Par Nada Chaar.
Résumé de l'ouvrage, bibliographie sommaire, chronologie.
Résumé de l'ouvrage:
Le titre, « le syndicalisme enseignant », et non « de l’enseignement », renvoie aux « références identitaires qui dominent la vie syndicale de cet espace professionnel » (p. 4). Il s’agit en effet de répondre à la question de savoir « dans quelles conditions s’est élaboré et s’est reproduit le modèle syndical propre à l’enseignement public » (p. 4-5).
Les cinq chapitres analysent « les spécificités du syndicalisme enseignant », « la genèse d’un syndicalisme de corps », « l’apogée et la diversification du militantisme enseignant » et la redéfinition d’un « modèle syndical », avant de proposer « quelques pistes pour l’avenir ».
Chapitre 1 :
Les spécificités du syndicalisme enseignant reposent sur « une logique spécifique, profondément dépendante de l’institution scolaire » (p. 6). Celle-ci se marque par la dispersion mais aussi par une forte syndicalisation (25% des personnels de l’Education nationale sont syndiqués, contre 8% pour l’ensemble du salariat), ce qui fait 300 000 à 350 000 adhérents.
Si les fédérations enseignantes ne sont pas reconnues comme officiellement « représentatives » (en raison de leur autonomie par rapport aux grandes confédérations), les personnels leur reconnaissent au moins « une légitimité de fait », marquée par un rapport aux syndicats qui est « de nature plutôt instrumentale » (p. 7).
Tableau du syndicalisme enseignant aujourd’hui :
Les grandes fédérations et les syndicats les plus importants de l’éducation nationale :
-La FEN (Fédération de l’Education nationale), créée en 1928 sous le nom de FGE (Fédération générale de l’enseignement), héritière du mouvement corporatif du début du siècle et de la CGT réformiste de l’entre-deux-guerres, a longtemps été la plus importante. Elle devient autonome après 1945. Mais en 1992, la FEN connaît une scission à l’initiative de la tendance majoritaire, Unité, indépendance et démocratie (UID), proche du PS et de la gauche laïque et surtout implantée dans le primaire. Elle devient alors l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) en 1993 puis en 2000 l’UNSA-Education. Les deux principaux syndicats du secondaire, dirigés par la tendance Unité et Action, exclus de la FEN, forment alors la FSU (Fédération syndicale unitaire).
-L’UNSA reprend les thématiques laïque et républicaine de le FEN et y ajoute un discours moderniste en pédagogie. Elle est favorable à la politique contractuelle, contre le syndicalisme de contestation incarné par la FSU.
-La FSU est la première fédération syndicale en nombre d’adhérents. Elle a conservé l’influence de l’ancienne FEN dans le secondaire et le supérieur et s’est développée dans le primaire, avec le SNUipp (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs de l’enseignement général des collèges). Les tendances continuent à être représentées, et voient même leur pouvoir augmenté, avec une volonté forte de démocratie interne
-Le SGEN (Syndicat général de l’éducation nationale) est né en 1937. Affilié à la CFTC puis à la CFDT, c’était le principal concurrent de la FEN. Il a surtout étendu son implantation à partir des années 1960. Il est surtout implanté aujourd’hui dans le second degré, avec des militants de sensibilité socialiste, centriste, écologiste.
Les syndicats minoritaires :
-La FERC-CGT (Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture) est surtout implantée dans le professionnel et chez les personnels non-enseignants.
-La FNECFP-FO (Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle) s’implante massivement dans l’enseignement depuis les années 1970-80. Ses adhérents sont antimodernistes et radicalement laïcs, à la fois proches des partis de droite et du trotskisme du Parti des travailleurs.
-La CSEN (Confédération syndicale de l’éducation nationale) regroupe des syndicats autonomes, adversaires des organisations de gauche et dont les valeurs tournent autour de la restauration des valeurs hiérarchiques et d’une conception malthusienne de l’accès aux études longues.
-La FAEN (Fédération autonome de l’éducation nationale), comprend le SNCL (Syndicat national des collèges et des lycées), surtout implanté chez les anciens PEGC.
-Le SNETAA (Syndicat national des professeurs de lycées professionnels et des personnels d’éducation) est issu de l’ancien syndicat des enseignants du professionnel de la FEN puis de la FSU.
-Sud-Education s’est constitué en 1996, à partir de certains militants de la tendance Ecole émancipée de l’ancienne FEN qui n’ont pas souhaité rejoindre la FSU.
Nombre d’adhérents des trois premiers syndicats de l’enseignement dans la première moitié des années 2000:
FSU : 200 000
UNSA-Education : 125 000 (contre 550 000 dans les années 1970)
SGEN-CFDT : 40 000
En termes d’audience, on peut classer ainsi les principales fédérations syndicales :
Dans le 1er degré : FSU, UNSA, CFDT, FO, CGT
Dans le 2nd degré : FSU, CFDT, FO, UNSA, CGT
Chez les non-enseignants : UNSA, FSU, CGT, FO, CFDT
Dans le supérieur : FSU, CFDT, FO, UNSA, CGT
Dans le syndicalisme enseignant, le poids des corps et des catégories est plus fort qu’ailleurs.
Le modèle syndical qui s’est construit dans l’entre-deux-guerres a deux particularités :
-Il sépare le monde de l’enseignement du reste du salariat et regroupe les agents en catégories. C’est donc un système « fondé sur l’unité des corps et les particularismes statutaires ».
-Il est intégré à « un ensemble d’associations professionnelles ou périscolaires, de mutuelles et de coopératives prenant potentiellement en charge la totalité de la vie professionnelle et de la vie privée des enseignants » (p. 12). « L’enfermement dans des institutions où les maîtres ne retrouvaient que leurs semblables avait comme corollaire une pression à la conformité exercée quotidiennement sur chacun d’entre eux et constituait l’une des conditions de la perpétuation de ce modèle syndical » (p. 14).
Aujourd’hui, « de nombreuses spécificités corporatives continuent de caractériser le syndicalisme enseignant » (p. 14) :
-Les organisations issues de la FEN et le syndicalisme autonome restent prédominants.
