L'actualité au prisme de la philosophie
L’intervention d’une coalition armée en Lybie avec à la tête la France et les Etats-Unis sous l’égide de l’ONU repose le problème, qui avait refait son apparition depuis une vingtaine d’année dans le débat philosophique, des guerres justes et injustes.
Une problématique théologico-politique médiévale
La question des guerres justes et injustes est une vieille problématique de la scholastique médiévale explorée par des philosophes chrétiens tels que Saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin. Il s’agissait de se demander dans quelle mesure la guerre pouvait être compatible avec les principes du christianisme. L’enjeu était ici de pouvoir justifier la légitimité des guerres menées par la papauté et la chrétienté dans son ensemble, en particulier dans un contexte de guerres saintes menées en Orient.
La problématique politique et morale de la guerre juste a donc une origine théologique. Elle constitue une illustration du fait que le discours et le pouvoir religieux ne peuvent être considérés comme de simples dimensions civiles de la société, mais qu’ils ont une fonction politique. Le théologique est toujours du théologico-politique.
Le renouveau de la problématique des guerres justes et injustes.
Le philosophe Mickael Walzer, en 1977, dans un ouvrage intitulé Guerres justes et injustes, est l’un des premiers à remettre au goût du jour cette problématique à propos de la guerre du Viet-nam.
Mais c’est surtout à partir des années 1990, en particulier dans le contexte de la Première Guerre du Golfe, de la guerre en Bosnie, puis de l’intervention en Afganistan et en Irak que ces problématiques retrouvent une nouvelle actualité.
En effet, l’intervention lors de la Première Guerre du Golfe se fait sous l’égide de l’ONU en mettant en parallèle l'expansionnisme de Sadam Hussein et celui d’Hitler. Cette intervention en Irak se situe peu de temps après la chute de l’Empire soviétique. Les Etats-Unis apparaissent comme l’unique super-puissance, ayant le rôle de maintenir une pax americana. D’une certaine manière, Francis Fukoyama en théorisant La fin de l’histoire à travers ce qu’il considère le triomphe des valeurs libérales, transcrit cet état de fait.
A l’occasion des guerres civiles en Somalie et en ex-Yougoslavie, une seconde notion refait son apparition dans les années 1990, dont l’idée avait émergé auparavant dans les années 1970 à la suite de la Guerre au Biafra: il s’agit de la notion de “droit d’ingérence”. Celle-ci trouve une première formulation chez le juriste Grotius, dans son ouvrage De jure belli ac pacis (1625). Il s’agit de pouvoir intervenir pour porter secours à un peuple sans le consentement de son gouvernement.
Au début des années 2000, à la suite de l’attentat contre les Twin Towers, le Président Georges Bush junior, new born christian méthodiste, formule le droit d’intervention des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak sous la forme d’une eschatologie morale et religieuse les opposant à un Axe du mal. Son discours se trouve en outre appuyé en toile de fond par les thèses du politologue Samuel Huntington, qui théorise un choc des civilisations entre l’Occident et l’Islam.
C’est dans ce contexte que l’on voit de nouveau ressurgir chez les philosophes politiques toute une théorisation visant à distinguer des guerres injustes et des guerres justes, les dernières étant justifiées.
En France, cette défense de la guerre juste s’a été diffusée dans la sphère médiatique aussi bien par des hommes politiques, que par des philosophes médiatiques, ou que des philosophes académiques: Bernard Kouchner, Bernard Henri Levy, Monique Canto-Sperber...
L’intervention en Lybie
La question du soutien à l’insurrection d’un peuple qui nous paraît juste contre un gouvernement despotique pose dans ses formes concrêtes d’épineux problèmes.
Il est ainsi possible de se poser la question du soutien à un peuple en révolte par l’envoi d’armes. Certes cette question peut amener, une fois la guerre finie, le problème de la gestion de cet armement.
Le choix de l’intervention directe armée en Lybie par des gouvernements occidentaux ne pose pas moins question. Le risque est effectivement qu’en la cautionnant nous soyons d’autant moins en position pour critiquer par ailleurs l’usage de cette confusion entre discours politique, moral et religieux que contient la notion de “guerre juste”.
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