement médiatique du conflit social autour de la réforme des retraites. Néanmoins la détermination de celles-ci laisse également apparaître des constantes.

 

Eléments sur le traitement médiatique avant les vacances d’été 2010

 

Avant les vacances d’été 2010, le traitement médiatique de la réforme des retraites tourne pour partie autour des débats sur la légitimité de son contenu. Le gouvernement effectue dans les médias un important travail de justification de sa réforme.

Mais cette entreprise échoue sur deux points: 1) il ne parvient pas à empêcher la constitution d’un front unifié des syndicats contre cette réforme 2) il ne parvient pas à convaincre l’opinion publique: les journées de grève et de manifestation organisées avant les vacances d’été sont un succès.

 

Le traitement médiatique depuis la rentrée 2010

 

Il est possible de distinguer là aussi plusieurs phases qui semblent être commandées par les logiques suivantes.

1) Assurer l’événementialité:la logique de l’actualité a pour conséquence l’éphémérité et la recherche de l’événement. Il faut constamment que l’actualité se renouvelle, c’est-à-dire qu’il faut que de nouveaux évènements, de nouvelles questions succèdent aux précédents. Le mouvement se trouve décomposé en une successions d’évènements qui font la Une les uns après les autres et sont repris par l’ensemble des médias.

Exemple chronologique de succession d’événements ou de questions:

- Compter les manifestants: les chiffres de la police et les chiffres des organisations syndicales?

- Les mouvements de grève reconductibles vont-t-ils s’étendre ?

- Les perturbations dans les transports.

- L’arrivée de nouveaux secteurs dans la grève: le secteur pétrolier, les lycéens, les étudiants...

- L’approvisionnement des pompes à essence.

- Les affrontements avec la police lors des manifestations.

- L’évacuation des piquets de grève par les forces de l’ordre.

 

2) Utiliser la forme interrogative: afin d’assurer un aspect dynamique à l’information, les sujets sont traités sous la forme du suspense ou de débats.

 

- Le suspense: Le mouvement va-t-il aller dans tel ou tel sens ?

Exemples:

La grève reconductible va-t-elle s’étendre ?

L’intersyndicale va-t-elle se fissurer ?

Le mouvement va-t-il rester populaire ? Si les grèves durent ? S’il y a des “actes de vandalisme”?

De nouveaux secteurs vont-ils rejoindre la grève ?

Quels vont-être les nouveaux modes d’action ?

Le mouvement faiblit-il ou non ?

 

Il est possible de remarquer que certaines questions sont récurrentes (popularité, état de l’intersyndicale, affaiblissement du mouvement...), alors que d’autres sont ponctuelles ( la grève reconductible va-t-elle prendre ? les lycéens vont-ils entrer dans le mouvement ?...).

 

- Les polémiques: Une autre manière d’essayer de créer de l’actualité et d’accrocher le récepteur du message consiste dans la fabrication médiatique de polémiques.

Exemple:

La grève, en tant qu’elle gêne les usagers, est-elle légitime ?

Les systèmes de comptage des manifestants sont-ils fiables ?

Y-a-t-il un problème d’approvisionnement des pompes à essence ?

La jeunesse lycéenne doit-elle descendre dans la rue ? Pourquoi les jeunes se mobilisent-ils ?

Les blocages sont-ils légitimes ?

Quel est l’impact économique de la grève sur l’économie ?

 

Les journalistes ne cessent de rappeler les sondages sur la popularité de la grève (plus de 70% de popularité). Or le traitement médiatique du mouvement de grève par les journalistes est-il lié en partie au fait qu'en tant qu’individus ils adhèrent à ce mouvement de grève ou est-il l’effet de la nécessité de ne pas se couper des lecteurs ou des auditeurs ?

 

Pour aller plus loin sur l’analyse des logiques de traitement de l’information par les médias dominants:

 

Lemieux C., La mauvaise presse, Paris, Métailié, 2000 (perspective de sociologie de la critique- Boltanski)

Accardo Alain (dir.), Journalistes précaires, journalistes au quotidiens, Agone, 2007. (perspective de sociologie critique- Bourdieu)

 

Sur la réception du discours médiatique:

Stuart Hall, “Codage et décodage”, Réseaux, vol.12, n°68, 1994