-Le cloisonnement interne, entre corps et catégories, reste fort : si dans la FEN-UNSA, tous les enseignants, de l’élémentaire au secondaire, adhèrent au même syndicat, le SE (Syndicat des enseignants), le supérieur et la recherche, les personnels de direction et les non-enseignants continuent à avoir des syndicats à part, avec en tout 26 organisations. A la FSU, on compte 20 syndicats nationaux. Ce découpage porte des risques de surenchère corporatiste et de division interne. Seul le SGEN forme un seul et même syndicat pour toutes les catégories de personnel.
-L’intégration du syndicalisme enseignant dans le primaire et le secondaire aux régulations institutionnelles (avec les comités techniques paritaire, pour l’organisation et le fonctionnement du service, et les commissions administratives paritaires, pour l’avancement des personnels, composés à égalité de membres de l’administration et d’élus syndicaux). Le syndicalisme enseignant présente donc « un modèle ambivalent où la logique de la gestion croise celle de la revendication » (p. 24). C’est là sans doute un des éléments d’explication de la forte syndicalisation de la profession, mais il contribue aussi « à la reproduction d’un pouvoir syndical à forte composante bureaucratique, fondé en grande partie sur le service à l’adhérent » (p. 23) et fait parfois peser sur les appareils syndicaux le soupçon de clientélisme.
L’auteur voit dans ce modèle syndical particulier « l’aboutissement d’un processus de professionnalisation, entendu comme constitution d’une autonomie professionnelle garantie par l’Etat » (p. 25).
-Une dimension politique forte « en relation avec la position sociale des personnels » (p. 25) : un capital culturel supérieur au capital économique pousse les enseignants vers une politisation à gauche, ce qui n’est pas une situation spécifique à la France.
-Une «capacité singulière de légitimation » (p. 28), qui fait du syndicalisme enseignant « un cas particulièrement typique du syndicalisme des services publics » (p. 29) : la laïcité n’est plus le « concept unificateur des représentations dominantes au sein de l’espace syndical enseignant » (p. 25) et on assiste à un recentrage sur des thèmes corporatifs. La laïcité renvoie au départ au progressisme social (par le biais de la diffusion culturelle et de l’émancipation) et à la défense des institutions républicaines et de l’école publique. D’où « une certaine ambiguïté à l’égard du syndicalisme ouvrier » et le refus de tout bouleversement révolutionnaire. Depuis les années 1980, si elles restent « un puissant ressort de mobilisation » (p. 26), les exigences laïques sont passées derrière le discours moderniste (au SGEN, à la FEN/UNSA) et les revendications catégorielles (à la FSU), tout en restant un élément fort du discours des syndicats FO. Le syndicalisme enseignant s’est recentré sur des thèmes corporatifs intégrés à des thèmes universalistes nouveaux, comme la lutte contre l’échec scolaire et contre l’exclusion, même si le thème de la démocratisation, tout en restant important, s’est brouillé. Aujourd’hui, c’est la notion de service public qui est la plus fédératrice, avec celle d’égalité des territoires.
Le syndicalisme de l’enseignement privé forme « un monde à part » (p. 29) :
Aujourd’hui, il y a trois organisations : FEP-CFDT (Fédération de l’enseignement privé), SNEC-CFTC (Syndicat national de l’enseignement chrétien) et SPELC (Syndicat professionnel de l’enseignement libre catholique, issu d’une fédération autonome créée au début du XXè siècle).
Le SNEC défend la spécificité de l’enseignement libre tout en revendiquant des moyens égaux avec l’enseignement public. C’est également la position de des APEL (associations des parents d’élèves de l’enseignement libre).
La FEP au contraire veut une redéfinition de la place de l’enseignement privé dans le service public d’éducation : statut de droit public pour l’ensemble des personnels du privé subventionné (acquis en 2004), avec alignement des salaires et des régimes de retraites.
Le SPELC est pour une voie moyenne entre dualisme scolaire et fonctionnarisation.
La communication entre syndicats du privé et du public est inexistante, y compris au sein de la CFDT.
Chapitre 2 :
C’est dès le début du XIXè que se fait la genèse d’un syndicalisme de corps…
C’est à ce moment en effet qu’apparaissent des associations d’enseignants et des gazettes, au ton souvent feutré en raison de la censure. La vague révolutionnaire de 1848 donne naissance à de nombreux groupements, qui disparaissent néanmoins avec la répression exercée sous l’Empire, qui place les instituteurs sous la tutelle de l’Eglise. L’activité associative connaît un renouveau à la fin de l’Empire, dans le secondaire, sous le ministère de Victor Duruy mais la section française de la Ligue de l’enseignement, créée par Jean Macé en 1866, est étroitement surveillée. Les instituteurs, mal payés et soumis à l’autorité des notables et de l’Eglise, sont parmi les premiers soutiens de la République et nombre d’entre eux sont condamnés avec la répression de la Commune.
…Qui se construit à partir de la tradition amicaliste sous la IIIè République…
L’accès au pouvoir des Républicains change radicalement la donne : les associations d’enseignants sont encouragées et les lois des années 1880 sur l’école renforcent l’autonomie de l’institution primaire, le prestige des instituteurs, également chargés de la formation du citoyen, et leur solidarité avec l’administration.
Mais la promotion culturelle et matérielle des instituteurs reste faible. Ils appartiennent à l’école du peuple, composée des écoles primaires et maternelles, primaires supérieures et normales. Ils restent à l’écart de l’école des notables, celle des classes élémentaires, des collèges et des lycées, conduisant à l’Université. Proches physiquement et socialement de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais entretenant en raison de leur fonction un rapport distant à la population, ils ont une situation matérielle modeste. C’est donc une combinaison d’espoirs et de frustrations qui alimente le mouvement corporatif, encouragé par l’Etat et dont l’anticléricalisme devient un ciment.
…Sans pouvoir néanmoins adopter la forme syndicale avant l’entre-deux-guerres…
Mais le mouvement apparaît comme dangereux lorsque les instituteurs décident de s’approprier la forme syndicale après la loi de 1884. L’Etat interdit la création d’une fédération des syndicats d’instituteurs.
