Compte-rendu: Colloque FSU-Institut de recherches de la FSU, « Le travail, contenu et réalité : analyses, revendications, luttes et activités syndicales ».

Vendredi 11 mars 2011, Paris, République, Bourse du travail (9h30-17h).

Nada Chaar

Dans son introduction, Gérard Aschieri, président de l’Institut de recherches de la FSU, place au centre de la journée d'étude la question « qu'est-ce que le cœur de l'activité du travail ?», au-delà du simple enjeu des conditions de travail et des risques psychosociaux.

 

La journée est scandée par des vidéos intitulées « la réalité du travail : dégradations, difficultés, résistances », qui présentent les témoignages de syndiqués FSU : enseignants du primaire et du second degré, directeur d'école, agent de maintenance, assistante sociale, salarié du Pôle emploi et adjointe administrative. Les interviews font ressortir la vision d'une institution « malveillante », « aliénante », « autoritaire » et déplorent la surcharge de travail qui oblige à accepter une dégradation de la qualité du service, ainsi que le poids écrasant de l'injonction, qui prive les personnels du temps de réflexion sur le contenu du travail et de la possibilité de le construire ensemble. Elles posent aussi la question de « ce qui pourrait renouveler le syndicalisme pour que les jeunes s'y retrouvent ».

 

Le colloque voit également l'intervention de trois chercheurs, Philippe Davezies (enseignant-chercheur en médecine et santé au travail, Université Claude Bernard Lyon I), Cécile Briec (ergonome et doctorante) et Yves Clot (titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM).

Philippe Davezies montre comment les transformations de l'économie mondiale depuis les années 1980 s'accompagnent d'une intensification du travail qu'on ne peut pas comprendre comme un simple problème quantitatif car cela reviendrait à réduire le problème à une question de gestion. Or c’est sur ce type d'analyse que reposent aujourd'hui les accords sur le travail que les syndicats signent avec les grandes entreprises. Il faut prendre en compte également la dimension qualitative : c'est la nature même du travail qui change aujourd'hui, car travailler, c'est renoncer à une partie de ce qu'il faut faire par impossibilité matérielle, avec un rétrécissement et un appauvrissement de l'activité. Philippe Davezies oppose « le point de vue du travail » dans lequel la dynamique de l'activité déborde toujours la consigne et « celui du management » qui se concentre sur la qualité pour le marché et dans le temps du marché. Une grande partie de la souffrance des salariés tient précisément à leur absence de passivité : ils mènent une résistance au niveau microscopique, un niveau que la lutte syndicale n'arrive pas encore suffisamment à intégrer. La résistance des salariés butte sur des discours « préfabriqués » et « généralisants », qui ne sont pas seulement ceux de l'entreprise mais aussi des personnels et des syndicats : on peut parler d’une « activité privée de voix », ce qui aboutit à une individualisation des stratégies, une perte des repères communs et un recul de l'entraide et de la solidarité, générateurs de conflits et d'atteintes à la santé. Pour « reprendre ensemble la main sur le travail », Philippe Davezies propose d’articuler une résistance syndicale, qui doit trouver les voies d'une indépendance par rapport aux discours et agendas fixés par les directions d'entreprise et une « résistance moléculaire » des salariés, enracinée dans une connaissance intime des situations de travail. Le syndicalisme doit apprendre des salariés et de leurs micro-batailles au quotidien, lutter contre l'isolement en créant des espaces de discussion sur la qualité du travail et produire dans le travail les « conditions de la vitalité de la démocratie politique ».

Cécile Briec mène une recherche sur l'activité syndicale auprès de huit militants d'une section du Snuipp (Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et Pegc),

sur leur travail de permanence téléphonique. Les résultats provisoires de ce travail montrent que l'activité syndicale « est un travail » et que les similarités sont très nombreuses avec les situations de « travail ordinaire » et les questions qu'elles posent : efficacité, qualité, gestion de l'urgence, résolution des dilemmes...

