Réflexion sur la fonction de l’imaginaire en politique

 

 

Un certain nombre d’auteurs ont pu s'intéresser à la place du mythe, de l’imaginaire, de l’illusion dans l’action politique. Cette fonction, nous semble-t-il, a été par exemple saisie comme “premier genre” de connaissance qu’il faudrait dépasser, ou comme exaltation de la place de l’imagination comme capacité à penser un autre ordre politique que celui de la réalité existante. Nous souhaitons pour notre part nous intéresser à une autre fonction de l’imaginaire en politique.

 

La notion d’imaginaire en politique permet de penser la place de la dimension symbolique (les normes morales et juridiques, les épreuves de légitimité) dans la transformation de l’organisation sociale et son maintien.

Dans les conceptions matérialistes, ce qui est déterminant ce sont les rapports de force et s’il s’agit d’un matérialisme rationaliste, ce sont les causes ou les structures sociales. Les raisons que se donnent les individus, les normes sociales ou les finalités qu’ils poursuivent apparaissent comme des illusions qui masquent la réalité des rapports sociaux.

Mais une telle conception de l’imaginaire suppose que l’on puisse l’opposer à une science qui serait en capacité de dépasser l’imaginaire, l’apparence illusoire. Or c’est bien la critique qu’effectue Nietzsche à l’encontre des prétentions scientistes du rationalisme, à savoir sa prétention à pouvoir dépasser par le raisonnement l’illusion des apparences sensibles ou la dimension imaginaire de notre rapport au réel. Le raisonnement scientifique n’est lui même pour Nietzsche qu’une des formes que prennent les rationalisations de nos désirs.

Dans une conception qui doute de la capacité d’établir scientifiquement une réduction de la dimension symbolique à la dimension matérielle, la question de l’imaginaire permet de s'intéresser au rôle que jouent ces dimensions dans l’action et l’organisation politique du social.

 

S’il n’est ainsi pas possible de déduire d’un matérialisme rationaliste à la fois le devenir des sociétés et l’organisation sociale, alors il est possible par la notion d’imaginaire d’accorder une place à certaines phénomènes sociaux.

Ainsi, il est possible de s'intéresser à la place que jouent les utopies, les religions, les mythes, les idéologies, les valeurs dans l’incitation à l’action. Il est également possible de s'intéresser à la manière dont les normes morales ou juridiques interviennent dans l’organisation du social.

Elles interviennent à plusieurs niveaux. Le premier niveau tient au fait que le rationalisme scientifique conduit à ce que l’action pourrait être déduite des causes sociales. Or dans une conception qui accorde à l’imagination une place dans la détermination de l’action, alors c’est la dimension imaginaire de l’action qui permet de comprendre que l’être humain ne peut se représenter son action qu’en termes de finalités, de moyens en vue d’une fin. Dans un tel cadre, l’idéal imaginaire peut apparaître comme un instrument pour l’action immédiate.

Les épreuves de légitimité, les arguments échangés, apparaissent dans une telle conception comme une sublimation et une rationalisation de désirs imaginaires. Néanmoins dans une conception pragmatiste, il n’y a pas une coupure nette entre l’imagination et la rationalité. Cette dernière est le produit d’une sublimation de la première. Ainsi, certains désirs imaginaires parviennent à apparaître comme plus acceptables rationnellement car ils s’accordent davantage aux faits et résistent davantage à la critique argumentée.

 

Irène Pereira

 

Remarque: On peut se demander si l’opposition que fait Sorel entre structure sociale et mouvement social, entre matière et action et entre concept et mythe réitère le dualisme ontologique présent chez Bergson entre énergie spirituelle et matière. Il est possible de faire une lecture moniste de ces dualismes figurant chez Sorel. Les structures sociales sont des solidifications des actions collectives de transformation sociale tout comme les concepts sont pour Bergson des solidifications par l’habitude de la pensée personnelle en éliminant ainsi ce qu’il y a en elle de personnel pour ne garder que l’aspect objectif.

 

 

Irène Pereira