Les amicales continuent néanmoins à se développer, notamment avec l’affaire Dreyfus, et leurs dirigeants se rapprochent des radicaux et des socialistes.
La création de la CGT en 1895, donne lieu à une nouvelle tentative syndicale chez des instituteurs, qui souhaiteraient s’y affilier. Mais cela ne concerne qu’une proportion minoritaire de la profession, qui n’adopte d’ailleurs pas les principes de l’anarcho-syndicalisme, renonçant à toute idée de grève générale et restant dans le giron de la pensée réformiste jaurésienne.
Avec l’accès au pouvoir des radicaux, la loi de 1901 relance l’élan amicaliste tandis que les partisans du syndicalisme (parmi lesquels certains patrons d’amicales) décident de repartir à l’assaut, avec la création en 1906 de la FNSI (Fédération nationale des syndicats d’instituteurs), immédiatement interdite. La fédération se maintien clandestinement (elle adhère à la CGT l’année suivante), avec le soutien des socialistes, qui font paraître dans l’Humanité le Manifeste des instituteurs syndicalistes, rédigé par deux amicalistes-syndicalistes, Emile Glay et Louis Roussel. Mais les deux courants poursuivent leur développement séparément, puisqu’en 1906 est aussi créée la Fédération des amicales des institutrices et des instituteurs publics de France.
Le secondaire (10 000 professeurs à la fin du XIXè s.) et le supérieur restent à l’écart de ces évolutions. Les professeurs de lycée et de collège sont moins mobilisés que les instituteurs et le mouvement associatif ne prend forme chez eux qu’à la fin des années1890, pour se diviser rapidement entre professeurs de lycée, professeurs de collège, répétiteurs et surveillants de collège. Proches du centre gauche, les enseignants du secondaire restent à l’écart du socialisme.
Après 1919, la nouvelle génération d’instituteurs marqués par les souffrances de la guerre est plus contestataire. Elle ne se reconnaît plus dans les vieilles structures de l’amicalisme et développe une réflexion de rénovation pédagogique. Le contexte politique est désormais favorable au développement du syndicalisme enseignant : avec les divisions entre réformistes et révolutionnaires dans le syndicalisme ouvrier (marquées par la scission de la CGT), les revendications modérées des instituteurs acquièrent une plus grande légitimité.
En 1920, la Fédération des amicales, dirigée par Glay et Roussel, devient le SN (syndicat national des institutrices et instituteurs publics de France et des colonies), qui adhère à la CGT en 1922. La FNSI (devenue FMEL), quitte la CGT pour la CGTU communiste et le SN élargit fortement son implantation.
« Le type de syndicalisme qui se construit est en bien des points dans la continuité de l’amicalisme » (p. 43) et les dirigeants des amicales restent en place jusqu’aux années 1930. Le SN ne veut pas s’élargir au secondaire et au supérieur. Le syndicalisme enseignant s’appuie sur des institutions de soutien à l’école laïque et des sociétés mutuelles, comme le SUDEL, Syndicat universitaire d’édition et de librairie ou la MAIF (Mutuelle assurance des instituteurs de France).
…Où se développe, dans le giron de l’administration, un syndicalisme de corps...
L’accès au pouvoir du Cartel des gauches en 1924 marque le début de la « collaboration » dans l’enseignement, ce qui est également une reconnaissance de fait des syndicats enseignants. Les mécanismes paritaires de gestion des carrières se mettent en place dans les années 1930 et on assiste à un « travail de mise en cohérence idéologique et de codification qui va constituer une sorte de clé de voute symbolique du syndicalisme de corps » (p. 44). En témoigne le Code Soleil, publié tous les ans par le SUDEL, diffusé dans les écoles normales et primaires, et qui « se présente comme un condensé des prescriptions et des principes de légitimité qui leur sont liés, que l’administration et le syndicat dominant formulent en commun à l’adresse de chaque instituteur » (p. 44). C’est une véritable « morale professionnelle des instituteurs », qui se présente comme un « compromis entre familialisme et républicanisme » (p. 45) et qui reste stable jusqu’aux années 1970. Si le droit de grève est affirmé, son usage doit rester très exceptionnel. Ce qui est visé, c’est une « solidarité corporative » qui doit aboutir à « un nouvel ordre politique » fondé sur la synthèse de la patrie et de l’humanité (p. 45).
La force du syndicalisme de corps se construit dans un contexte d’apogée dans l’entre-deux-guerres de l’institution primaire dont la fonction sociale est clairement reconnue.
Parallèlement, un courant syndical émerge dans le secondaire, le supérieur et le technique.
Ludovic Zoretti, professeur de mathématiques à l’université de Caen, ex-normalien de la rue Ulm, adhérent à la SFIO et la FNSI, y joue un rôle central. Il critique l’enseignement de classe fondé sur la coupure entre primaire et secondaire. A la FNSI, il impulse une réforme des structures qui donne naissance à la FMEL (Fédération des membres de l’enseignement laïque), qui regroupe l’ensemble des catégories de personnels, sans coupure entre niveaux d’enseignement. Lorsque la FMEL entre à la CGTU, Zoretti refuse de suivre et crée dans la CGT le Syndicat national des membres de l’enseignement secondaire et supérieur, qui devient une fédération en 1924 et qui n’a pas de liens avec les instituteurs du SN, qui refusent toute idée de fusion. Un accord donne lieu à la création (contraire aux vœux de Zoretti) d’une fédération des syndicats nationaux par corps et niveaux d’enseignement, la FGE (Fédération nationale de l’enseignement) en 1928. Composée de 16 organisations, 95% de ses membres sont néanmoins des instituteurs.
A la CGTU, la FMEL, avec sa revue pédagogique, l’Ecole émancipée, est le lieu « d’une conception alternative des rapports sociaux et de l’éducation » (p. 49) fondée sur le féminisme, le pacifisme internationaliste, un contre-enseignement prolétarien qui prône l’utilisation du patois et la simplification de l’orthographe et défende des méthodes nouvelles fondées sur l’esprit critique et la coopération.