L'intervention d'Yves Clot porte sur trois éléments. Le premier concerne les rapports entre chercheurs et syndicalistes et le rôle de chacun. Le chercheur, sans se contenter de rester dans la théorie, ne doit pas se poser en expert car son rôle n'est pas la préconisation. Il n'est pas là non plus pour représenter la souffrance humaine : son rôle est de contribuer à faire émerger la parole des travailleurs qui permettra le développement d'une action collective dans laquelle les syndicats doivent trouver leur place. Le second élément montre qu’il est impossible de conserver sa santé au travail si on ne se reconnaît pas dans ce qu'on fait à travers l'exemple de métallurgistes qui préfèrent s'exposer au feu du four tout en sachant qu'ils réduisent leur espérance de vie plutôt que d'utiliser de nouvelles machines mises à leur disposition par la direction de l'entreprise pour leur permettre de récupérer les lingots d'acier tout en préservant leur santé mais au prix d’une qualité moindre du produit. Mais si des jeunes arrivaient dans l'équipe et décidaient que leur santé compte plus que la qualité des lingots ? Ce qui amène à la conclusion que les collectifs de travail doivent intégrer la controverse sur ce qu’est la qualité du travail : qualité du produit ou qualité des conditions de travail ? Le troisième élément porte sur un des critères utilisés dans l'évaluation des risques psychosociaux par les entreprises et par les médecins mais aussi dans les accords syndicaux : celui de la « recherche obsessionnelle de la qualité ». Pour lui, un tel critère relève de l'hygiénisme et frise la « police sanitaire ». Dans ce contexte, le rôle des syndicats est d’entrer dans la controverse avec les directions sur la question du travail. Ils doivent également abandonner « une vision passéiste du métier » qui correspond à une définition univalente qu'il s'agirait de défendre contre les attaques extérieures. Pour Yves Clot, « la seule façon de défendre le métier, c'est de l'attaquer ».

 

Pendant le colloque, on assiste à l’intervention de syndicalistes FSU, CGT et Solidaires.

Ils soulignent les points suivants.

-La convergence entre les témoignages de salariés d'où qu'ils viennent : on constate une similitude des situations de souffrance.

-La question des « boîtes noires des pratiques professionnelles » : les syndicats doivent aller à la rencontre des salariés pour apprendre d’eux ce qu’est le travail.

-La dimension idéologique des questions du travail. Celles-ci portent un continuum entre redéfinition du métier et redéfinition du service public lui-même. Les discours actuels sur le travail le relèguent à une position subalterne, notamment en parlant de « fin des usines » et de « fin du travail », ce qui est créateur de souffrance pour les travailleurs. Le discours syndical doit opposer au discours politique moralisateur sur la « revalorisation du travail » une vision du travail comme quelque chose de commun à l'ensemble des salariés et qui possède un sens et une finalité qui lui confèrent un contenu positif.

-La question des collectifs et de leur capacité à porter la résistance des travailleurs : la réflexion collective, à trop se bâtir au consensus, prend le risque d'évacuer la conflictualité et de faire de la concertation le lieu d'une assimilation passive du discours du management. Se pose aussi la question de la contradiction qui peut exister entre la consigne syndicale et la conception personnelle des agents de ce qu'est un travail bien fait.

 

Enfin, des invités extérieurs au monde syndical s’expriment également pendant la journée :

L'administrateur national MGEN chargé de l'Île-de-France présente la mise en place par la mutuelle et le Ministère de l’Education nationale de deux dispositifs de prise en charge des risques psychosociaux. Il conclut en soulignant les limites des deux initiatives, qualifiées d'« emplâtres sur une jambe de bois », mais qui ont l'avantage de permettre de « sauver des individus », et en insistant sur le fait qu'en France il faut revoir une organisation du travail dans laquelle la sanction prime sur l'émulation et l'empathie et redonner de la place au collectif.

La vice-présidente du Conseil régional d'Île-de-France déplore l'omniprésence, qu'elle perçoit comme « destructrice pour les jeunes », de la concurrence dans le discours sur l'école et présente une consultation que le Conseil régional est en train de mener auprès des élèves des lycées et qui met en valeur les souffrances et la culpabilisation qui accompagnent chez les jeunes, dans les familles et chez les enseignants l'injonction de réussir. Pour elle, ces souffrances « se rejoignent, forment un tout ». En réponse, elle propose « une grande réforme démocratique de l'école ».

 

Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, clôt la journée en présentant le travail comme une préoccupation essentielle des travailleurs et des Français, qui se trouve au cœur du problème des retraites et des 35 heures. En effet, celui-ci implique la question du rapport de chaque salarié à son travail, de la place du travail dans la vie et de sa place dans la société. C'est toute une représentation négative du travail il s'agit de casser.

Deux problèmes se posent donc au syndicalisme : redonner aux personnels le pouvoir d'agir sur le travail et réhabiliter une vision émancipatrice du travail. Le syndicalisme doit prendre en compte la tension entre l'individuel et le collectif et comprendre que la qualité du travail c'est aussi la qualité de vie. Les syndicats doivent ouvrir avec les salariés les boîtes noires des pratiques professionnelles mais ils doivent aussi accepter de s'affronter à la question de l'évaluation et de ses critères, qui nous viennent du management, pour les domestiquer. Enfin le syndicalisme doit interroger nos métiers, qui ne sont pas figés et doivent suivre les évolutions de la société.

 

 

Version détaillée du compte rendu sur le site de la section académique du Snes-Versailles.

Trame de l'intervention de Philippe Davezies, sur le site de l'Institut de Recherches de la FSU.

Texte de l'intervention de Philippe Davezies, sur le site de l'Institut de Recherches de la FSU.

 

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Brochure de présentation
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