Stuart Hall, Identités et cultures -Politiques des cultural Studies

Editions Amsterdam, 2007, 327 p., 22 euros.

 

 

Sous le titre Identités et cultures, les éditions Amsterdam ont réuni plusieurs textes de Stuart Hall portant tant sur les cultural studies, à travers en particulier la question de l’hégémonie idéologique, que sur le domaine des postcolonial studies. Stuart Hall est en effet un sociologue britannique contemporain d’origine jamaïcaine dont la pensée s’avère majeure dans ces différents domaines. Son approche croise à la fois le marxisme et la pensée post-structuraliste.

 

Première partie: “Cultural Studies”.

 

Le premier texte, “Les cultural studies et leurs fondements théoriques” (1992), s’interesse aux relations que les cultural studies britanniques entretiennent avec le marxisme, le féminisme ou la question de la “race”.

Dans “Cultural Studies: deux paradigmes” (1980), Stuart Hall prend partie pour une approche s’inspirant du matérialisme de Gramsci et permettant de s’appuyer sur le structuralisme et le culturalisme tout en les dépassant.

“L’émergence des cultural studies et la crise des humanités” (1990) revient sur la génèse institutionnelle des cultural studies en Grande Bertagne, champ disciplinaire que Stuart Hall a contribué à fonder en prenant la suite de Richard Hoggart.

“Notes sur la deconstruction du “populaire” (1981) s’interroge sur les ambiguïtés de cette notion. Elle oscille en effet entre deux approches: d’une part la dénonciation d’une culture aliénée et construite par la société capitaliste et les mass media et d’autre part l’affirmation de l’existence d’une culture populaire alternative et autonome. L’auteur refuse ces deux positions pour “affirmer au contraire qu’il n’existe pas de culture populaire authentique échappant au champ de force des relations de pouvoir et de domination culturelle [...] [Néanmoins] Les gens ordinaires ne sont pas des idiots culturels, ils sont parfaitement en mesure de reconnaître la manière dont les réalités de la vie de la classe ouvrière sont réorganisées, reconstruites et réformées” (p.72).

 

Deuxième partie: “Idéologies, hégémonies et médias”.

 

“La redécouverte de l’”idéologie” (1982): retour du refoulé dans les media studies” s’intéresse à la question de l’idéologie culturellel, à sa fabrication et à sa reception. L’auteur y prend ses distances avec deux modèles: l’un behavoriste, où les individus sont totalement conditionnés par les médias, l’autre qui met en avant la pluralité des subcultures alternatives. Il insiste davantage sur un paradigme critique qui entend analyser la fabrication de l’idéologie culturelle sous l’angle d’une “lutte pour le sens”. Ainsi la lutte idéologique n’est pas simplement réductible à la lutte des classes économiques.

“Déviance politique et medias” (1974) essaie d’analyser la façon dont les medias traitent la question des luttes politiques minoritaires. Ces luttes sont appréhendées par Stuart Hall comme des pratiques d’opposition au consensus dominant. Il montre en particulier comment le discours médiatique est structuré par les schèmes majorité/minorité et extrémiste/modéré.

“Le crapaud dans le jardin: thatchérisme et théorie” (1988) prend pour objet l’étude de l’idéologie de l’époque Thatcher et tente d’expliquer comment elle a réussi à imposer son hégémonie en Grande-Bretagne en devenant ce que l’auteur a appelé un “populisme autoritaire”.

“Le blanc de leurs yeux: idéologies racistes et médias” s’interesse à l’idéologie raciste telle qu’elle est véhiculée dans les médias. L’auteur distingue en particulier entre le racisme manifeste: “toutes ces situations où des personnes font profession d’élaborer un raisonnement ouvertement raciste” et un racisme déductible, “je veux parler de ces représentations naturalisées d’évènements et de situations liés à la race” (p.198).

 

Troisième partie: “Identités et politiques des représentations”.

 

Dans “Nouvelles ethnicités” (1989), l’auteur déconstruit certaines des difficultés liées aux politiques identitaires qui, afin de défendre une cause, construisent, puis essentialisent une identité.

“Quel est ce “noir” dans “culture populaire noire” ? (1992) s’attache, comme le texte précédent, à désessentialiser la notion de “noir” pour penser la culture populaire noire comme un espace de lutte politique.

“Identité culturelle et diaspora” se situe toujours dans le projet d’une étude non-essentialisante des identités: “loin d’être fondées sur une simple “redécouverte” du passé, qui attendrait d’être faite, et qui, lorsqu’elle le serait, assurerait pour l’éternité notre sentiment d’être nous-mêmes, les identités sont les noms que nous donnons aux diverses façons d’être situés par les récits du passé et de nous y situer” (p. 230).

“Penser la diaspora: chez-soi de loin” (1998) amène Stuart Hall à mener une réflexion sur l’ambivalence de la mondialisation: “il y a deux processus à l’oeuvre dans les formes contemporaines de la mondialisation, laquelle est elle-même un processus fondamentalement contradictoire. Il y a les forces dominantes de l’homogénéisation culturelle. [...] Mais il y a aussi, à côté de cela, des processus qui décentrent lentement et subtilement les modèles occidentaux, provoquant une dissémination de la différence culturelle tout autour du globe” (p.263).

 

Quatrième partie: “Multiculturalismes et moment postcolonial”

 

“Quand commence le “postcolonial” ? Penser la limite” (1996) est consacré à des discussions épistémologiques autour de la notion de postcolonial. En effet, il s’agit, comme pour la notion de postmodernité, d’un terme ambigu relevant à la fois de l’histoire et de la théorie philosophique. En particulier, l’auteur répond aux critiques d’inspiration marxiste opposées à cette notion. Il en prend la défense en faisant valoir qu’elle permet de faire une place plus grande à la complexité des rapports, à leur pluralité, mieux que ne le faisaient les schémas d’affrontement binaires.

Enfin, le dernier texte du recueil, “La question multiculturelle” (2000), interroge la genèse du multiculturalisme et ses controverses avec le libéralisme. Cela conduit Stuart Hall à aborder les notion de “race” et d’”ethnicité” et à les discuter.

 

 

Conclusion:

 

L’oeuvre de Stuart Hall, bien que prenant ses références chez certains penseurs marxistes, tels que Gramsci, et du fait de leur objet - les idéologies culturelles -, intègre nombre d’éléments du poststructuralisme par son invitation à la déconstruction, sa critique de l’essentialisme et son insistance sur la multiplicité et la dissémination. C’est dans le cadre de cette vision poststructuraliste que l’auteur s'intéresse à croiser la question des cultures populaires et celle des minorités racisées, en particulier les noirs.

Le recueil s’avère ainsi particulièrement intéressant pour ceux qui souhaitent en savoir davantage sur la genèse des cultural studies et postcolonial studies.

 

Irène Pereira