…Qui, divisé par les enjeux des années 1930, se stabilise après la Seconde Guerre mondiale.
La montée des fascismes dans les années 1930 amorce un rapprochement entre CGT et CGTU. La FMEL entre dans la FGE dès 1935 et la CGT se réunifie en 1936.
1937 voit de nombreuses recompositions. Au sein de la FGE, les différents syndicats du secondaire s’unifient en un seul, le SPES (Syndicat des personnels de l’enseignement secondaire). Le SNL (Syndicat national des lycées), qui s’est toujours tenu à l’écart de la FNSI/FMEL et du SN/FGE, devient le SNALC (Syndicat national autonome des lycées et des collèges), avec des orientations laïques, politiquement conservatrices et attachées aux traditions secondaires républicaines. Paul Vignaux et Guy Renaud de Lage (deux normaliens de la rue Ulm) créent le SGEN (Syndicat général de l’Education nationale) au sein de la CFTC dans un contexte d’émergence, au sein de l’enseignement chrétien, d’une opposition à la dérive réactionnaire d’une partie de l’Eglise catholique. Contrairement à sa confédération, le SGEN se définit comme laïque. Il se distingue des autres syndicats enseignants par ses structures intercatégorielles et ses positions avant-gardistes dans le domaine pédagogique et en faveur de l’école unique.
La FGE est divisée. Une majorité pacifiste, surtout présente au SN, par « une sorte d’aveuglement collectif », reste « massivement attachée à une vision idéaliste de l’homme constitutive de son identité » (p. 52) alors que les militants de l’ex-FMEL dénoncent la collusion des démocraties avec les fascismes. Avec le pacte germano-soviétique, les communistes adoptent une attitude favorable à la recherche de la paix, tandis que le SN et la CGT adoptent la position contraire, ce qui finit par donner lieu à l’exclusion des communistes quand les troupes soviétiques entrent en Pologne.
Sous la Collaboration, les enseignants se tiennent majoritairement à l’écart de l’engagement et appliquent, sans enthousiasme, les consignes du pouvoir. Des dirigeants syndicaux, comme Delmas ou Zoretti, apportent leur caution au régime. Mais du côté des minoritaires, de nombreux syndicalistes rejoignent les réseaux de résistance, comme de nombreux membres du SGEN. Quant aux communistes, ils entrent massivement dans la Résistance après juin 1941. Les structures syndicales se reconstituent dans la clandestinité et la CGT (réunifiée en 1943) et la CFDT, participent à la mise en place du programme du CNR.
Après la guerre, la CGT, désormais dominée par les communistes sortis renforcés de leur participation à la Résistance, éclate à nouveau, autour des grèves de 1947. La FGE, devenue FEN en 1946 (avec l’ouverture aux non-enseignants), opte pour l’autonomie. Les dirigeants de la FEN refusent de suivre FO par volonté de préserver l’unité corporative, d’autant plus que la création de la MGEN (censée gérer les caisses de sécurité sociale des enseignants) serait compromise par une scission.
Le syndicalisme enseignant sort consolidé de la guerre, avec 150 000 adhérents à la FEN en 1947 et la reconnaissance officielle du syndicalisme des fonctionnaires. « Le passage de la FEN dans l’autonomie ne peut être réduit à un choix purement « idéologique » et circonstanciel. […] Il est une façon de réaliser une synthèse entre le syndicalisme et la tradition amicaliste […], l’affiliation confédérale n’ayant été qu’une parenthèse. Il représente, pour le moins, la meilleure façon de préserver le modèle syndical construit tout au long de l’entre-deux-guerres, voire d’en assurer la pérennité » (p. 57).
Chapitre 3
Les années 1950 et 1960 sont la période de plus grand développement du syndicalisme enseignant, avec des actions collectives qui dépassent le cadre corporatif.
Les effectifs syndicaux augmentent et la FEN se consolide…
La FEN a 400 000 adhérents en 1969. Le SGEN-CFTC passe de 10 000 membres en 1952 à 30 000 en 1965. Il renforce sa légitimité dans sa dénonciation de la guerre d’Algérie et sa lutte pour la déconfessionnalisation de la CFTC. Sa centrale est reconnue quatrième organisation représentative par le gouvernement.
Les principes d’organisation interne de la FEN sont définis en 1948, de façon à permettre l’expression des tendances internes. Mais au départ, la plupart des militants considèrent l’autonomie de la FEN comme provisoire, ce que renforce l’autorisation de double affiliation. Il existe ainsi de fait une FEN-CGT et une FEN-FO, avec des petits syndicats qui ont fait scission et des militants de la FEN qui s’y sont engagés individuellement. La situation dure jusqu’au milieu des années 1950, quand FO et la CGT, pour des raisons internes, interdisent la double affiliation, la plupart des enseignants choisissant alors la FEN. Le courant majoritaire compte les trois-quarts des mandats et fédère la gauche républicaine, socialiste, radicale et franc-maçonne, mais le courant cégétiste regroupe un mandat sur cinq à la fin des années 1950. Le seul courant qui se présente comme une véritable tendance est l’Ecole émancipée, qui regroupe libertaires, trotskistes et anarcho-syndicalistes.
…Dans un contexte de menace sur la laïcité…
Les initiatives en vue d’une réunification syndicale butent sur le contexte de guerre froide. Elles ne sont pas reconduites après les années 1950, d’autant plus que le sentiment d’une menace sur la laïcité contribue au succès du syndicalisme autonome et unitaire et qu’avec le MRP, l’enseignement catholique dispose désormais d’un relais puissant. Enfin, en 1948, un système de subventions indirectes de l’enseignement privé est créé, malgré la forte opposition de la FEN et du SNI, qui essaye de susciter un front de défense de la laïcité autour d’un Comité national d’action laïque (CNAL) créé en 1951. Mais son action n’empêche pas l’adoption des lois Marie et Barangé, qui étendent le financement indirect de l’enseignement catholique. A nouveau, en 1959, la loi Debré (qui définit deux modalités de contrat pour l’enseignement privé : contrat simple, sans réel contrôle, avec un financement très limité, et contrat d’association, qui met les établissements dans une situation très proche de celle du public et qui affirme que la liberté du culte et de l’instruction religieuse doit être assurée dans l’enseignement public) passe malgré une mobilisation animée par le CNAL jusqu’en 1962.
