L'actualité au prisme de la philosophie
Le 13 décembre 2010 s’est ouvert le procès de Thierry Devé-Oglou, accusé de la tentative de viol et du meurtre d’une jeune fille dans le RER. Ce procès était présenté comme celui de la récidive car le même homme avait déjà été condamné pour un viol dans le même RER et libéré à l’issue de sa peine en étant considéré comme peu susceptible de récidiver. Comment penser la question de la récidive, en particulier dans un contexte où elle fait régulièrement l’objet d’une surenchère répressive gouvernementale?
Toute société, même une société libertaire, édicte des règles de vie en commun et risque d’être confrontée à la transgression de ces règles par l’un de ses membres. Même dans une conception non répressive et non autoritaire du droit, se pose la question de la protection des victimes avérées ou des victimes potentielles. C’est ainsi que l’on voit parfois s’opposer dans les milieux radicaux les militants de la cause anti-sécuritaire et les militantes féministes sur ces questions. Concernant la question de la récidive, que peut-nous apporter une réflexion philosophique ?
La récidive et la question de la prédictibilité du sujet
Le “criminel”, et en particulier le criminel sexuel, peut faire l’objet d’une expertise psychiatrique chargée d’évaluer sa dangerosité à l’aune du risque de récidive. Or une telle évaluation pose plusieurs problèmes.
Ceux-ci sont liées à la question de la permanence temporelle de l’identité individuelle et à la prédictibilité des actes. En effet, une telle expertise suppose tout d’abord d’être en mesure de déterminer une vérité du sujet. Cette opposition entre la capacité à déterminer une vérité du sujet, et donc en dernier ressort une identité stable, et d’autre part une telle incapacité, qui serait liée à l’impossibilité pour le sujet d’être transparent à lui même et aux autres et à posséder une identité stable, est une des dimensions de ce qui oppose Foucault à Lacan dans La Volontéde savoir. Pour Foucault, il ne saurait y avoir de vérité en dernière instance du sujet, et a fortiori dans sa sexualité
Le second présupposé que suppose la prédictibilité des actes consiste dans l’idée que l’acte pourrait être déduit de tendances préexistantes dans le sujet. Or comme l’explique Bergson dans Le possible et le réel, on peut se demander si ce n’est pas toujours a posteriori qu’un acte devient possible. Pour Bergson, dans le passage à l’acte, il y a une “création d’imprévisible nouveauté”. Le passage à l’acte ne peut se réduire à des tendances pré-existantes, il y a également de l’imprévisible lié à des circonstances, au hasard de la rencontre... Il y aurait donc dans le passage à l’acte quelque chose qui excéderait les virtualités, qui est ce qui constitue la différence entre le réel et le possible, à savoir l’existence.
De fait, la volonté de pouvoir prédire la dangerosité d’un “criminel” est peut être en définitive vouée nécessairement à l’échec. Pourtant, au-delà de l’échec de cette prédictibilité des actes, la collectivité sociale et les victimes avérées ou potentielles réclament le droit à être protégées du risque d’agression...
Récidive et protection de la victime
Autant la tentative de la prédictibilité des actes peut-être critiquée, autant la question de la protection des victimes avérées ou potentielles pose un problème légitime. Or cette question soulève de difficiles problèmes.
En effet, n’appliquer aucune mesure de contrôle ou d’éloignement du transgresseur, ce pourrait être, selon les victimes, les exposer à un risque supérieur qu’avec un autre individu qui n’a jamais commis d’acte de ce genre.
Mais si un premier passage à l’acte justifierait des mesures spécifiques, ces mesures devraient-elles alors être sans fin ? A partir de quand peut-on juger qu’un individu ne doit plus porter la suspicion attachée à un acte “criminel” passé ? Le problème, c’est qu’il n’y a certainement pas de solution absolue à cette question. Peut-être est-il possible qu’un individu ne récidive pas pendant des années et qu’un jour il repasse à l’acte. Doit-on dans ce cas considérer qu’il y a une continuité avec le premier passage à l’acte et de quelle sorte ? Dans quelle mesure est ce le même individu qui agirait alors à plusieurs années d'intervalle ?
Il est probable qu’il faille avant tout renoncer au fantasme de pouvoir éradiquer toute récidive comme le voudraient les tenants des politiques sécuritaires. Mais renoncer à un tel fantasme du point de vue intellectuel ne nous laisse pas pour autant en paix en tant que citoyen avec la légitime douleur qu’elle peut susciter chez les victimes et leur famille.
Il est certain qu’une politique publique d’indeminisation forte des victimes et de leur famille peut être un pis aller, mais elle ne pourra jamais bien sûr réparer l’irréparable...
Irène Pereira
Pour aller plus loin:
Foucault M., Histoire de la sexualité, vol. 1 : La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976.
Bergson, "Le possible et le réel", in La pensée et le mouvement, Articles et conférences datant de 1903 à 1923. Paris: Les Presses universitaires de France, 1969
Kant, “les cent thalers possibles et les cent thalers réels”, in Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale ch. III, 4e section.
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