Pour le travail: quel projet de société ?

 

Manuel Valls par des déclarations provocatrices a replacé la question des 35h et de la réduction du temps de travail à la Une du discours médiatique. Pourtant au-delà des intentions électorales des uns et des autres, on peut s’interroger sur les implicites philosophiques du débat sur les 35h.

 

La thématique du travail est un objet philosophique qui s’est trouvé plus particulièrement promu à partir du XIXe siècle ( Hegel, Proudhon, Marx...). Aujourd’hui, à travers la question des 35 heures, quels débats philosophiques se trouvent posés ?

 

De la fin du travail à la souffrance au travail

 

Il est possible de remarquer qu’à partir des années 90, avec un retour de la question sociale autour entre autres des mouvements de chômeurs, s’est trouvée posée avec une certaine acuité la question de la place du travail aujourd’hui. Ainsi, un certain nombre d’auteurs à cette époque semblaient, tels Dominique Meda, diagnostiquer une fin de la valeur travail: Le travail. Une valeur en voie de disparition.

Néanmoins, durant les années 2000, une autre thématique liée au travail est venue prendre de l’ampleur: celle de la souffrance au travail. Les nouvelles techniques de management sont revenues poser la question des conditions de travail avec les risques psycho-sociaux, thématique qui a particulièrement occupé le devant de la scène durant les années 2009-2010.

 

Travailler plus....

 

A travers le débat autour de l’idée d’une perte de centralité du travail dans notre société et des conditions de travail se jouait en effet un autre débat portant sur les grandes mesures politiques liées à la question du travail. On a vu ainsi s’affronter plusieurs conceptions politiques du rapport au travail.

 

On peut ainsi se souvenir qu’en 2007, Nicolas Sorkozy faisait campagne en s’appuyant sur le slogan “travailler plus, pour gagner plus”. Dans une telle conception, le travail reste central et sa rémunération serait liée au mérite mesuré à la fois par le talent et par le temps de travail. Il s’agit alors de faire sauter tous les obstacles à la limitation du temps de travail et d’encourager les heures supplémentaires. Or une telle conception, pour fonctionner, devrait reposer sur le fait qu’il y a suffisamment de travail pour tous et qu’il est même possible d’en augmenter la durée. Implicitement l’idée qui est ici à l’oeuvre, c’est qu’il n’y a pas une diminution de l’emploi rémunéré, mais des individus qui ne veulent pas accepter des emplois existants. Cependant, dans une société où à la fois les moins de 25 ans et les plus de 45 ans sont fortement touchés par le chômage, ce qui reste dans l’ombre c’est la question même de l’accès au travail pour tous.

 

Allocation garantie....

 

A l’inverse, d’autres conceptions tiraient de l’existence d’un chômage de masse, la thèse d’une perte de centralité du travail et celle de son remplacement plus large par la notion d’activité. Cette dernière consistait à constater l’existence d’un ensemble de productions socialement utiles, mais qui n’étaient pas rémunérées. Ainsi, un chômeur est certes privé d’emploi, mais pas nécessairement sans activité. Il peut par exemple avoir une activité associative socialement très utile, mais qui ne bénéficie d’aucune rémunération.

A ainsi émergé l’idée qu’il serait nécessaire de déconnecter revenu et emploi. La quantité de richesses produites dans notre société rendrait possible le versement d’un revenu pour tous qui ne serait pas lié au travail. Divers modèles ont été proposés: revenu garanti inconditionnel, revenu de base, allocation de citoyenneté, allocation universelle, revenu d’existence....

Il y aurait toujours des personnes qui pourraient vouloir gagner plus que les autres, et donc libre à elles de le faire en travaillant. Le système du revenu garanti aurait pour avantage de faire en sorte que personne ne soit contraint d’accepter un emploi aliénant.

 

Néanmoins, il nous semble que la question d’un tel revenu semble occulter le fait qu’il existe un certain nombre d’emplois dans notre société, qui sont absolument indispensables mais relativement peu épanouissants: par exemple le ramassage d’ordures. Certes on pourrait imaginer de le rendre un tant soit peu plus attractif en le rémunérant de manière très incitative.

De même, à l’inverse se pose la question de savoir si toutes les activités doivent donner lieu à rémunération: imaginons une personne qui passe ses journées à pratiquer la corrida. Il est fort probable que si l’on demande à l’ensemble des citoyens s’ils sont d’accord pour que cette personne reçoive une rémunération uniquement pour se livrer à cette activité, il n’y ait pas consensus sur cette question.

La question qui est donc laissée dans ce cas dans l’ombre, c’est le problème de l’usage des revenus. Même si on soutenait qu’une grande partie de la richesse produite provient des machines ou du capitalisme financier, il n’en reste pas moins qu’une partie continue indéniablement à provenir du travail. Dans le libéralisme économique, en théorie, c’est le marché qui détermine la rémunération d’une activité: ainsi dans une telle conception la fabrique et la vente d’armes, des activités polluantes ou les activités sportives peuvent donner lieu à de très fortes rémunérations.

Néanmoins, on peut se demander s’il n’existe pas une aspiration chez les citoyens à contrôler l’usage des revenus produits dans une société. Par exemple, en estimant que ceux-ci doivent prioritairement rémunérer des activités socialement utiles et que ce sont ces activités que l’on appellerait travail.

 

...ou réduction du temps de travail

 

Si à l’inverse, on part du constat qu’il existe des activités socialement utiles qui nécessitent impérativement une main d’oeuvre humaine, plutôt que de penser uniquement leur forte rémunération afin d’inciter certains à les prendre en charge, se pose également la question de partager le travail et d’en réduire le temps.

Une telle conception part du constat qu’il existe une tendance à l’oeuvre depuis le XIXe siècle de réduction du temps de travail. C’est un principe implicitement égalitaire qui la sous-tend: travailler moins, pour travailler tous. Cette conception suppose également que ce temps de travail réduit soit mieux rémunéré afin que les salariés ne soient pas contraints à recourir aux heures supplémentaires.

Un autre élément de cette conception est qu’en accordant une place centrale au travail, comme activité socialement utile, elle affirme également poser la revendication d’une amélioration des conditions de travail.

Il ne s’agit pas alors de partir de l’idée que toutes les activités en soi donnent lieu à une rémunération, mais que les travailleurs doivent exercer un contrôle sur l’activité de production et sa rémunération.

 

Nous avons donc essayé de dégager trois conceptions du rapport actuel au travail:

- la conception libérale reposant sur le marché et le mérite

- la conception que l’on pourrait qualifier de libertaire postmoderne: ce qui est mis en avant c’est le choix individuel d’occuper ou non un emploi rémunéré, d’effectuer l’activité que l’on désire

- la conception socialiste: ce qui est mis en avant c’est l’égalité. En reprenant Marx, on pourrait dire qu’il existerait d’une part un ordre de la nécessité vitale (le temps du travail) et d’autre part un ordre de la liberté (le temps du loisir).

 

Pour aller plus loin:

 

- Fin de la valeur travail:

Dominique Méda, Une valeur en voie de disparition, Flammarion, 1995 (réédition: 2010). 

 

- Sur la souffrance au travail:

Christophe Desjours, Souffrance en France, Le Seuil, 1998.

 

- Sur le revenu garanti:

Ecorev, n°23: http://ecorev.org/spip.php?article486

 

- Sur la réduction du temps de travail:

Husson M., “Fin du travail ou réduction de sa durée ?”, Actuel Marx, n°26, 1999. http://hussonet.free.fr/fintrav.pdf

 

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