…De conflit algérien…
La guerre d’Algérie est aussi un défi pour le syndicalisme enseignant. Au départ, FEN et SNI sont favorables au maintien de l’Algérie dans le giron français avec des réformes, position modérée qui ne suffit pas aux adhérents d’outre-mer, qui désertent très vite. Quand, avec la présidence du Conseil de Guy Mollet, le parti socialiste se scinde, les enseignants se divisent entre ceux qui restent fidèles à la SFIO et ceux qui passent au nouveau courant destiné à devenir le PSU. Les communistes finissent par soutenir le mouvement de décolonisation, tandis que l’Ecole émancipée et le SNCS vont jusqu’à soutenir les réseaux d’aide directe au FLN. Le SGEN devient un soutien résolu de l’arrêt de la guerre et de l’autodétermination. Le milieu universitaire et les enseignants, dans un contexte où la presse cultive l’illusion d’unanimité du pays, jouent un rôle important dans l’évolution de l’opinion publique. En 1956, Henri-Irénée Marrou, membre du SGEN, fait paraître un article dans le Monde. Raymond Aron fait également connaître sa position en faveur de l’indépendance. Des relations se nouent entre FEN, SGEN et UNEF (Union nationale des étudiants de France). Les événements de mai 1958 et les menaces qui pèsent ensuite sur l’Etat jusqu’en 1962, donnent lieu à la formation d’un front syndical unitaire pour la défense des institutions républicaines. « Pour toute une génération de militants, la guerre d’Algérie joue un rôle de révélateur ». (p.70). En même temps, la guerre d’Algérie brise l’unité interne de la FEN et bouleverse les relations intersyndicales, la CFTC se retrouvant en position centrale et le SGEN devenant un acteur central dans l’espace de la gauche politique et syndicale, ce que renforcent la création en 1964 de la CFDT et un rapprochement timide avec la CGT.
… Et de crise de Mai.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée d’école unique donne lieu à différents projets, tous abandonnés. C’est sous De Gaulle qu’ont lieu les réalisations concrètes. En 1959, les études sont rendues obligatoires jusqu’à seize ans et sont créés les collèges d’enseignement général (CEG) à la place des cours complémentaires, ce qui donne lieu à la naissance du SNC (Syndicat national des collèges). En 1965, la création des CES, rassemble les maîtres des CEG et des lycées de la sixième à la troisième.
Le courant CGT au sein de la FEN devient une véritable tendance, Unité et Action, en 1966, réunissant des communistes, quelques socialistes et des catholiques. Rapidement, UA remporte près du tiers des mandats au sein de la FEN.
La crise universitaire de 1968 éclate en raison de l’opposition des étudiants à la réforme des diplômes universitaires en 1965, à la sélection des étudiants et à la guerre du Vietnam dans un contexte de déliquescence de l’UNEF et de pression de l’Eglise catholique et du PCF sur les étudiants, qui provoquent la multiplication des groupuscules gauchistes. Du côté des enseignants, elle s’explique par l’opposition entre deux générations recrutées dans des conditions différentes et ayant des perspectives de carrière inégales, en lien avec l’élargissement du recrutement provoqué par l’augmentation des effectifs étudiants. Le syndicat qui traduit le mieux les revendications des nouveaux venus est le SNESup (Syndicat national de l’enseignement supérieur), qui appartient à la FEN, et qui est dirigé par les communistes. Ces transformations de l’enseignement supérieur se situent dans un contexte de mécontentement social plus large, qui favorise l’agitation universitaire.
Le SNI reste très prudent, notamment parce qu’il se méfie de la remise en cause des rapports maître-élève et de l’école par le SGEN et par les militants d’extrême gauche. Les syndicats de la FEN sont assez actifs, en particulier dans l’enseignement supérieur. A la SGEN, Vignaux, déjà contesté en raison de son attitude trop molle par rapport à la guerre du Vietnam, est pris à parti par la nouvelle génération de militants, « aux inclinaisons plus anti-institutionnelles que les précédentes » (p. 83).
Au sortir de la crise, « le syndicalisme enseignant apparaît dans une situation paradoxale » (p. 84) : FEN et SGEN n’ont cessé de se développer et de s’implanter dans de nouveaux secteurs, « mais la situation révolutionnaire de mai-juin 1968 a accentué les failles traversant le monde enseignant et engendré de nouveaux conflits. Sans être en elle-même ou à elle seule à l’origine des changements qui se font jour, elle marque un changement d’époque » (p. 84).
Chapitre 4 :
La crise du syndicalisme enseignant dans les années 1960 et la redéfinition du modèle syndical trouvent leurs racines « dans les transformations du système d’enseignement et de ses différents groupes professionnels » (p. 85).
Une redéfinition des corps et des conditions d’enseignement :
Dans le premier et le second degré, c’est dans les années 1950 que les corps et les conditions d’enseignement se transforment en raison de l’explosion démographique et du succès des cours complémentaires. On compte, en 1950, 5 millions d’élèves, contre 12 millions en 1970. Les besoins en personnels sont alors assurés dans l’urgence.
Dans le premier degré, on recrute massivement des auxiliaires, avec pour conséquence une plus forte féminisation du métier. En même temps, la part des normaliens recrutés au niveau de la troisième diminue au profit des normaliens recrutés avec un baccalauréat et les nouveaux venus sont le plus souvent issus de familles de cadres, au détriment des familles d’ouvriers et de paysans. « Le métier d’instituteur devient une possibilité parmi d’autres, au terme de trajectoires scolaires plus longues mais inégalement réussies. Il se présente de moins en moins comme la voie privilégiée de la promotion sociale, destinée à l’ « élite » du primaire » (p. 87). En même temps, le système primaire perd de sa cohérence, l’école n’étant plus un passeport pour la vie sociale et professionnelle et le maître devenant, dans une société qui s’urbanise, un personnage plus anonyme dont l’autorité culturelle est contestée par de nouvelles formes de diffusion de la connaissance.
