Politique et vertu civique

L'actualité au prisme de la philosophie


Les frasques de Berlusconi avec des prostituées mineures, les vacances tunisiennes de Michèle Alliot-Marie ont relancé le problème des rapports entre politique et vertus morales. Cette question est depuis longtemps l’objet de discussions philosophiques.

En politique, s’agit-il de considérer que l’homme ou la femme en charge de mandats publics doivent être vertueux tant dans leur action publique que dans leur vie privée ou doit-on juger leur action uniquement à leur capacité à réaliser les objectifs pour lesquels ils ont été élus ?

Paraître car tout n’est qu’apparence...

Machiavel, dans Le Prince, considère qu’il n’est pas tant nécessaire qu’un Prince soit vertueux, mais il faut qu’il paraisse l’être. Et Machiavel va même plus loin: s’il était réellement vertueux en toute circonstance, cela pourrait lui nuire.  Pourquoi ? Pour deux raisons. D’une part, parce que la plupart des hommes ne sont pas vertueux; de fait, si le Prince s’astreint à l’être il risque fort d’échouer dans ses actions. D’autre part, parce qu’affirme Machiavel: “le vulgaire est toujours pris par les apparences et les résultats. Or en ce monde tout n'est que vulgaire”. Ainsi la plupart des individus se laissent prendre aux apparences et ceux qui réussissent à percer au-delà des apparences n’osent pas s’opposer à la majorité. De toute façon, il est plus certain de juger un individu sur la réussite de ses actions que sur la pureté de ses intentions.

De fait, dans une telle conception, le tort d’Alliot-Marie ou de Berlusconi, c’est d’avoir été découverts au grand jour. De ce point de vue, Mitterrand, dont bien des secrets n’ont été révélés publiquement - sur sa maladie ou sa fille illégitime- qu’après sa présidence, méritait bien son surnom de florentin.

Mais si l’on suit Montesquieu dans L’Esprit des lois, on peut se demander si la figure du Prince ne vaut pas uniquement pour un Etat despotique, sans convenir guère à un Etat démocratique.

La vertu, principe de la démocratie

Montesquieu dans L’Esprit des lois soutient la thèse selon laquelle l’Etat démocratique, contrairement à l’Etat despotique ou monarchique ne peut se maintenir sans que ceux qui détiennent des mandats publics soient vertueux.

En effet, il suffit pour l’Etat despotique pour se maintenir de s’appuyer sur le bras armé du Prince. “Dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même, et qu’il en portera le poids”.

Ainsi pour Montesquieu, ceux qui se réclament de la démocratie doivent viser la vertu et non nous parler seulement “de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même”. Lorsque la corruption s’empare des démocraties, lorsque le bien public devient le bien de particuliers, alors la République ne peut se maintenir.

En effet, la définition de la démocratie est d’être un régime dans lequel tous se soumettent aux lois de manière égalitaire. Or si les détenteurs des charges publiques n’obéissent plus aux lois qu’ils sont censés faire appliquer, alors la nature de la démocratie est perdue et il s’agit d’un autre régime.

Ainsi selon Montesquieu, l’une des caractéristiques du régime despotique, outre la concentration en un seul homme de l’ensemble des pouvoirs politiques, c’est que dans ce régime celui qui est en charge des fonctions publiques suit son caprice sans se soumettre aux lois: « un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices ».

Ainsi s’il n’est pas certain qu’il faille exiger de l’homme ou de la femme politique qu’il (ou elle) soit moralement vertueux/se, en revanche le principe de la démocratie dans une telle conception exige qu’il ne saurait être, pour le moins, d’une part au-dessus des lois qui régissent les autres citoyens et d’autre part corrompu par des intérêts privés qui pourraient lui faire oublier le bien public.

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