Dépister les futurs délinquants ?

L'actualité au prisme de la philosophie

 

Dans un rapport remis le jeudi 03 novembre 2010, le secrétaire d”Etat Jean-Marie Bockel revient sur le dépistage des enfants qui présentent des troubles du comportement comme moyen de prévention de la délinquance. Nous voudrions montrer que cette idée repose à notre avis sur une erreur épistémologique de raisonnement.

 

Quelques préalables au raisonnement

 

Il semble nécessaire, pour commencer, de rappeler certains préalables concernant le droit pénal et la criminalité.

 

Tout d’abord, des études sociologiques ont mis en valeur une corrélation entre taux de chômage et délinquance. C’est-à-dire que la criminalité ne serait pas un fait individuel, mais qu’elle serait un phénomène social, que ses variations sont corrélées avec des conditions économiques et sociales. Rappelons, en outre que, pour la sociologie, le crime est défini socialement et n’existe pas en soi.

 

Il faut également souligner que les théories sur le fondement du droit de punir sont multiples. Parmi, celles-ci ont peut en rappeler deux. Les conceptions inspirées du catholicisme et du libéralisme politique insistent sur le libre arbitre des individus, leur mérite ou leur faute individuelle pour déterminer leur responsabilité. Les théories matérialistes cherchent à établir un lien de causalité matériel entre les actes de l’agent et le fait. Dans une telle conception, il est possible de considérer comme légitime de punir l’agent sans se poser la question de sa responsabilité métaphysique. Pas de questions du type: a-t-il été prédestiné par Dieu à agir comme il agit ? Est-il dépositaire d’un gène de la criminalité ? Est-il conditionné ainsi par son histoire familiale ou par des conditions socio-économiques ?

Il faut néanmoins noter un premier point, c’est que la conception libérale “pure”, qui suppose un liberté métaphysique de l’acteur, implique que, quelles que soient les conditions familiales de cet acteur, celui-ci est toujours en dernier ressort dépositaire de sa décision d’action.

 

Politiques publiques et individus

 

Chercher à dépister les futurs délinquants à partir de leur comportement en tant qu’enfants ne consiste pas, pour le secrétaire d’Etat Jean-Marie Bockel, à penser que ceux-ci sont conditionnés par un milieu socio-économique sur lequel il faudrait que les politiques agissent, mais par un milieu familial. Il s’agit d’agir sur l’enfant et le milieu familial délétère dont il serait issu et qui le prédestinerait à la criminalité.

 

Lorsqu’ un(e) sociologue met en avant le fait que les conditions socio-économiques pèsent sur les actions des individus, cela suppose-t-il que les tendances lourdes qui sont mises en évidence ou le constructivisme social(1) défendu, permettent de mettre en place des politiques publiques ciblées sur des individus ou seulement des politiques sur des catégories sociales de population ?

 

C’est là à notre avis que se situe l’erreur majeure d’une politique de dépistage précoce de la délinquance. La sociologie peut nous dire par exemple que seuls 5% des enfants d’ouvriers accèdent aux Grandes écoles. Elle peut servir de base à la mise en place des politiques publiques qui essaient d’enrayer la reproduction sociale et d’instaurer une plus grande égalité des chances entre des catégories sociologiques de population.

En revanche, elle ne permet pas de dire que tel ou tel individu en particulier ne fera pas d’études supérieures ou sera un délinquant. Il s’agit de tendances statistiques. Or une tendance statistique sociologique ne s’applique pas à des individus, mais porte sur des groupes sociaux.

 

Irène Pereira

 

(1) La notion de constructivisme social recouvre plusieurs siginifications: 1) la réalité est construite par nos catégories sociales 2) nos comportements individuels sont le produit d’une construction sociale 3) La connaissance scientifique ne consiste pas à énoncer une réalité qui lui préexiste, mais ce dont parle la science sous le nom de réalité est une construction théorique. 

 

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