Malgré tout, « les traditions professionnelles de l’enseignement primaire paraissent frappées d’immobilité » (p. 87) : les rapports de force syndicaux n’ont presque pas changé, les rapports hiérarchiques, les valeurs et les traditions pédagogiques restent les mêmes, les représentants syndicaux restent très majoritairement des hommes. Mais avec mai 1968, un glissement s’amorce avec le développement d’une critique des méthodes pédagogiques, des rapports hiérarchiques et de l’école comme lieu de perpétuation des inégalités par les jeunes militants. Cela n’empêche pas, au SNI et à la FEN, les courants minoritaires d’être contenus. Après une montée en force, la tendance Unité et Action connaît un recul dans les années 1970, tandis que les majoritaires se structurent en véritable tendance, Unité, indépendance et démocratie (UID). Mais en réalité, le courant dominant est déjà sur le déclin.
Le bouleversement des traditions professionnelles est encore plus important dans le second degré. La crise de recrutement entraîne le recours croissant à l’auxiliariat, l’augmentation de la part des certifiés, l’entrée des PEGC (professeurs d’enseignement général de collège) dans l’enseignement secondaire. Avec un public scolaire plus hétérogène, « ce ne sont pas seulement les conditions d’enseignement qui se trouvent modifiées. C’est au fond leur statut social que les professeurs perçoivent menacé, comme en atteste l’afflux vers l’enseignement supérieur et la recherche » (p. 91).
Les clivages que le secondaire rencontre autour de la question de la pédagogie et du mouvement de mai 1968 s’expriment dans « l’espace concurrentiel de la représentation syndicale » (p. 91), les organisations de droite, comme le SALC notamment, s’opposant aux réformes initiées E. Faure. Dans la FEN, la crise est néanmoins moins importante que dans le SNI : le SNES est impliqué dans la contestation soixante-huitarde, il est lié aux courants modernisateurs, il parvient à fédérer les aspirations au changement de catégories diverses et ses effectifs augmentent jusqu’à la fin des années 1970.
Désenchantement et recomposition du paysage syndical à partir des années 1980:
Les années 1980 sont celles du « désenchantement » (p. 93) avec un reflux du mouvement syndical, une montée du chômage et des difficultés urbaines, l’extension de la scolarisation de masse, et les désillusions politiques liées à l’arrivée de la gauche socialiste au pouvoir. La conflictualité sociale est en recul dans un contexte économique de crise, de transformation de l’organisation du monde du travail et de crise morale du mouvement ouvrier. Dans le monde de l’enseignement, on assiste à un « brouillage des finalités du système » (p. 93) qui n’arrive pas à vaincre les inégalités de réussite et l’exclusion alors que se développe la concurrence sur le marché scolaire.
De plus, l’arrivée au pouvoir de la gauche donne lieu à une confrontation et un échec majeurs face au camp clérical. Le projet Savary, en 1984, a pour but l’intégration progressive à l’enseignement public des établissements sous régime d’association en échange d’un financement égal pour le privé et le public. Les APEL prennent pour prétexte des modifications de dernière minute apportées par les socialistes les plus liés au camp laïque (notamment le fait que les communes ne financeront les écoles privées sous contrat d’association que lorsque la majorité des maîtres aura été fonctionnarisée) pour lancer la mobilisation. Le 24 juin 1984, une semaine après l’échec de la gauche aux élections européennes, une manifestation à Pairs réunit entre 500 000 et 1 million de personnes au nom de la liberté et le gouvernement recule.
« L’ambiance politique et intellectuelle du milieu des années 1980 est par ailleurs très défavorable aux défenseurs de l’école primaire et d’un certain réformisme pédagogique. » (p. 95) avec des attaques contre les politiques antérieures de modernisation par le courant conservateur et par les représentants d’une gauche méritocratique.
C’est dans ce contexte que FO fait sa percée dans l’enseignement, avec la création du SNUDI (Syndicat national des directeurs et des instituteurs) en 1984-5 et du SNFOLC (Syndicat national FO des lycées et collèges) avec à la fois des trotskistes et des proches du RPR qui refusent la politique rénovatrice de Savary. Aux élections professionnelles de 1984, les syndicats enseignants FO font 12%, faisant reculer FSU et SGEN.
Dans la FEN, la tendance UID a peur de perdre la direction de la fédération en raison du recul de la part du primaire (en 1945 : 17 000 professeurs contre 155 000 instituteurs, en 1985 : 372 000 contre 313 000), sachant que dans le secondaire, c’est UA qui domine.
La crise du syndicalisme des instituteurs se manifeste particulièrement avec le conflit des maîtres-directeurs en 1987 (lié à la volonté du ministre R. Monory de renforcer les prérogatives des directeurs d’école). La domination du SNI est remise en question par l’apparition de coordinations animées par des militants du SGEN ou de l’Ecole émancipée. « Le conflit se présente comme une sorte de rattrapage de l’état du groupe réel sur ses structures politiques » (p. 97). Les nouvelles générations de maîtres, d’origines sociales plus élevées, passés par l’université, en opposition avec la culture traditionnelle de la profession, sont souvent des déclassés, marqués par l’échec à l’université et plus distants vis-à-vis de l’institution scolaire. Les coordinations et les manifestations adoptent un style nouveau et à forte composante anti-institutionnelle. On y voit à l’œuvre un nouveau type d’engagement, de « la personne dans toute sa profondeur, c’est-à-dire, paradoxalement, dans ce qu’elle a de plus irréductible à toute expression collective » (p. 98), une intensité et un resserrement des liens affectifs, sur le registre du plaisir ou de l’épreuve. « La représentation du mouvement se construit sur deux scènes » (p. 98) : celle de la réunion, espace de dialogue libéré, et celle de la manifestation, qui se donne à voir à l’opinion sous des formes théâtralisées qui correspondent aux attentes d’une partie des journalistes.
