Or, en quoi les réflexions des auteurs de la tradition libertaire et les pratiques de ses militants peuvent-elles nous aider à améliorer la démocratie de nos collectifs militants et même à repenser la démocratie en général ?
On peut en effet penser que ce n’est pas un hasard si les critiques les plus radicales contre la démocratie depuis l’Antiquité l’ont accusée de tendre vers l’anarchie c’est-à-dire vers le désordre. A l’inverse, Elisée Reclus affirmait que “l’anarchie est la plus haute expression de l’ordre”. Loin des caricatures qui entourent ce mouvement, il est possible au contraire que les expérimentations menées par les militants anarchistes autour d’un refus du “principe de commandement” (an-archè, absence de commandement), c’est-à-dire contre les organisations hiérarchisées, puissent constituer des pistes utiles de réflexion sur la participation démocratique.
Réflexions libertaires sur la démocratie en général:
Les penseurs de la tradition libertaire, Proudhon notamment, ont mis en avant plusieurs points qui peuvent nous aider à mieux penser les conditions de la démocratie aujourd’hui.
La critique du principe de commandement induit une réflexion sur des rapports plus égalitaires: au sein de la cité, des lieux de travail, de la famille ou avec les autres espèces vivantes et de manière générale entre les individus. En effet, refuser que certains commandent tandis que d’autres obéissent, c’est tendre à mettre en place des relations égalitaires ou du moins différentes lorsqu’il s’agit par exemple du rapport aux enfants ou sur un autre plan des autres êtres vivants.
Une démocratie réelle suppose ainsi l’articulation entre trois dimensions: la participation populaire directe aux décisions politiques, le respect des libertés individuelles et des droits des minorités et enfin des conditions économiques et sociales.
- - L’action directe et la critique de la représentation:
Mais cette conception fortement participationniste de la démocratie est-elle possible ? Elle suppose certes une réduction du temps travail pour les penseurs libertaires syndicalistes d’action directe. Néanmoins, les libertaires syndicalistes d’action directe ne se font guère d’illusion sur le fait qu’il s’agit d’une démocratie des minorités agissantes face aux majorités passives. L’idéal n’est donc pas que tous participent dans les faits, mais que nul ne soit empêché de participer et que la participation de tous soit favorisée. D’où par exemple l’importance d’essayer de permettre aux femmes d’accéder plus facilement à l’espace public.
- Cela implique donc une critique du mandat représentatif et de la démocratie représentative. En effet, le représentant n’y est pas tenu d’appliquer le programme pour lequel il a été élu. Ses électeurs ne possèdent que peu de moyens de contrôle sur ses décisions. Les libertaires se sont fait le plus souvent les défenseurs du mandat impératif, dans lequel le délégué doit obligatoirement suivre les décisions des ses électeurs. Néanmoins, ce système ne risque-t-il pas de conduire à enfermer chaque délégué dans les intérêts particuliers de ses mandants sans pouvoir accéder à un intérêt plus général ? Nous verrons dans une seconde partie les pratiques que les libertaires ont tenté de mettre en place pour échapper à cette limite. Ainsi, contrairement à ce que l’on pense souvent, les libertaires ne refusent pas toute délégation de pouvoir, mais simplement le principe de la représentation.
- - Le fédéralisme et le mutualisme:
- La critique de la représentation conduit à la critique de l’Etat. Ce dernier est défini comme une forme d’institution politique hiérarchisée et centralisée. Mais cette critique de l’Etat n’a pas pour conséquence la destruction de toute forme d’organisation politique. A l’Etat, les libertaires opposent le fédéralisme, tel que l’a théorisé Proudhon dans Du principe fédératif. Dans cette conception, le groupement de base garde toujours plus de pouvoir que l'échelon supérieur jusqu’à posséder le droit, s’il le désire, de faire sécession de la fédération. Le fédéralisme proudhonien est censé tenter d’équilibrer l’autonomie et la diversité des cultures locales d’un côté et de l’autre la solidarité économique entre régions et un dépassement de l’enfermement dans les particularismes locaux.
- Ce qui distingue le fédéralisme proudhonien des versions du fédéralisme libéral, c’est que l’autonomie de prise de décision des régions, contenue dans le fédéralisme, est contre-balancée par des formes de solidarité économique multiples que Proudhon appelle mutualisme. Il s’agit de pratiques d’économie sociale et solidaire.
- La démocratie, telle que la théorise Proudhon dans De la capacité des classes ouvrières, ne suppose donc pas seulement une forme d’organisation politique qui remet en cause le système représentatif et l’Etat, mais également une forme d’organisation économique socialiste. Penser la démocratisation des institutions sans ce pendant, c’est risque de sombrer dans le libéralisme économique. De fait, il ne s’agit pas seulement de penser la démocratie des institutions politiques, mais également au sein de l’appareil de production économique.
- - Majorité et minorités:
Proudhon préconise ainsi de procéder à un premier vote à titre informatif, puis de tenter d’établir une motion qui soit la synthèse des points de vue et de faire voter sur celle-ci.
- -Individu, démocratie et socialisme:
- - Délibération et conflit:
Cependant, cette thèse selon laquelle la démocratie repose sur des procédures de délibération argumentative, n’est pas détachée d’une réflexion sur les inégalités présentes au sein d’une société divisée en classes sociales. De fait, Proudhon appelle la classe ouvrière à ne pas participer au jeu de la démocratie représentative et à construire ses propres lieux de délibération, reposant en particulier sur la constitution d’expérimentations mutualistes.
Par conséquent, s’il peut y avoir délibération, celle-ci ne peut avoir lieu qu’entre opprimés et non dans des arènes regroupant les dominés et les dominants.
- - La démocratie comme processus:
Expérimentations et pratiques libertaires:
Comment fonctionnent concrètement les organisations libertaires ?
- - Souveraineté des collectifs locaux:
- - L’organisation du débat:
- - Articuler consensus et vote à la majorité:
- - Droit des minorités et des individus:
- - Mandat semi-impératif:
- - Contrôle et révocabilité des élus, limitation des mandats:
Pour aller plus loin:
Démocratie et délibération, Politix, n°57, 2002.
Pereira I., Les grammaires de la contestation, La découverte, 2010
Pereira I., L’anarchisme dans les textes, Textuel, 2011
Proudhon P.J, Du principe fédératif [1863]
Proudhon P.J., De la capacité des classes ouvrières [1865]
NB: Cette fiche présente une certaine lecture du rapport entre libertaires et démocratie. Il existe des conceptions plus spontanéistes, ou d’autres qui critiquent la notion de démocratie en soi, au profit par exemple de l’affirmation individuelle.
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