A partir de 1987, les orientations des dirigeants du SNI et de la FEN se précisent dans le sens d’un rapprochement de l’ensemble des corps enseignants. Le projet « Ecole de l’an 2000 » propose une responsabilisation des maîtres, une rénovation des méthodes, un assouplissement des procédures d’évaluation et d’orientation, une redistribution des moyens pour corriger les inégalités scolaires. La but et d’obtenir du ministère une revalorisation des professions enseignantes. Mais les syndicats du secondaire ne suivent pas.
En 1989, avec Loi d’orientation sur l’éducation du ministère Jospin, les enseignants du premier degré et de toutes les catégories du second degré sont désormais recrutés au niveau licence avec des carrières comparables à celles des certifiés, les formations professionnelles sont regroupées dans les IUFM (c’est la fin des écoles normales), une revalorisation salariale a lieu sous la forme de primes et d’amélioration des fins de carrière. Les maîtres deviennent professeurs des écoles et les statuts des enseignants du secondaire font l’objet d’une refonte progressive. Le principe de corps unique n’est pas retenu, même s’il se produit une sorte de secondarisation de la profession.
Au sein de la FEN/SNI, la direction propose un projet de recomposition interne à l’occasion du congrès de 1991. Mais des divisions au sein de la direction (entre le secrétaire général de la FEN, Yannick Simbron, et Jean-Claude Barbarant, secrétaire général du SNI) mènent à la scission. Simbron et ses proches sont démis de leurs mandats sans consultation des adhérents puis en 1992, c’est l’exclusion du SNES et du SNEP (tous deux à majorité UA). Le SNI étend son champ de syndicalisation à l’ensemble des enseignants du primaire et du secondaire et devient le SE (Syndicat des enseignants). Les dirigeants du SNI sont apparus davantage motivés par des préoccupations politiciennes que par une démarche unitaire et le redéploiement est un échec. La FSU, fondée par les tendances minoritaires, fait un score légèrement supérieur à celui de la FEN aux élections professionnelles de 1993 et creuse l’écart en 1996. La FEN, devenue UNSA, semble entrée depuis dans une logique de déclin.
La fragmentation syndicale s’est encore accélérée avec la naissance de nouveaux syndicats liés à une minorité de l’Ecole émancipée qui n’a pas rejoint la FSU et qui, après le mouvement de 1995, rejoint Sud-Education, créé par d’anciens militants de la SGEN en 1996. Le SNETAA quitte enfin la FSU, dont les orientations sont jugées trop politiques.
Le SGEN est actuellement dans une situation difficile liée aux changements idéologiques opérés par l’UNSA et à la réappropriation par la FSU des questions pédagogiques.
La FNECEP-FO reste à l’écart des autres fédérations au nom d’un syndicalisme présenté comme le seul authentique. A la fin des années 1980, elle connaît en plus un conflit interne entre son aile trotskiste et son aile modérée, qui se termine par une scission et le départ des modérés.
C’est la FSU qui connaît les contradictions internes les plus importantes : celles d’une fédération qui revendique à la fois son autonomie et son attachement à l’unité du mouvement syndical interprofessionnel, celles liées au renforcement des syndicats nationaux et des tendances, qui joue comme un mécanisme de paralysie au lieu d’être une garantie contre l’hégémonie. L’opposition entre primaire et secondaire s’est vite reconstituée : au SNUipp, on trouve un attachement plus fort aux principes égalitaires, au modernisme pédagogique et à l’unification intercatégorielle, tandis qu’au SNES on rencontre un respect plus fort des hiérarchies et de leur justification en termes de qualification. En 1995, le SNUipp a plaidé pour la grève reconductible alors que le SNES est plus pour une succession de « temps forts ».
Malgré toutes ces contradictions et ces divisions, le syndicalisme enseignant a contribué à un renouveau des luttes sociales avec une mobilisation forte pour la défense de la laïcité en 1994, en décembre 1995, puis surtout au printemps 2003, où « la mobilisation enseignante est apparue comme le « fer de lance » du mouvement social » (p. 107) : « la multiplication des débats et des initiatives, la diffusion des thèses altermondialistes et les liens établis avec les mouvements des chercheurs et celui des intermittents du spectacle ont donné à ce « tous ensemble » des enseignants sa tonalité particulière » (p. 107). Si ce mouvement a été une défaite partielle, qui a pesé sur la mobilisation des personnels dans les années suivantes et si la syndicalisation a stagné, « par les thématiques revendicatives qui se sont structurées au fil de l’action collective, par l’impact que peut avoir un tel événement sur la socialisation de toute une génération de nouveaux entrants, le printemps de 2003 a peut-être marqué l’ouverture d’une période nouvelle dans l’histoire des luttes scolaires en France» (p.107)
Chapitre 5 :
Si malgré les bouleversements depuis les 1990s, « toute une partie des valeurs, des régulations institutionnelles et des oppositions structurantes de cet espace professionnel demeure pratiquement inchangée » (p. 108), on perçoit néanmoins un « processus de redéfinition des identités syndicales » (p. 108) autour des questions suivantes :
Quel rapport aux questions d’ordre professionnel ?
Le discours des militants sur la pratique semble se limiter à « quelques formules rituelles – qu’elles soient conservatrices, modernistes ou « de synthèse » – élaborées dans une logique de pure politique interne » (p. 109). On pourrait répondre que ce n’est pas aux syndicats de prendre en charge les questions professionnelles. Mais que faire alors des difficultés rencontrées par les personnels ? « C’est peut-être […] une prise en charge plus volontariste des interrogations des personnels sur les transformations de leurs métiers qui contribuerait de la façon la plus efficace à l’émergence d’un nouveau projet démocratique pour l’Ecole » (p. 110).
Quelles relations avec les personnels ?
Depuis les coordinations des années 1980, la volonté est apparue de démocratiser les relations avec les enseignants, avec de nouvelles habitudes collectives qui permettent la prise de décision par les personnels eux-mêmes, mais sans remettre en question le caractère permanent de l’activité. Reste à permettre aux différentes catégories de personnels de se rencontrer pour « faire converger leurs visions du monde et de leurs intérêts les plus immédiats » (p. 111).
Quelle place dans le mouvement syndical français ?
L’auteur se pose la question de savoir si on va vers une « recomposition d’ensemble du mouvement social » (p. 111). Le syndicalisme enseignant est entré « dans un processus de fragmentation » (p. 111). Se pose donc la question suivante : « alors que les luttes scolaires, les enjeux culturels et éducatifs semblent avoir pris toute leur place dans l’espace des luttes pour des alternatives aux politiques libérales, l’heure est peut-être venue pour des convergences inédites. Le syndicalisme enseignant français, dont l’histoire s’enracine dans l’organisation corporative et la séparation professionnelle, serait-il en mesure de relever un tel défi ? » (p. 112)
Extraits de la bibliographie de l’ouvrage :
Geay B., « Espace social et « coordinations », le mouvement des instituteurs de l’hiver 1987 », Actes de la recherche en sciences sociales, n°86-87, mars 1991.
Geay B., Profession : instituteurs. Mémoire politique et action syndicale, Seuil, Paris, 1999.
Geay B., « Le « tous ensemble » des enseignants », in Béroud S. et Mouriaux R., L’Année sociale, Syllepse, Paris, 2004.
Geay B. et Marchand L., « Les cadres intellectuels de la reconstruction syndicale chez les instituteurs », in Farrugia F. dir., La connaissance sociologique, contribution à la sociologie de la connaissance, L’Harmattan, Paris, 2002.
Mouriaux R., Le syndicalisme enseignant en France, PUF, Paris, 1996.
Poupeau F., Contestations scolaires et ordre social. Les enseignants de Seine-Saint-Denis en grève, Syllepse, Paris, 2004.
Robert A. et Mornettas J.-J., Profession et syndicats vus par les enseignants du second degré, Adapt-SNES, Paris, 1995.
Chronologie réalisée à partir de l’ouvrage
Tentative de création d’un syndicat d’instituteurs parisiens et d’une fédération nationale des sociétés autonomes d’instituteurs, interdite: 1887
Premier congrès national des professeurs du secondaire. / Formation de la Fédération nationale des professeurs de collège, qui se séparent des professeurs de lycée : 1897
Formation de la Fédération nationale des répétiteurs et surveillants de collège : 1898
Création de la FNSI (Fédération nationale des syndicats d’instituteurs), interdite / Publication du Manifeste des instituteurs syndicalistes. / Création de la Fédération des amicales des institutrices et des instituteurs publics de France : 1906
Adhésion de la FNSI à la CGT : 1907
Fondation par la FNSI de la revue pédagogique l’Ecole émancipée : 1910
Entrée de L. Zoretti à la FNSI et réforme des structures qui la transforme en FMEL : 1918
La Fédération des amicales, dirigée par Glay et Roussel, devient le SN (Syndicat national des institutrices et instituteurs publics de France et des colonies) : 1920
Scission de la CGTU, à laquelle adhère la FNSI, devenue FMEL. / Fondation par L. Zoretti du Syndicat national des membres de l’enseignement secondaire et supérieur. / Le SN adhère à la CGT : 1922
Création de la FGE (Fédération nationale de l’enseignement) : en 1928
Mise en place du paritarisme : 1936
Intégration de la FMEL dans la FGE : 1935
Réunification de la CGT : 1936
Création du SGEN. / Création au sein de la FGE du SPES (Syndicat des personnels de l’enseignement secondaire). / Création du SNALC (syndicat national autonome des lycées et des collèges): 1937
Fondation de la Fédération française des syndicats chrétiens de l’enseignement libre, au sein de la CFTC : 1938
Exclusion des communistes de la CGT: septembre 1939
La FGE devient la FEN (Fédération de l’éducation nationale), ouverte aux non-enseignants : 1946
Scission CGT/CGT-FO : 1947
Mise en place d’un système de financements indirects pour le privé : 1948
Création dans la FEN du SNETA (Syndicat national de l’enseignement technique et de l’apprentissage autonome) et du SNAEN (Syndicat national des agents de l’Education nationale) : fin des années 1940
Création du Comité national d’action laïque (CNAL). / Adoption des lois Marie et Barangé : 1951
FO et la CGT interdisent la double affiliation : milieu des années 1950
Création dans la FEN du SNC (Syndicat national des chercheurs scientifiques) : 1956
Loi Debré de financement de l’enseignement privé/ Réforme Berthoin : prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et création des CEG (collèges d’enseignement général). / Création du SNC (syndicat national des collèges) : 1959
La Fédération française des syndicats chrétiens de l’enseignement libre, devenue Fédération de l’enseignement privé (FEP), rejoint la CFDT : 1964
Création dans la CFTC maintenue du Syndicat chrétien de l’Education nationale, de la recherche et de l’action culturelle (SCENRAC) : 1964
Plan Fouchet : création des CES et réforme des diplômes universitaires : 1965
Naissance de la tendance Unité et action à la FEN : 1966
Création du corps des PEGC : 1969
Création par une partie des militants de la FEP du SNUDEP-FEN (Syndicat national pour l’unification du service public d’éducation et la défense des personnels de l’enseignement privé) / Projet Savary / Création du SNUDI-FO (Syndicat national des directeurs et des instituteurs) et du SNFOLC (Syndicat national FO des lycées et collèges) et percée électorale des syndicats enseignants FO: 1984
Dissolution du SNUDEP-FEN : 1986
Conflit des maîtres-directeurs : 1987
Loi Jospin d’Orientation sur l’éducation : 1989
Scission de la FEN, le SNI devient SE (syndicat des enseignants) : 1992
Naissance de l’UNSA : 1993
Mobilisation des enseignants contre la révision de la loi Falloux : 1994
Mobilisation contre la réforme Juppé des retraites : 1995
Naissance de Sud-Education : 1996
L’UNSA devient UNSA-éducation : 2000
Mobilisation des enseignants contre le projet Fillon de réforme des retraites : 2003
Acquisition d’un statut de droit public pour les enseignants du privé sous contrat : 2004
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Godfrey (lundi, 23 juillet 2012 07:55)
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Best Juicer (mercredi, 24 avril 2013 13:33)
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